Good save The Queen
Le vote de la Grande-Bretagne pour la
sortie de l’UE obtenu par 52% des votants contre 48% de oui, avec 72,2% d’électeurs
(un record pour tous les votes au suffrage universel dans ce pays y compris lors
des législatives), résonne comme un énorme coup de tonnerre dans le ciel
Européen. Les commentaires ici et là révèlent aussi un phénomène essentiel mais
longtemps caché tant par les médias et les intellectuels pro-UE et pro-Remain,
la fin de la pertinence du clivage droite/gauche dans la politique européenne
puisque aussi bien des hommes de gauche et des hommes de droite soutiennent le
maintien dans l’Union ou le retrait de l’Union. L’implosion de cette vieille dichotomie
historique, fondatrice de l’Europe moderne depuis la Révolution française, avait
déjà été remarquée lors du référendum français sur la constitution européenne
dite de Maaestrisht, où le non l’avait emporté avec presque 55% des votants, mais
où la dictature sarkoziste qui suivit avait nié ce résultat, et, avec la
complicité à l’époque des communistes et d’une partie de la gauche du PS
(Mélenchon), avait laissé passer le Traité de Lisbonne sans mot dire, sans en
appeler à la grève généralisée pour contrer ce déni de démocratie.
Aujourd’hui on a le même phénomène en
Grande-Bretagne, ainsi que dans toute l’Europe. Une partie du Labour bien mis
en avant par les médias main stream anglais
et du continent était pour le maintien, une autre non négligeable, mais plus
censurée, était pour la sortie ; une partie des conservateurs et une partie
du gouvernement de monsieur Cameron, était pour le maintien avec le soutien de
la City, des banques, des grands financiers, des grandes entreprises
multinationales et des USA… et une autre pour la sortie. Simultanément le
référendum a fait ressortir en Europe un nouveau phénomène, le retour ou
l’espérance du retour à une certaine souveraineté nationale. Ce que des
économistes de gauche français comme Sapir ou Lordon ou italiens de Rifondazzione appellent de leurs vœux depuis
déjà plusieurs années en montrant les énormes dysfonctions de cette énorme machine
bureaucratique et financière. Dans les faits la machine européenne voulu par
les États-Unis pour imposer plus encore en Europe leurs diktats économiques,
après l’euphorie économique des premières années de l’euro, a été incapable de
maîtriser la crise US des subprimes
de 2008 qui a pris au piège l’Europe par l’intermédiaire d’une finance
globalisée. Et, de surcroît, la politique de la BCE et celle de la Commission
de Bruxelles en ont renforcé les effets avec ses politiques d’austérité qui engendrent
une augmentation drastique de la pauvreté : les exemples grecs, espagnols
et portugais le prouvent abondamment. Pendant ce temps les bénéfices des
banques et les salaires des grands patrons augmentaient parfois de 50%.
Pour le moment, en dehors des vautours de
la spéculation comme Soros, les divers fonds de placement US et Moyen-Orientaux
(Arabie Saoudite, Qatar, Barhein, etc.), les banques anglaises ou étrangères qui
semblent faire d’énormes bénéfices en jouant sur la chute drastique de la
bourse de Londres, on ne peut strictement rien dire des modalités de ce divorce,
de la manière dont la séparation va se faire et des effets tant en
Grande-Bretagne que sur la machine UE elle-même. En revanche, puisque j’écris
depuis Bucarest, il est très révélateur de noter les réactions d’une majorité d’intellectuels :
tant nombre d’intellectuels de droite que de gauche ont développé les arguments
de leurs patrons de droite et de gauche occidentaux leur ont fourni clef en
main et qui sont, de fait, à peu près les mêmes. Ce sont les imbéciles
analphabètes, les pauvres sans études supérieures qui sont tombés dans le piège
populistes que quelques politiciens démagogues leur ont tendu. Une fois encore
on nous livre ici la version du mauvais peuple soumis à des élites démagogues…
Ce qui veut dire qu’on nous livre la énième version, présentement éventée, du
slogan : le peuple est mauvais, il faut changer le peuple, voire lui
interdire de voter. Voilà qui me fait penser aux diverses versions staliniennes
de pouvoirs incapables de comprendre les demandes légitimes du peuple. En effet
la commission de l’UE se comporte de manière proche de celle du Comité centrale
du Parti communiste de l’Union soviétique comme l’a remarqué l’ancien dissident
soviétique Bukowsky. Et pourtant, le peuple a de justes raisons de ne plus
accepter cette Union qui le paupérise de manière absolue et qui confisque le
pouvoir de décision entre les mains d’une bureaucratie non élue qui n’a de
compte à rendre qu’à ses maîtres.
Je ne suis point conservateur ni proche
du Labour dans version crapuleuse blairiste, mais je ne peux qu’admirer dans un
premier temps le discours du Premier Ministre Cameron qui en annonçant sa
démission a fait savoir à son successeur qu’il lui faudra dans les négociations
qu’il entamera avec la commission de Bruxelles, ne jamais oublier la volonté
que le peuple a fait connaître au travers de son vote. Si la démocratie est le
résultat de la volonté générale, il convient de remarquer que c’est un
conservateur anglais qui l’applique sans état d’âme, alors que les Français,
les Italiens, les Espagnols et les Allemands continuent d’imposer une politique
de plus en plus impopulaire, préparant non pas des votes, mais des révoltes.
Certes la lutte des classes demeure en Grande-Bretagne et ce vote est bien loin
de l’annihiler, il s’empêche, avec le discours de Monsieur Cameron, la lutte de
classes se présente avec une certaine classe.
Claude Karnoouh
Bucarest le 25 juin 2016