vendredi 18 mai 2012

Une victoire à la Pyrrhus : quelques remarques incommodes sur les élections présidentielles françaises


Une victoire à la Pyrrhus : quelques remarques incommodes sur les élections présidentielles françaises

Les militants socialistes et leurs alliés, à la vue de certains sondages, croyaient tous à une large victoire de leur champion François Hollande. Or il n’en est rien, car il convient de souligner la marge étroite de son succès au second tour, 51,6%. Pas que quoi chanter victoire en dépit des cohortes de naïfs (pour ne pas le dire plus crument) qui hurlaient le soir du 6 mai place de la Bastille et dans diverses capitales régionales de l’Hexagone, « On a gagné ! ». Mais non, They are not the champions ! De plus, si l’on ajoute aux 19% d’abstentions le nombre soudainement fort élevé de bulletins nuls ou blancs, 6%, il y a donc eu environ 25% de non votants, ce qui fait du président l’élu d’environ 38% du corps électoral, bien loin de la moitié des votants et plus encore des inscrits! 1
Certes, nous le constatons depuis longtemps, c’est là une tendance générale des démocraties postmodernes où, sous diverses latitudes (et sauf exceptions comme les référendums pour valider ou non le traité de Maastricht ou la Constitution européenne), environ 25 à 40% des électeurs  (abstention, bulletins blanc ou nuls), parfois même la majorité d'entre eux, en Europe de l'Est notamment, refusent de participer au jeu de la démocratie représentative.
 Constatation banale de la science politique qui, en revanche, ne s’interroge jamais sur l’essence de cette abstention (positive ou négative) en dépit d’enjeux parfois cardinaux pour l’avenir d’un pays ! A ces gens qui d’une manière ou d’une autre ont refusé le jeu électoral, je pense qu’il faudrait ajouter les 18% de votes (et donc une attitude active en ce cas) accordés au Front national regardé par l’establishment politique comme un parti hors les normes du jeu politique « normal ». 
Toutefois, malgré la consigne d’abstention de son chef, Marine Le Pen, les sympathisants du FN, dans leur écrasante majorité, ont répartis leur bulletin de vote entre 80% pour Nicolas Sarkozy et 20% pour François Hollande… Leur haine affichée des socialistes a permis à Sarkozy de se rapprocher des 50% et de refroidir objectivement la victoire de Hollande...

Une fois ces remarques préliminaires de bon sens avancées, deux questions importantes demeurent en suspend :
1) Que représentent les votes du Front de gauche ?
2) Que représentent les votes accordés à un Front national relooké par la fille du vieux chef ? 
Reprenons-les successivement.

Le rôle des « extrêmes » autorisés
1/ Le Front de gauche
Le Front de gauche a d’abord été une OPA de Jean-Luc Mélenchon, venu du PS, sur le Parti communiste français devenu un groupement moribond ne survivant que grâce aux oboles électorales du PS, afin de donner l’illusion d’une gauche plurielle, d’un PCF encore présent pour capter quelques voix qui eussent pu s’égarer vers le FN ou contribuer à donner naissance à un courant de gauche plus radical.Comme l’Eglise catholique de France composée pour l’essentiel d’évêques et de curés, le PCF n’est plus pour l'essentiel qu’un parti de petits cadres survivant de la charité du PS.Ensuite, le Front de Gauche a été aussi une OPA sur l'électorat un temps tenté par le radicalisme langagier du Nouveau Parti anticapitaliste, regroupement d’étudiants, de jeunes fonctionnaires, de quelques rares ouvriers et de plus rares immigrés ou « post-immigrés » des banlieues qui, depuis le départ d'Olivier Besancenot (figure populaire construite par les médias), est lui aussi moribond comme l’ont prouvé ses résultats électoraux.5
 Enfin, le Front de gauche a été et demeure l’instrument permettant de rassembler ceux qui, à la gauche du PS et des Verts, avaient voté « non » lors du référendum de 2005 portant sur la Constitution européenne. En usant d’une métaphore venue du Tour de France cycliste, on peut avancer que Mélenchon a joué le rôle de la voiture-balai à la gauche du PS, liquidant le NPA, Lutte ouvrière.en passant, et, immédiatement après les résultats, offrant au candidat Hollande ses voix sans discuter, avant même qu’on les lui demande. Sans idée comploteuse aucune, on peut néanmoins s’interroger pour savoir si Hollande et Mélenchon n’étaient pas de mèche ! Tactique somme toute d’une grande banalité. Car, en dépit de ses coups de gueule, Mélenchon, et ses 11% des votes au premier tour, s’est révélé bien décevant pour qui voyait en lui l’alternative prolétarienne capable de prendre les voix ouvrières qui se portent vers le FN et les socio-traitres du PS dans une sorte de renouveau d’une extrême gauche radicale et populaire.9

Mais, déchantons, en effet, une enquête effectuée à partir des résultats du premier tour  montre qu’une majorité d’ouvriers qualifiés, de contremaîtres et de petits cadres, embauchés sur contrats de type CDI (contrat à durée illimitée) ont voté soit Sarkozy soit Le Pen, et que seule une partie des CDD (contrats à durée limitée) et une fraction du lumpen qui vote, ont porté leur voix sur Mélenchon. Bref, la majorité de la classe ouvrière ne s’est tournée ni vers Mélenchon ni vers Philippe Poutou (NPA) ni vers Nathalie Arthaud (LO), encore moins vers la Joly et ses bobos verts, mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, vers Le Pen, et certains vers Sarkozy. Ola ! Le peuple n’est pas bon, il faudrait donc changer le peuple… 

2/ Le Front national

Alors tous les intellectuels de gauche et de droite ou presque, tous les journalistes politiques stipendiés (tautologie, car tous les journalistes le sont, puisque payés par des patrons de presse ou par l’État) ont recommencé leurs sempiternelles lamentations, quand ce n’était pas des sarcasmes c’était des insultes et des injures à l’encontre des électeurs du FN. Belle manière d’essayer de leur faire comprendre qu’ils se trompent ! Car, surprise pour les idéologues socialistes, c’est une partie non négligeable des cadres supérieurs, des bobos anciennement Verts, des branchés de la vie nocturne urbaine, des turbo-cadres qui ont voté pour le PS. Voilà au moins une preuve que la rose des socialistes est devenue présentement tellement pâle, qu’elle s’est transformée en rose blanche.

Une fois ces remarques avancées sur l’humeur des prolétaires et des toutes petites classes moyennes attirées par Sarkozy, mais surtout par Le Pen, la question demeure : pourquoi la partie du salariat et de l’artisanat qui pourrait être identifiée aux classes populaires les plus enracinées (et ce parfois même quelque soient leurs origines et leur religion, commerçant noirs et cadres d’origine africaine ou magrhèbine), et simultanément les plus menacées, se tourne-t-elle vers Marine Le Pen dont on pourrait penser à première vue qu’elle représente, et cela est simplement vrai, la fraction de la bourgeoisie moyenne, des PME et des commerçants, la plus touchée par les effets de la crise économique, par la mondialisation de la production et de la distribution, et par les politiques déflationnistes de l’UE ? Pourquoi donc ? Parce que, comme l’avait dit naguère Michel Rocard (PS), le « FN soulève de vrais problèmes… ce qui ne veut pas dire qu’il offre de bonnes solutions ». Il soulève si bien de vrais problèmes qu’une partie des immigrés récents du tiers monde, intégrés au système du travail et bien sûr naturalisés français, lui apporte assez abondamment ses voix, ce que taisent les médias ! Mais à force de repousser, de nier ou de moquer les analyses proposées par le FN sans jamais les décortiquer, la classe politique dite « républicaine » a oblitéré la possibilité d’énoncer publiquement la réalité. Or la réalité socio-politico-économique, c’est comme le refoulé freudien, plus on la dissimule plus elle revient sans vergogne sur le devant de la scène. Car si le Front national était, comme des intellectuels de gauche et une partie des journalistes l’assument, un parti néo-nazi, il serait purement et simplement interdit en France, comme ce fut le cas de groupements objectivement nazillons tel le mouvement Occident dans les années ‘70 du siècle dernier. Certes, on me jettera à la figure, « vous aussi vous êtes populiste ! N’avez-vous pas honte ? ». Comme si le populisme était devenu une maladie honteuse de la politique en raison du détournement de sens de ce mot par les médias aux ordres et du total manque d’intérêt que de prétendues élites manifestent pour ce qu’il désigne réellement : un rapport de souci à l’égard du peuple dans sa diversité.

Populisme(s)

Populisme, le mot jeté à la figure aussi bien de politiciens de la droite gaulliste (Dupont-Aignan par exemple 8), que de gauche (parfois José Bové ou même quelqu’un situé à l’extrême gauche du PS comme Emmanuelli), est devenu la dénonciation d’une pensée glauque, suspecte d’un arrière fond fascisto-communiste, transformée dans la parole médiatique en une sorte de vérole ou de blennorragie de la pratique socio-politique ! Aussi pour l’élite mainstream de la postmodernité civilisationnelle, s’intéresser aux soucis réels des gens, mettrait-il en danger la démocratie, promouvrait-il le totalitarisme « rouge-brun » ? Parce que dénoncer les effets ravageurs sur les sociétés humaines de la mondialisation généralisée du capitalisme financier et industriel, serait-ce là un comportement criminel ? Parce que constater et énoncer que le but de cette mondialisation dirigée par l’oligarchie financière n’est autre que de baisser le plus vite possible la rémunération du travail en jouant de la délocalisation et de l’émigration massive, manifesterait une attitude politique mettant en danger la démocratie et les libertés ? Ne serait-ce pas l’inverse, à savoir que ces manœuvres financières et les manières policières de les imposer menacent la démocratie représentative et les libertés sociales minimales ? Mais au fait, de quelles libertés menacées s’agirait-il ? Surement pas celle d’obtenir un salaire digne ! Et pour qui, au bout du compte, est faite cette démocratie qui devrait assurer le bon gouvernement et, au minimum, le droit à la santé, le travail et l’éducation pour tous ? Car, l’immigration massive ne soulève-t-elle pas de très graves problèmes de travail et d’intégration dans un pays comme la France dont le modèle jacobin (modèle original), à la fois social et éducationnel, a été détruit ou presque, et son système scolaire entré en totale faillite ? 10
Certes, pour les bobos et autres cadres pleins de commisération à deux sous, le métissage, la différence (sans le voile dit islamique bien évidemment), c’est bien, mais à condition d’être entre nous, dans les aéroports, dans les trekkings branchés du Népal, du Kenya ou de l’Afrique du Sud, dans les stations balnéaires, dans les clubs de vacances plus ou moins chics, comme touristes regardant les indigènes offrant de la pacotille exotique, en bref loin des quartiers pauvres où s’entassent dans des taudis suintant la misère, les émigrés, ces damnés de la Terre des diverses parties du monde. Or d’aucuns le savent depuis belle lurette – relisez Les Misérables braves gens donneurs de leçon de morale – la pauvreté engendre la faim et la faim engendre la délinquance. Plus encore, l’omniprésence et l’omnipotence la publicité (i.e. la propagande de la marchandise) comme illustration de son fétichisme, créent la convoitise et ainsi, faim et convoitise engendrent une société de tous les trafics : drogue et armes, vol à la tire, ce banditisme des gueux, et le banditisme à coup de fusils d’assaut, celui des mafias… 

Les capitalistes quand à eux dorment tranquilles sur leurs deux oreilles : le PDG de la banque J.P Morgan avec une perte de 2 milliards de dollars du fait de spéculations douteuses a même été reconfirmé dans ses fonctions, comme naguère celui de la Banque BNP qui s’est refait une virginité en sacrifiant un sous-fifre qui aurait risqué « seul » la réputation de la banque par des pratiques hasardeuses. C’est comme une maîtresse maquerelle qui, pour garder le standing de son bordel, licencierait une de ses pensionnaires parce que trop volage ! En revanche, je n’ai jamais entendu personne en France se plaindre des riches émigrés arabes (ou de leurs femmes entièrement voilées !), africains ou asiatiques qui habitent dans les beaux quartiers de Paris, au contraire, les commerçants de luxe et les banques les apprécient, comme ils apprécient les tycoon russes ou les millionnaires étasuniens, ça fait non seulement tourner la plus-value, mais cela attire des investissements dans le luxe.

Au risque de déplaire, il faut cependant le dire, que ce soit sur l’immigration, sur la délocalisation des industries, sur l’effondrement de l’école républicaine (et ce malgré ces défauts d’hypercentralisation culturelle) depuis la maternelle jusqu’au doctorat, que ce soit sur les politiques qui laminent le niveau de vie des peuples de l’UE, les questions soulevées par le FN version Marine Le Pen sont justes et bien venues.11
 En revanche, et c’est là où le bât blesse, je n’entends dans les discours du FN aucune parole qui formulerait le réel en cas de départ de l’UE, en cas de retour à la monnaie nationale, en cas de contrôles drastiques des changes et des transferts de fonds, dans un sens comme dans l’autre ; je n’y entends rien non plus quant à la mesure essentielle à prendre immédiatement, car sans elle il ne peut y avoir une reprise de la croissance, à savoir, la fin de l’indépendance des banques centrales et la fin des emprunts d’État auprès des banques privées (mesure prise par Orbán en Hongrie – lui aussi populiste –qui a déchaîné l’ire de la Commission européenne ; mais la Hongrie compte-t-elle dans le grand jeu financier mondial ?). 10
Sur ce sujet donc, celui de la fin de l’indépendance de la banque centrale, le seul qui mettrait vraiment le feu aux poudres, le silence lepéniste est épais, le silence de Mélenchon tout autant ! 12 Pourquoi, mais parce qu’il faudrait avouer au peuple qu’il entrerait dans le temps de tous les dangers, et que tous les politiciens, de droite, de gauche et du centre et de leurs extrêmes s’entendent, chacun en son style, pour faire dormir le peuple d’un sommeil dogmatique. Ainsi l’UMP et le PS, chacun à leur manière, nous bassinnent avec une « sortie de crise sans douleur », juste une petite écorchure. Balivernes que tout cela. 

Or que serait-il ce réel qui attend les Français si d’aventure une telle option politico-économique,  objectivement radicale par rapport au mainstream de la pensée unique européocentrique et atlantiste, était envisagée comme praxis ? Ce serait à coup sûr la création d’un état potentiel de grande violence, de pré-guerre civile comme celle qui menace aujourd’hui la Grèce (avec une différence, à savoir que les partis d’extrême gauche y sont bien plus puissants que le simulacre de radicalité du Front de gauche français qui n’a pas même le mot d’ordre de lutte des classes à son programme !). Le Front national représente donc une sorte de poil à gratter électoral qui permet aux autres partis « républicains » de toujours rafler la mise électorale. Le Pen, le père, jouait le jeu avec un cynisme assumé, la fille le fait avec plus d’habileté politicienne au bénéfice… du PS bien évidemment, et en cela elle est l’alliée objective de Mélenchon. Et ce n’est peut-être pas du tout le fait du hasard si ces deux faire-valoir s’affronteront face à face dans un mois lors des législatives dans la circonscription d’Hénin-Beaumont. Voilà le spectacle qui éloignera les Français des vrais problèmes posés par la crise auxquels ils vont devoir faire face dans la quotidienneté de leur vie morose. On peut-être sûr que le spectacle de la fausse lutte contre le fascisme et de la fausse politique de gauche critique sera assuré à l’échelle nationale. Pauvre France !

Soyons lucides et cyniques au sens étymologique. Les Français, en tant que société, n’ont plus d’aspirations à de grands desseins, et en cela ils sont comme la plupart des peuples européens. Les Français ne veulent plus d’un grand destin, ils ne veulent que de petites choses simples : qu’on ne vole plus les sacs-à-main des vieilles dames dans la rue, que les banques ne grugent point leurs clients en dissipant en spéculations hasardeuses leurs médiocres économies, qu’on en finisse avec le chômage, qu’on leur verse un salaire qui leur permettrait une deuxième, voire une troisième télé et de petites vacances, et enfin que l’avenir de leurs enfants soit un tant soit peu garanti afin qu’ils ne sombrent pas dans la misère.
C’est ce qu’un théoricien révolutionnaire (certes en chambre) comme Badiou a très bien compris et exprimé dans une lettre au journal Le Monde, lequel selon son habitude et avec d’autres quotidiens du genre Libération, minaudait sur la stupidité des Français qui votent Le Pen. On le voit ces demandes soutenues par le FN ne sont pas vraiment vertigineuses, ni révolutionnaires, elles n’appartiennent pas au programme d’une utopie visant à changer totalement la Weltanschauung mondiale. A quoi se résument-elles : à un peu de civisme, à remettre de l’ordre jacobin dans l’éducation, à contrôler le capitalisme pour lui imposer un peu de vertu (illusion totale qui endort la pensée critique), et à la promesse d’un modeste bien-être assuré pour l’avenir, mais, et nous l’avons bien remarqué, tout en laissant la porte ouverte à une acceptation de l'ordre mondial existant par ses silences sur les événements du Moyen-Orient. Rien donc de très révolutionnaire dans tout cela… 

Privatisation et ordre mondial désordonné

Or après avoir beaucoup parlé de sécurité et de bien-être pour ceux qui travaillent, les socialistes d’abord, l’UMP (Union pour une majorité populaire) ensuite n’ont rien fait, au contraire, on a beaucoup plus privatisé sous le gouvernement socialiste de Jospin que sous celui chiraquien de Villepin ou sarkozien de Fillon… Et le PS, en dehors de Fabius (aujourd’hui ministre des affaires étrangères : y aurait-il quelque espoir ?) et d’Emmanuelli, a toujours acquiescé aux pires décisions de l’UE, soutenant le « oui » à la constitution européenne ; et, last but not least, dans la bonne tradition coloniale de Jules Ferry (auquel Hollande à rendu hommage tout en prenant quelques précautions), le PS a acquiescé aux politiques néo-impérialistes, y compris à celles déployées pendant la législature Sarkozy en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali, et en Syrie. Quant à l’UMP, elle a sans cesse favorisé les grandes fortunes au détriment des classes moyennes tout en tenant des discours sécuritaires pour rassurer les quartiers populaires (discours sans effet pratique autre qu’un effet de réel). 

De fait le FN et l’UMP faisaient comme si les immigrés étaient responsables de la voracité des capitalistes, quand, tout autant que les prolétaires locaux (ce que le PS oublie), ils en sont les victimes, voir les doubles victimes puisque les conditions économiques épouvantables des pays du tiers monde d’où ils viennent, les obligent à partir, à se déraciner, avec bien peu de chance de ne pas vivre, eux et leurs progénitures, une nouvelle précarité… mais il est vrai, comme le disait un économiste du tiers monde, que l’on vit mieux en fouillant les poubelles des restaurants parisiens que celles des restaurants de Dacca ! Certes il faut éliminer de ce tableau la fraction ultra minoritaire de « l’immigration choisie » qui vide les pays du tiers monde de leurs élites scientifiques et médicales, ce que Madame Le Pen a souligné maintes fois. Car la gauche « généreuse » oublie, comme par enchantement, que l’émigration choisie fournit à l’Occident et donc à la France des spécialistes dont elle n’a pas payé les études. C’est tout bénéfice.

Canossa ?
Une fois les élections achevées, on a vu la réalité de la géopolitique et de la géo-économie réapparaître dans sa froide nudité : le nouveau Président obligé de partir à Canossa, c’est-à-dire à Berlin pour faire acte d’allégeance à la chancelière allemande, car c’est là que se décide la politique européenne. Et les rodomontades de la presse française à propos de l’influence que pourrait exercer Hollande sur les politiques de relance économique européenne est un gentil bobard en ce que la Merkel sait bien que s’il n’y a plus d’argent pour acheter les produits de l’industrie allemande, celle-ci périclitera, et qu’il faut donc faire quelque chose hic et nunc, et vite, pour injecter non plus des liquidités remplissant les poches des banquiers, mais, selon un néo-keynésianisme de bon alois, pour stimuler la demande et donc la croissance. Mais voilà, toute Merkel qu’elle soit, elle est aussi le pion de ses financiers. Aussi ne peut-elle rien contre les règles européennes et ses propres banquiers anti-keynésiens, car elle aussi dirige une économie qui, au bout compte, travaille bien plus pour la spéculation financière que pour le développement productif, une économie où l’État demeure de plus en plus confiné au racket fiscal pour le service de la dette qui engraisse les banques privées.
Pourquoi voter ?
Mais pis, et plus abyssal, comment se fait-il qu’après tant d’échecs, tant de promesses non tenues, tant de mensonges, de misère insigne, tant de guerres engagées au nom de la finance masquées sous le patriotisme et les droits de l’homme, des millions de gens comme des moutons de Panurge continuent à voter pour faire survivre un système qui n’est plus qu’une forme dont le contenu, les décisions essentielles de l’économie politique, ne sont plus prises par des politiciens élus, mais par des techniciens de haut niveau nommés au service d’une oligarchie financière mondiale ? Une forme sans fondement… 
Que faire ? Vieille question ! Car la social-démocratie est demeurée encore et toujours ce qu’en a dit jadis Engels : « Le socialiste est un charlatan qui veut réduire la misère sociale sans toucher ni aux profits ni au capital. », en bref, un amuseur public qui fait le travail à la place des représentant directs du capital quand ceux-ci ne peuvent plus rien sans risquer de déclencher de la révolte sociale. Or le Front national n’est qu’une version contemporaine du nationalisme jacobin de droite ; il a récupéré l’ancien souverainisme jacobin que la social-démocratie et le PCF ont laissé en jachère, et c’est pourquoi une partie de la classe ouvrière vote pour lui… Dans le jeu démocratique dit de l’alternance, le FN n’est en définitive admis au jeu électoral que pour mettre le Capital à l’abri d’un dangereux renversement de situation. C’est pourquoi on peut donner entièrement raison à Coluche lorsqu’il affirmait avec son inimitable ton goguenard que « Si voter servait encore à quelque chose, il y a longtemps que ce serait interdit ».
Quelles conditions pour un autre monde ?
Le jour où le peuple comprendra qu’il faut délégitimer par l’abstention massive le spectacle électoral, alors commencera peut-être un renouveau de l’en-commun politique, lequel suppose la mise en perspective d’un authentique destin du vivre ensemble où le bien-être collectif passe avant les avantages catégoriels, où le bonheur de l’individu ne peut jamais être délié de celui que reçoit l’autre, où le darwinisme social inhérent à la nature humaine prédatrice (Hobbes) doit être compensé par le non-naturel en l’homme, une contrainte élaborée et imposée par une civilisation, non pas celle du bonheur béat devant l’amoncellement des marchandises qui nous éloigne de toute compassion, mais celle d’être-ensemble dans la mesure (to métron) et non dans la démesure (amétria, hybris), d’être-ensemble pour repousser l’ostentatoire de la consommation, de la dissipation, pour vivre dans l’équilibre et le copartage afin de laisser à tous le loisir de rêver, de lire, d’aller à la pêche, de se promener, de quêter le Beau et le sublime (voir les ravages architecturaux menés par le profit immédiat) et de le réaliser parfois. Et pourquoi pas, vivre dans la joie de ne rien faire, promouvoir enfin le droit à la paresse pour rappeler l’œuvre de Paul Lafargue (gendre de Marx)… Mais pour cela, il faudrait en finir avec le fanatisme nihiliste du travail productif direct ou indirect et son corrélat, le fanatisme nihiliste de la consommation outrancière ; fanatisme du travail productif qui, en dépit des assertions du marxisme et du léninisme n’a jamais été un destin, mais une terrible fatalité …Or  le spectacle électoral affligeant que nous ont offert les Français et leurs élites politiques, et qui va continuer avec les élections législatives, est bien loin de préparer un quelconque changement… Nous continuerons sur la même route, accompagnés d’un discours certes quelque peu différent, mais les grands bénéficiaires demeureront toujours les mêmes, comme les injustices.
1  Sans parler des candidats qui sont filtrés par le système des 500 parrainages électoraux obligatoires malgré leur large diffusion par le biais de conférences et vidéos comme c'est le cas, par exemple, de François Asselineau, fondateur de l'Union populaire républicaine, un parti regroupant sde gaullistes et des souverainistes de gauche prônant la sortie de la France de l'Union européenne et de l'OTAN.
2 Auxquels on devrait encore rajouter le nombre des citoyens qui ne se sont même pas inscrits sur les listes électorales, et j’en connais de nombreux parmi mes connaissances.
3 C'est probablement la constatation de ce décalage grandissant entre le peuple et ses élites politiques qui explique que les « démocraties occidentales » aient poussé en 2004, par le biais de l'Observatoire des élections de l'OSCE < http://larussiedaujourdhui.fr/articles/2011/08/26/la_personne_cle_des_elections_russes_le_dit_cest_la_participation_qu_12650.html >, la Russie et d'autres pays de l'ex-URSS à supprimer du choix offert aux électeurs celui de voter « contre tous les candidats », législation assurément « populiste » héritée de l'URSS qui prévoyait que si une majorité de votants faisait ce choix, les élections devaient être répétées sans la possibilité pour les partis de représenter aucun des candidats précédents. Une refonte totale potentielle de la « classe politique » ! On imagine l'effroi que ce type de législation soulevait, telle une épée de Damoclès, au sein de la « classe politique » occidentale qui aime tant donner des leçons de démocraties aux « peuples infantiles » de l'Est et du Sud.
4 Même si, sur le terrain, il existe encore dans certains quartiers et dans certaines entreprises des cellules militantes locales du PCF consistantes et actives, à l'échelle nationale, le PCF a largement cessé d'être présent dans les luttes quotidiennes. Les militants les plus authentiquement fidèles à ses principes fondateurs ayant été marginalisés au niveau de l'appareil du Parti ou s'étant dispersés dans plusieurs petits groupes (PRCF, URCF, Rouges vifs, Combat communiste, etc.) ou dans l'activité syndicale et associative. Pour beaucoup, le PCF est ainsi devenu un parti de « notables » locaux, ou de « fils » ou « filles» quelque peu assagis d'anciens dirigeants révolutionnaires. On note toutefois récemment, dans la foulée du Front de gauche, une timide augmentation des effectifs du PCF qui va de pair avec la radicalisation du Mouvement des Jeunesses communistes.
 5 Dans un récent entretien accordé au Guardian, François Hollande avait déclaré : « Aujourd'hui, il n'y a plus de communistes en France » < http://gauche.blog.lemonde.fr/2012/02/14/y-a-t-il-encore-des-communistes-en-france > ce qui est peut-être exagéré mais le simple fait qu'il soit possible de le dire témoigne d'une évolution engagée il y a une trentaine d'années et qui, jusqu'à maintenant, n'a toujours pas été véritablement contrée par les intéressés.
Organisation trotskyste radicale et ouvriériste qui avait pu atteindre jusqu'à plus de 5% des voix lors de précédentes consultations électorales.
7 Le NPA avait commencé en grande pompe autour d'un noyau fondateur des cadres de l'ancienne Ligue communiste révolutionnaire, de tendance trostkyste, mais il a depuis perdu la plupart de ses nouveaux militants issus des quartiers populaires et de l'immigration, en particulier à cause de sa gestion ambiguë des questions de classe et de son attitude paternaliste manifestée envers ses militantes socialement radicales et féministes mais simultanément ouvertement musulmanes, et donc portant le foulard dit islamique.
Ce qui ne doit pas occulter le fait qu'une partie des militants et des électeurs qui se sont retrouvés derrière sa candidature aient repris goût à un discours et à un militantisme radicalement anticapitalistes et marxisant qui avait perdu toute légitimité au cours des dernières « trente piteuses ». Ce qui explique aussi la multiplication des interventions appelant le peuple à se mobiliser dès la fin des élections législatives de juin prochain pour forcer « la gauche » à réaliser ses promesses. Ce qui pourrait à terme changer le rapport de force « en faveur de la rue ». Voir à ce sujet la crainte ouvertement manifestée en fin d'interview par Nicolas Doisy, « Chief economist » de Chevreux, entreprise de conseil aux banques et fonds de pension français et anglo-saxons : < http://www.la-bas.org >.
9 Voir Jean-Paul Brighelli, La fabrique du crétin : La mort programmée de l'école, Jean-Claude Gausewitch, Collection « coup de gueule », 2005, 221 p.

10 Même si par ailleurs sa manipulation explicite et implicite de sous-entendus racistes peut choquer. Mais va-t-elle vraiment plus loin sur ce terrain que les notables de l'UMP tel le président sortant ou son ministre de l'intérieur, ou le nouveau ministre de l'intérieur « socialiste », Manuel Valls ?11 A la différence de la reprise du contrôle de l'économie nationale suite à des mouvements populaires de masse en Islande < http://www.youtube.com/watch?v=9rGNF-C6Xek > et en Argentine < http://www.ptb.be/nieuws/artikel/apres-le-petrole-en-argentine-la-bolivie-nationalise-le-reseau-electrique-national.html >, ce dont les « grands » médias de masse ne parlent pas. Pas plus d'ailleurs que de l'actuelle grande grève des étudiants et des élèves au Québec en faveur du maintien de l'éducation gratuite, et qui dure depuis plusieurs mois et a rassemblé plus de 200 000 manifestants pour une « province » comptant à peine 7 millions d'habitants < http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=y5jtouWzbJ4 >

12 [1]   < tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-demandez-le-programme/20120413.OBS6162/que-reprochent-melenchon-le-pen-et-dupont-aignan-a-la-bce.html >




Bucarest le 17 mai 2012