mercredi 19 juin 2019

Éthique et médecine au présent, un aspect du nihilisme moderne



Éthique et médecine au présent, un aspect du nihilisme moderne*


« The world is too much with us; late and soon, Getting and spending, we lay waste our powers; – Little we see in Nature that is ours; We have given our hearts away, a sordid boon!”

William Wordsworth, 1807






Aujourd’hui nul ne peut parler sérieusement de médecine sans l’aborder par la problématique de la technoscience tant ce très ancien[1]« art » de guérir a subi au XIXème siècle une transformation radicale, devenant l’une branche des sciences appliquées issues de la biologie générale, de la biologie moléculaire, de la chimie, des neurosciences, de la micro-informatique, de l’électronique, de la physique des solides, de la physique nucléaire.

Deux informations récentes ont, une fois encore, appelé mon attention sur l’aspect extrême des ultimes innovations scientifiques de la médecine.
1) Un laboratoire de médecine expérimentale chinois a réalisé des jumeaux humains par le clonage d’un embryon.
2) Des laboratoires étasuniens de robotique et de neurosciences ont mis au point des implants cervicaux nano-microscopiques qui selon des programmes préétablis dont ils seront chargés au préalable, feront agir le sujet sur ordre sans que celui-ci y perçoive la volonté d’un agent extérieur, au contraire, il percevra son action comme venant de sa propre initiative, produite par sa propre décision.

En lisant ces informations je me suis rappelé des scènes brossées dans des romans de science-fiction à portée philosophique, plus précisément à Brave New World d’Huxley et à 1984 d’Orwell.

On le remarque d’emblée, dans les deux cas choisis, qu’il s’agit, une fois encore, de lutter contre la nature en contrôlant son déroulement normal, c’est-à-dire celui instauré comme telle dès l’origine de la vie, non seulement de l’espèce humaine, mais au moins de tous les mammifères. Dans le premier cas on modifie de fond en combles le procédé naturel de reproduction en intervenant au cœur même du processus de division cellulaire, dans l’autre ont s’approprie des processus de décision spécifiques à la conscience humaine. Que le décours de la reproduction naturelle d’une part et la conscientisation de soi par rapport au monde extérieur soit le fait d’un créateur incréé ou d’un quelconque big-bang physico-chimique cela n’a aucune importance, c’est toujours contre la nature que ces travaux exemplaires de la modernité s’instaure.

Déjà au milieu du XXe siècle nous avions de nombreux exemples de cette lutte acharnée contre la nature où la médecine grâce à la biologie moléculaire et la chimie eurent un rôle décisif dans la mutation radicale des comportements humains. Ainsi la pilule contraceptive pour les femmes et maintenant pour les hommes a entrainé une transformation totale des comportements humains vis-à-vis de la procréation (au moins dans les sociétés technologiquement avancées), des relations sexuelles et en conséquence de l’érotisme, de l’interdit, du prohibé, du tabou, et de manière plus générale de la séduction. Présentement, l’enfant n’est plus une fatalité du corps féminin, car plus encore que l’avortement pratiqué de très longue date et par les populations les plus primitives, la pilule permet de manière bien plus précise d’élaborer des choix de vie, que ce soit dans le cadre de stratégies professionnelles comme dans l’organisation de la vie quotidienne en sa totalité. On remarquera qu’en Europe toutes ces avancées des technologies biologiques et chimiques (qui impliquent tout autant la médecine vétérinaire) sont concomitantes et liées à la fin de la civilisation paysanne, à l’effondrement de la religiosité et des traditions populaires, lesquelles ont été et sont largement réifiées et pétrifiées dans les musées paysans et les spectacles théâtraux ad hoc. Avec les puces et les nano-implants nous voyons se profiler la fin de l’autonomie de la pensée autonome pour une majorité d’hommes et de femmes, et la mise en place d’une nouvelle forme d’esclavage, d’un esclavage totalement consenti car insaisissable comme aliénation par une conscience préprogrammée… Dès lors il ne sera plus question de la Servitude volontaire(La Boëtie) imposée par le tyran grâce à lâcheté humaine, servitude toujours porteuse de culpabilité et de révolte du fait de la conscience malheureuse, mais, a contrario, d’une servitude heureuse car issue de la conscience de soi pour soi ! Voilà qui donne une dimension nouvelle à la biopolitique, laquelle, pour le dire aux semi-doctes, n’est pas née de la plume de Foucault, mais, longtemps avant, de celle de Platon (précisément le penseur à l’origine de la modernité selon Heidegger).[2]Certes, cette lutte contre la nature ne date pas d’hier, on peut en situer l’origine depuis que l’homme a commencé à domestiquer les animaux et les plantes, et à sélectionner les espèces en fonction de ses besoins, c’est-à-dire depuis la révolution néolithique et la sédentarisation des chasseurs-cueilleurs. Mais de manière plus essentielle c’est l’intervention de la science en tant qu’expérimentation systématiquement calculée qui en a changé le mode opératoire et donne aujourd’hui des résultats non seulement spectaculaires, mais à proprement parlé inouïs : les changements de sexes chez les hommes et les femmes, les manipulations génétiques sur les plantes, les animaux et les hommes, la construction d’humanoïdes dotés d’une intelligence artificielle répondant aux situations aléatoires qu’ils rencontrent sont autant d’exemples pertinents. Ce sont ces prouesses technologiques qui permettent par exemple le développement de la théorie du genre parce que leurs résultats offre la possibilité de critiquer toutes les différences jadis attribuées au culturel et non à la nature biologique donnée des êtres vivants (en effet, en son écrasante majorité la vie des animaux supérieurs est le résultat du croisement de deux sexes différents !). Cette lutte contre la nature entraînant une conception hyper-individualiste de la liberté où chacun serait le maître du choix de son sexe quel qu’il soit à sa naissance ; hyper-individualisme qui correspondrait par ailleurs à la théorie politiquo-économique de l’hyper-libéralisme techno-capitaliste, la nouvelle synthèse du mondialisme entre l’économie proposée par Milton Friedman, la théorie génétique et la biologie moléculaire.

Or, il faut en convenir, lutter contre l’état naturel du vivant c’est lutter contre ce qui avait été donné dès l’origine à l’homme comme un état intangible. « C’est la vie ! » disaient jadis les paysans archaïques face à la mort, c’est-à-dire c’est le décours normal du devenir inscrit dans l’éternité de la vie des hommes en société. A contrario, il suffit d’observer comment les sociétés humaines les plus modernes repoussent la mort comme fatalité insupportable, que dis-je, dans certains cas comme aux États-Unis en tant que destin obscène, et, en conséquence, comment elles cherchent dans toutes sortes de découvertes scientifiques les moyens de différer, de congédier sine diela mort, voire même de ressusciter la personne ou l’animal par clonage de son ADN après un séjour cryogénique, pour percevoir l’ampleur de la mutation spirituelle engendrée par de notre modernité. Lutter contre l’intangibilité des valeurs d’une société humaine, c’est, de fait, lutter contre les panthéons spirituels que les hommes avaient élaborés pour donner sens simultanément à l’éternité groupe et à la fragilité mondaine de l’individu. Ainsi l’éternité des Grecs se nommait la physisque nous trahirions si nous le traduisions par « nature » puisque selon Aristote elle comprend aussi la Polisentourée de ses champs, de ses forêts, de ses plaines et de ses montagnes domaines des dieux, des demi-dieux, des nymphes et des satyres avec leur théâtre grotesque ou tragique. Comme anthropologue, et pour agrémenter d’une touche d’exotisme cet essai, je me permets de signaler que les Dayak de Bornéo ne pensent pas différemment lorsqu’ils refusent de très consistantes sommes d’argent de la part des industriels du bois malaysiens qui cherchent à s’approprier les essences précieuses de leurs forêts primaires. Ils avancent qu’ils ne peuvent vendre la forêt puisqu’elle est le lieu de résidence des esprits de leurs ancêtres avec lesquels ils entretiennent répétitivement un long commerce mémoriel et cérémoniel. Récemment aux États-Unis des Indiens Sioux ont refusé le passage sur les terres de leur réserve d’un pipe-line de pétrole parce qu’il traversait des terres sacrées où reposent leur ancêtres et, qu’on ne peut attenter à l’espace des morts sous peine de grands châtiments. Je pourrais multiplier ainsi les exemples des peuples primitifs pour qui les valeurs transcendantes sont véritablement transcendantes, intouchées par l’agir humain sublunaire.

Dans l’Europe chrétienne médiévale si les forêts abritaient encore des fées et des elfes, l’illimité de l’exploitation de la nature était encouragé et légitimé par la Bible qui enjoint aux hommes de l’exploiter et de proliférer. Toutefois en ces temps on ne travaillait pas le dimanche et ni lors des jours fériés en grand nombre. J’ai encore trouvé cet état dans les campagnes roumaines, voire en ville dans les années 1970. Les théologiens médiévaux comme Albert le Grand ou Saint Thomas d’Aquin avaient démontré l’inanité du prêt à intérêt parce que précisément l’intérêt court (travaille) les jours chômés qui doivent être impérativement voués à la prière, à Dieu, au Christ, à la Vierge et aux saints. Or qu’est-ce l’intangibilité des valeurs qu’elle soit spatiale chez les Grecs ou temporelle chez les Chrétiens ? Qu’elle est la qualité essentielle de ces référents qui se présentent comme immuables et invariants ? En langage philosophique on les appelle des valeurs transcendantes, des valeurs qui dépassent toutes autres actions ou justifications mondaines. Cependant lorsqu’on regarde l’histoire humaine depuis quelques bons siècles nous constatons que ces valeurs ont partout volé en éclat, dussent-elles parfois soutenir des combats d’arrière-garde aussi violents que vains pour en maintenir la vérité. Quoi qu’il en fût, au bout d’un temps, les résultats furent toujours les mêmes, ces valeurs intangibles cédèrent face à la modernité technique, à l’efficacité pratiques des applications, au confort qu’elles pouvaient apporter, mais aussi aux violences mortelles qu’elles impliquaient, aux victoires militaires totales qu’elles étaient sensées préparer. Cet effacement plus ou moins lent, plus ou moins rapide des valeurs transcendantes touche toutes les activités humaine, l’industrie et l’enseignement, l’ingénierie et… la médecine dans son rapport de plus en plus intime à la technoscience. Parmi ces valeurs l’éthique prétendue intangible occupe une place essentielle en ce que ses concepts voudraient imposer à la politique, mieux, quand elle se veut elle-même politique fondée sur l’antique dichotomie légal / légitime, où le légitime représente le moral.[3]Dès l’advenue de l’expérimentation scientifique la médecine s’est confrontée aux valeurs transcendantes, depuis la dissection jusqu’aux toutes récentes expérimentations sur l’embryon humain (pour l’animal la chose est admise depuis plus d’un demi-siècle).

En effet, s’il y a des limites intangibles aux pratiques expérimentales (la théorie pose moins de problème puisque Copernic pu exposer son système théorique sans subir les critiques de l’Église alors que Galileo, l’expérimentateur, dut en subir les foudres !), les résultats qui épistémologiquement appellent au dépassement pour prouver le bien-fondé de la théorie s’en trouveraient bloqués. Or la science fonctionne toujours dans le cadre d’une dynamique du dépassement, mais d’un dépassement non dialectique, d’un dépassement arithmétique, géométrique ou exponentiel. Alors la médecine devenue de plus en plus scientifique, de plus en plus liée aux science expérimentales les plus en pointe est contrainte d’outrepasser les limites éthiques que la société, au travers de ses lois morales ou de ses institutions, lui avait imposées. Comme toutes les sciences expérimentales, il faut qu’à chacun de ses pas en avant la médecine justifie l’outrepassement qu’elle s’était interdit auparavant quand l’au-delà avait été envisagé comme infranchissable, immoral (illégitime), inacceptable par le Demos, le socius, la collectivité. A l’usage on constate qu’aucune morale ne peut arrêter cette fuite en avant, en ce que les inductions et les déductions théoriques venues de la pratique ne peuvent être vérifier que par cet outrepassement. En conséquence se trouvait bouleversée de plus en plus violemment et rapidement notre relation au vivant, laquelle n’était plus la source d’un émerveillement divin comme le percevait encore Saint François d’Assise devant les oiseaux, mais l’artefact d’un pur objet d’expérience. Ainsi en est-il du corps humain pour la médecine.

Finalement pour que la science avance il lui faut repousser sans cesse, ad infinitum, les limites des valeurs éthiques qui en bloquaient la marche. Déjà Aristote l’avait entrevu quand il écrivait (Politiques) que l’infini ne doit pas commander aux hommes. Or justement la science construit le possible de ses objectivations comme l’infiniment indéterminé a priori, comme l’illimité (apeirondes Grecs) ou si l’on veut en termes kantien comme les conditions de possibilités illimitées de l’objectivation. Quels sont donc ces champs de l’activité humaine qui non seulement travaillent dans l’illimité, mais dont l’illimité est l’essence (Wesen) même de leur devenir : la techno-science et l’économie, ce que Heidegger désigne comme Arraisonnement ou Dispositif (Ge-stell), métaphysique de la modernité technique. La première invoque le progrès scientifique, la seconde le progrès économique et social. D’où une conséquence évidente : l’ensemble que l’on peut nommer sans erreur le progrès techno-économique ne supporte, au bout du compte, aucune limite qui entraverait son perpetuum mobile. Plus précisément, c’est par la permanente destruction des valeurs, et en particuliers des valeurs éthiques que le progrès techno-économique peut s’avancer dans son inexorable marche triomphante. Aussi dans cette synergie de destructions et de reconstructions permanentes les valeurs éthiques en mutation sont-elles le trait caractéristique de la civilisation européenne au moins depuis la fin du Moyen-âge occidental et la découverte de l’Amérique.

Détruire sans cesse pour reconstruire et détruire à nouveau, c’est le mouvement même du monde que nous avons construit dès que les dieux grecs nous ont abandonnés et dont Nietzsche avait formulé l’empreinte philosophique. Il lui attribua un nom, nihilisme. Toutefois il convient de préciser, il ne s’agit pas du nihilisme des déshérités et ni de celui des terroristes politiques voulant la disparition du Tsar, ceux dont Dostoievski avait tracé le portrait dans Les Possédés. Le nihilisme dont il s’agit ici, c’est le nihilisme propre à la modernité, mieux encore, le nihilisme fondateur de la modernité, car sans nihilisme nous vivrions dans la tradition, or nous vivons dans l’innovation permanente et l’augmentation continuelle du nouveau, du produire, du consommer, du gagner-dépenser-détruire. Notre nihilisme c’est celui d’un trop-plein en permanente autodestruction. C’est lui qui donne sens au monde et imprime une interprétation a-morale du monde, parce que ses valeurs morales sont en permanente transformation, sont transitoires et éphémères (comme l’exposent certaines œuvres caractéristiques de l’art contemporain), et c’est pourquoi elles ne sont en fait si morales ni immorales, elles traduisent simplement une absence de morale, elles sont a-morales.

A cette mise en évidence du nihilisme comme destin de la modernité sans foi ni loi transcendantes puisque sans cesse le déjà-établit se transforme, il convient d’ajouter l’élément qui engendre la mise en mouvement de l’illimité de la science. En effet pour sans cesse outrepasser les limites éthiques imposées pendant un temps à la recherche scientifique, il faut que le monde et nous-même puissions être le topos, l’espace-temps, d’une possible objectivation infinie. Au cœur de ce maelstrom nous sommes menés, que dis-je, nous sommes malmenés car nous sommes pensés par la volonté de puissance de l’objectivation qui, parce que justement elle est infinie, laisse toujours le champ ouvert à l’illimitation éthique. Dès lors à chaque moment le transcendant est bafoué, nié (ne nous a-t-on pas dis voilà quelques années que l’on ne toucherait pas aux embryons humains pour cloner ?), refoulé, repris, ré-agencé pour assumer et légitimer la transmutation des valeurs. « Car, et Nietzsche nous l’expose clairement, c’est ainsi que se déploie l’idéal de la puissance de l’homme du moderne, puissance de l’Esprit (la logique) et de la richesse qui sont destructeurs de la vie humaine authentique » (in Extraits posthumes 1887).  Certes dans cette course sans fin à l’innovation on peut saisir tout à la fois, une fascination, un vertige, une hallucination, une névrose et un aveuglement qui me font songer à ce proverbe grec : « Dieu aveugle celui qu’il veut perdre », le Dieu ici étant la Raison dans la logique des propositions. Et c’est tellement patent que l’on discerne dans l’essence de cette poursuite fantasmatique ou infernale selon nos inclinations phénoménologiques, la vérité de l’enracinement de notre séjour dans le monde ou si l’on préfère le déploiement du Das daseinde l’homme moderne, pour le dire comme Heidegger, ou, traduit si on le peut, notre être-le-là-dans-le-mondede nos temps d’indigence éthique. Il faudrait donc rechercher l’origine de cette mutation de la pensée européenne qui nous a mené au nihilisme. Dans sa lutte contre l’Aufklärung, la tyrannie de la rationalité et l’empire de l’Esprit hégélien Nietzsche avançait l’hypothèse suivante : « La croyance dans les catégories de la raison est la cause du nihilisme » (Cf. divers passages de Morgenrote). Il ajoutait, ces catégories créent un monde imaginaire différent du monde réellement vécu par les gens, le véritable monde tragique des hommes dans leurs passions.[4]S’il est une évidence de notre présent c’est bien la disparition de l’enchantement du monde. Enchantement du monde que l’on pouvait entendre comme la croyance vivante dans la parole chrétienne formulée par Tertullien dans le De Carne Christi (c. 203-206), « prorsus credibile est, quia ineptum est”souvent rapporté par « Credo quia absurdum »

Or du moment que l’on a commencé à démontrer l’existence de Dieu en termes logiques (Albert le Grand, Saint Thomas) on est entré dans un univers mental qui ébranle le transcendant merveilleux. La nouvelle manière d’assumer la foi eût pu proclamer : « Je crois parce que c’est rationnel ! » Dès lors que l’étape suivante s’est manifestée par l’interprétation du monde s’appuyant sur les calculs mathématiques (Descartes, Leibnitz), toute la nature, y compris l’homme, n’est plus que la somme d’objets potentiels de la connaissance scientifique infinie. C’est pourquoi la logique mathématique est donnée comme l’instrument unique de la connaissance totale, idéalement sans reste, même si ce « sans reste » réel est un fantasme sans cesse réactualisé en un nouvel objet. Aussi pour que cette puissance potentielle puisse se réaliser lui faut-il éliminer tout ce qui l’entrave, et plus précisément la morale, car la volonté de puissance qui l’habite n’a que faire de la morale, c’est vrai en politique, c’est aussi vrai dans les sciences. Or la médecine comme je le rappelais au début de cette conférence est devenue une science appliquée qui ne peut échapper à cette energeiaet à son destin inexorable et inflexible : les Grecs l’appelaient une nécessité inaltérable, une fatalité implacable, l’ananké.

C’est pourquoi on trouve des hommes tout-à-fait normaux qui peuvent envisager de déclencher le feu nucléaire pour imposer leur volonté de puissance ; c’est pourquoi on trouve quantités de chercheurs qui travaillent à inventer des armes plus mortelles les unes que les autres. C’est aussi pourquoi on trouvait jadis des médecins qui réalisaient des expériences et des mutilations sur des hommes dans des camps de concentration allemands, et naguère d’autres médecins, dans des pays démocratiques comme les États-Unis[5]qui pratiquaient des expériences mortelles sur des hommes de couleurs ; il y a encore ceux qui depuis 1945 assistent des militaires qui torturent des prisonniers politiques comme ce fut le cas lors des dictatures militaires en Amérique du Sud. Certains nous diront que ce sont des cas extrêmes, toutefois ils sont suffisamment réels et fréquents pour être donnés comme exemples pertinents. Nous savons que les autorités étasuniennes comme celles de l’ancienne Union soviétique ou chinoises ont procédé à des expériences médicales sur des prisonniers de droit commun ou politiques sans que cela n’émeuve grand monde. Quant aux animaux nous voyons tous les jours la manière dont la production et l’expérimentation les traitent, comme de simples objets manipulés qui n’auraient ni sentiment ni douleurs pour les besoins de la science et de la production de masse.

Certains intellectuels sensibles se plaignent de la violence qui nous entoure, de la violence de la vie quotidienne dans nos sociétés, de la violence dans la manière de résoudre les divergences politiques et sociales. Mais leur surprise est à la hauteur de leur « sommeil dogmatique » pour parler comme Kant. S’ils avaient conscience du notre mode-à-être nihiliste dans le monde, ils comprendraient qu’y ayant fait sauté tous les verrous éthiques le monde ne fonctionne plus que sur le mode du désastre propre à démesure de la croissance maximum. L’hybrisdont les Grecs avaient déjà saisi combien elle engendre l’aveuglement orgueilleux qui habite l’homme centré uniquement sur lui-même. Or qu’est-ce que l’orgueil de l’homme moderne si ce n’est cette inextinguible soif de connaissances et de produire pour laquelle il est prêt à tout détruite, y compris son propre sol, notre planète.

Dans un l’un de ses plus célèbres ouvrages, Was heißt Denken ?, le philosophe allemand Martin Heidegger écrit une phrase qui créa une surprise de taille et de vives polémiques de la part des rationalistes : « Die Wissenschaft denkt nicht ! », « La science ne pense pas ! ». Une lecture superficielle avait trompé les lecteurs peu attentifs à la suite du texte. Le maître de Fribourg ne voulait pas dire que les scientifiques ne pensaient pas leurs recherches et leurs élaborations théoriques, il voulait signifier que la science ne pensait pas l’origine de ses conditions de possibilité. Or ces conditions de possibilité se tiennent dans l’apeironet le nihilisme qu’il engendre.

Claude Karnoouh, Bucarest le 3 juin 2019





*Cet essai est le texte amendé et développé d’une conférence donnée le 5 juin 2019 à Craiova à l’occasion du XIème congrès national de stomatologie organisé par la faculté de médecine dentaire du 5 au 8 juin 2019. Je tiens à remercier ici Madame le Doyen de la faculté de médecine dentaire de l’Université de Médecine de Craiova, Madame Veronica Mercuț et mon collègue et ami le professeur de philosophie Ionel Bușe.
[1]Le premier traité de médecine trouvé en Égypte date de XXXe siècle avant J.C.
[2]Cf., Peter Sloderdijk, Regeln fûr den Menschenpark, Frankfort am Main, 1999.
[3]A cet égard rappelons Antigoneet les débat du procès Eichmann rapportés par Hannah Arendt dans Eichmann ou la banalité du mal.
[4]Sur ce thème nietzschéen de l’irréalité de la logique et de la rationalité cf., Clément Rosset, Le Réel et son double, Paris, 1976.
Black enlisted men were used as human guinea pigs in chemical experiments during World War II—not by Nazi Germany, but by Uncle Sam.
Cf., aussi... https://www.bvoltaire.fr/intelligence-artificielle-vers-une-medecine-sans-humanite/?mc_cid=abcaeedea1&mc_eid=8c196957a5

mercredi 27 février 2019

Brèves remarques sur l’antipolitique en Roumanie : à propos des manifestations de janvier 2018 à Bucarest

Brèves remarques sur l’antipolitique en Roumanie : à propos des manifestations de janvier 2018 à Bucarest


Elles arrivent avec une régularité quasi mécanique pendant le mois de janvier de chaque année, les manifestations de rue contre tout gouvernement issu du parti social-démocrate (PSD). Est-ce parce que des lois ou décrets votés fin décembre choquent une partie des salariés qui laissent passer les joyeusetés des fêtes de fin d’années pour agir ? Est-ce parce que les rancœurs accumulées tout au long de l’année peuvent s’exprimer plus librement après les agapes des réveillons ? Je ne saurais le dire précisément, mais le fait est là, régulier comme un métronome, janvier arrive, le temps des manifestations est alors venu.
Cette année n’y a pas échappé, et on a vu le samedi 19 janvier au soir à Bucarest une masse de plus de 50.000 personnes occuper la Place de l’Université puis la place de la Constitution. Devant eux un double cordon de gendarmes plutôt bon enfant malgré quelques dérapages ici et là, mais rien de comparable à la violence de la police française, allemande ou italienne quand elles sont confrontées à de semblables événements. Faut-il le dire au risque de choquer les bons sentiments de certains en Roumanie, la gendarmerie roumaine fait preuve d’une retenue démocratique que nous aimerions rencontrer en France ou en Italie lors de manifestations autorisées !
Quel est l’enjeu du mouvement Rezistmonté sur les réseaux de socialisation par des anonymes sans aucune direction politique apparente ? Il s’agirait de la lutte contre la corruption dont le PSD serait le seul représentant et bénéficiaire avec son allié ALDE. A priori, cela se confirmerait si l’on regarde dans un temps très court, depuis l’an passé, depuis que les gouvernements se succèdent après l’ordonnance n° 13 sur l’amnistie des représentants politiques coupables de corruption, puis aujourd’hui avec les nouvelles impositions en baisse pour les voitures de grosses cylindrée et en hausse pour les voitures de petites cylindrée, le nouveau code des impôts pour les professions libérales (qui touche nombre d’acteurs culturels free lancedont beaucoup vivent à la limite de la pauvreté), l’amnistie pour les entrepreneurs immobiliers en tant que personne physique qui n’auraient pas payer leurs impôts sur les constructions nouvelles. Mais l’opposition, le PNL et l’USR, sur certains points importants, comme le dernier, ont voté avec le PSD ! De plus la corruption politique en Roumanie est une plaie récurrente aussi vieille que la naissance de la Roumanie moderne (sauf peut-être pendant la période authentiquement stalinienne de Gheorghiu Dej) déjà dénoncé par le poète-journaliste Mihai Eminescu à la fin du XIXe siècle et, au début du XXe siècle par le plus important homme de théâtre, le très génial Caragiale, sans compter les nombreux reportages de journalistes étrangers pendant l’Entre-deux-guerres. Toutefois, parmi les « bonnes âmes » qui dénoncent la corruption et hurlent pour une société pure, combien sont-elles qui n’ont pas pratiqué à leur échelle la corruption pour des avantages. Combien sont-elles qui emploient une bonne ou une femme de ménage en la déclarant officiellement ? Combien sont-elles celles qui font travailler au noir nombre d’artisans ? Combien parmi les professeurs qui donnent des leçons particulières aux enfants et aux adolescents déclarent-ils aux impôts ces revenus supplémentaires ? Combien parmi les manifestants sont-ils à n’avoir jamais donné un bakchich à un médecin, une infirmière, un employé quelconque ?« Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre » (Jean 8,7).Car les gouvernements et les types de pouvoir ont quelque chose à voir avec la culture socio-politique d’un peuple, parce que ce sont les comparaisons superficielles et les schémas de politologie qui unifient les cultures oubliant justement cette caractéristique de l’espèce humaine dans sa diversité linguistique, la différence culturelle, c’est-à-dire la diversité des rapports au monde parmi les peuples, y compris au monde politique. On ne peut par exemple comparer une administration centralisée comme celle de la France que l’on peut dater de la naissance de la monarchie absolue (et donc de la transcendance étatique supplantant le pouvoir religieux et qui mit quelques siècles à s’imposer), lorsque pour mettre fin aux guerres de religions le bon roi Henri le quatrième jeta à ses fidèles réformés sidérés, « Paris vaut bien une messe », justifiant ainsi son retour au catholicisme et, à la clef, la couronne de France, avec un pays dont l’accession à la modernité mimétique des élites, sans révolution populaire massive, date de 150 ans. C’est un fait avéré que les pays du Sud de l’Europe récemment modernes et unitaires sont tous marqués d’une corruption à tous les niveaux de la vie politique et administrative ! De ce point de vue l’opposition italienne entre le Mezzogiornomaffieux et le Nord germanisé en est l’exemple parfait. Aussi aucune manifestation de rue ne pourra-t-elle transformer cette culture de la corruption politique, sociale et administrative sans la discipline d’un enseignement dur et d’une éducation familiale qui malheureusement n’existe presque pas.
Mais ce n’est pas tout, ce qui me frappe c’est, hormis le slogan affiché par Mihai Bumbes contre la politique néolibérale du PSD, tous les slogans qui dénoncent le PSD comme la « peste rouge ». Ces cris de « peste rouge » sont la preuve du délire de ces masse qui tient à la fois du déni de réalité pour les naïfs (et ils sont des milliers) et d’une manipulation sémantique évidente de la part des orchestrateurs de ces mobilisations. Quelle « peste rouge » dites-moi ? Seraient-ils des communistes ? Mais le programme du PSD est tout, sauf un programme politico-économique communiste, à preuve il veut présentement privatiser l’Hidrolectrica, l’un des derniers fleurons de l’industrie roumaine ! Le PSD serait-il de la même matière que le socialiste Corbin, le travailliste anglais ? Non, certes non. Ce parti est un mélange de mafieux du business local, les « barons », et de gens des services agissant dans le cadre d’un système de clientélisme dans les provinces appauvries par les thérapies de choc (les trois-quarts du pays) qui s’assurent leur réélection grâce aux prébendes et aux aides diverses qu’ils redistribuent quelque peu aux pauvres et qui contribuent à donner un peu de quoi survivre à des gens qui sans cela mourraient littéralement de faim. Dans un pays devenu un quasi désert industriel, dans un pays où plus une seule banque n’est propriété roumaine privée ou d’État, dans un pays où les remontrances de l’ambassadeur des États-Unis et du représentant de l’UE, véritables proconsuls, décident de la politique intérieure et étrangère, parler de « peste rouge » relève du fantasme d’intellectuels en mal de renom ou des délires de gens qui aurait fumé trop d’herbe. 
En Roumanie, il n’y a pas à proprement parler de gauche politique hormis de minuscules groupes d’intellectuels sans influence au-delà du centre où se trouvent les institutions universitaires des quelques grandes villes et dont la pratique critique ne dépasse jamais (sauf exceptions notables) l’étroite ligne rouge qui leur ferait perdre tout espoir de bourses venues de l’étranger ou de l’État. Majoritairement le pays politique est de droite sans que cela ait un véritable sens, car la Roumanie est un excellent exemple de l’effacement postmoderne du clivage politique droite/gauche mis en place sous la révolution française et qui a perduré à peine plus de deux siècles. Aujourd’hui, droite et gauche se recouvrent ou se divisent selon les problèmes les plus prégnants comme les modes de développement économiques et écologiques, ou la souveraineté nationale, le rapport aux ONG, à l’UE, à l’OTAN, au Tiers monde, bref à la politique étrangère, où l’on voit s’unir des opinions naguères divergentes et désunir des opinions naguère convergentes.
Les manifestations de Bucarest exemplifient cette mutation. Ainsi lorsque d’un côté la majorité des bobos en général cadres salariés de multinationales, de banques et une partie des nouvelles générations universitaires nourris d’humanisme de pacotille des fondations occidentales, de droit-de-l’hommisme des guerres humanitaires, de néo-féminisme bourgeois, de sociologie et de politologie du prêt-à-penser capitaliste planétaire, hurle à la « peste rouge », une petite minorité exhibe des slogans comme « A bas le néolibéralisme ». Néolibéralisme réel de cette prétendue « peste rouge ». Or ces anti-libéraux n’ont rien à faire avec ces bobos ! et pourtant ils sont là tous ensemble, comme si cela allez-de-soi. C’est là la preuve d’une errance politique, idéologique, d’une inconsistance qui ne doit pas beaucoup déranger ce type de pouvoir. Dans la Roumanie d’aujourd’hui, tant à Bucarest qu’à Cluj, il y a un micro-groupement politique, Demos, qui se veut une sorte de social-démocratie de gauche comme le laboriste Corbin (sans sa détermination anti-impérialiste en politique étrangère), il rassemble quelques dizaines d`intellectuels sympathiques dont l’influence sur les masses ne dépasse pas les quelques dizaines d’universitaires ou membres de professions libérales artistiques. Il y a encore un parti socialiste de tendance communiste le PSR, mais là encore, ses maigres troupes, certes un peu plus diverses que celles de Demos n’ont, elles aussi, aucune implantation dans les masses. Demos et PSR sont des partis déclamatifs, car aucun de leurs membres n’est prêt à sacrifier carrière, vie privée, vacances pour un militantisme actif, celui qui caractérisait jadis les partis communistes occidentaux… Je regrette profondément de le dire, mais c’est la réalité, et un marxiste se doit d’affronter la dure et triste réalité sans faire de ses espoirs l’état concret du monde.
Le fait que le PSD et ses gros bras ont fait main basse sur les campagnes, les bourgs et les petites villes de province rendrait en effet le militantisme de gauche quelque peu athlétique et donc dangereux. Or la violence sous toutes ses formes est une activité dont tout le monde lors des manifestations, de droite, de gauche, du centre, redoute plus que tout. Aussi faut-il louer le gouvernement de ne jamais commander à sa gendarmerie anti-émeute la violence furieuse qui caractérise les diverses forces de police occidentale lors de manifestations autorisées ou non-autorisée. Il est donc vraisemblable qu’une intrusion des partis Demos et PSR dans les campagnes pour recruter des votants entraînerait au moins de fortes bagarres.
Il faut le reconnaître, l’atmosphère politique européenne n’est guère à la gauche, ni véritablement à une droite musclée, elle est essentiellement conservatrice (les politiciens et les intellectuels de service commis aux écritures appellent cela à tort « populiste »), souvent animée d’une religiosité bigote à l’Est. C’est là le résultat des trahisons de la social-démocratie qui est passée avec armes et bagages dans le camp des banquiers, d’une mondialisation sans limite aucune, d’une course aux prébendes et donc à la corruption qui a dévalorisé dans l’esprit du peuple, des gens de peu, la notion de socialisme. 
Ainsi d’année en année, les manifestations de rues plus ou moins spontanées, plus ou moins manipulées, avec des politiciens qui se cachent derrière les manifestants, les juges et les services ont détruit dans l’esprit du public la notion même de lutte politique. « A bas la corruption », mais tous les partis politiques en charge du pouvoir ou de l’opposition en Roumanie ont baigné, sauf exceptions individuelles, dans la corruption. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !!! Présentement nous sommes comme parfois dans l’histoire à l’étiage du politique face aux pièges que nous tend le capital international et sa gestion au travers de ce que l’on appelle l’État profond, lorsqu’il nous vend de la moraline pseudo-humanitaire et pseudo-démocratique en lieu et place d’affrontements politiques, c’est-à-dire de programmes socio-économiques différents, opposés, tranchés. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire moderne que ce genre de situation se présente à la conscience. Il est là une sorte de moment en suspension qui attend ce que je nommerais non pas comme les marxistes naïfs les conditions objectives, lesquelles sont présentes depuis toujours, mais les conditions subjectives d’unKairosoù un groupement décidé serait capable de saisir dans la révolte des masses la Fortunáet la Virtú. Or ce moment serait-il en attente de longue date, il ne se peut manifester que dans le déploiement de la seule tragédie humaine, celle de la politique quand elle se fait guerre.
Claude Karnoouh, aéroport Charles de Gaulle vers Bucarest 1erFévrier 2018…

1984 de la libido ou un monde sans fantasme ni classe

1984 de la libido ou un monde sans fantasme ni classe
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Mars 2018


« Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache 
les voiles et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture. » 
Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre, Fasquelle, Paris, 1900.

« 1Vrut-am sà mà làs de rele      J'ai voulu renoncer aux péchés
   2. Vrut-am ieu Și n-o vrut ele     Moi j'ai voulu mais elles n'ont pas voulu
   3. Vrut-am sà mà làs de ràu      J'ai voulu abandonner le Mal
   4. Vrut-o iel da n-am vrut ieu » Il l’a voulu lui mais moi je n'ai pas voulu.[1]

Strigaturà de feciori auzit în februarie 1976 la o nuntà la Breb (Maramures).


Claude Karnoouh 

Les effets de l’affaire Weinstein et de la vague déferlante de dénonciations #Metoofondées et non-fondées d’abus sexuels dans le monde du showbizont largement dépassé le cadre de la société corrompue hollywoodienne pour, au bout du compte, y revenir, et ce de la manière peut-être la plus hypocrite, mais peut-être aussi la plus révélatrice de l’enjeu de ce phénomène quand, après le spectacle des « veuves des Grammy awards », quelques jours plus tard, un rassemblement à San Francisco organisé par une des associations féministes radicales, avait réuni quelque dix mille femmes pour dénoncer les abus sexuels, gestuels ou langagiers dont sont victimes les jeunes actrices de cinéma (j’ajouterai que les oratrices avaient omis, comme c’est trop souvent le cas, de parler des abus commis par des pédophiles notoires sur les acteurs-enfants). À cette occasion, l’une des jeunes stars hollywoodiennes les plus en renom, Madame Nathalie Portman, – laquelle avait commencé sa carrière très jeune, à douze ans, dans le film de Luc Besson Léon, avec pour partenaire Jean Reno –, se plaignit des lettres salaces qu’elle reçût après la projection du film de la part d’hommes adultes qui y exposaient leurs fantasmes de viol d’une toute jeune fille aux seins à peine naissant. Voilà qui est sûrement plus que désagréable pour une jeune adolescente, mais qui soulève dans un premier temps la question du rôle des parents qui apparemment n’ont rien fait pour bloquer ces courriers. Même pour conserver l’aura du succès obtenu par leur fille, il me semble qu’ils eussent dû détruire ces lettres ordurières avant que leur enfant ne les lût. Ces lettres eurent un effet sur les comportements de l’adolescence qui raconta comment elle choisit dès lors le profil de jeune-fille sérieuse, studieuse, habillée de la manière la plus sobre possible jusqu’à ce qu’elle devienne adulte.
Cependant, dans le discours de Madame Portman qui, à présent, est une adulte avec déjà une belle carrière derrière elle, ce ne sont pas ces lettres concupiscentes, aussi condamnables fussent-elles, qui a appelé mon attention, c’est sa conclusion. Elle y appelait de ses vœux « un monde sans fantasme » (sic !). Voilà qui est, sinon surprenant, à tout le moins des plus étranges pour quelqu’un qui vit, travaille et gagne beaucoup d’argent précisément dans l’industrie cinématographique hollywoodienne dont nous savons, depuis sa fondation, qu’elle n’est, pour l’essentiel et hormis quelques célèbres exceptions, rien moins qu’une machine à fabriquer du rêve, du fantasme, de l’idéal à trois sous, du glamour, de la propagande patriotarde plus ou moins habile et tous les poncifs sentimentalistes du moment ? Faut-il qu’elle soit ignorante, naïve ou hypocrite pour oser avancer une telle assertion. Tous les fantasmes masculins et féminins, psychologiques, politiques, sociaux et sexuels y ont été portés à l’écran plus ou moins explicitement. Tous les acteurs et les actrices, sauf exceptions notables, sont des personnes belles, désirables, sexy, élégantes, glamours, hyper féminines ou hyper viriles et, last but not least, des machines à faire de l’argent précisément parce qu’elles font rêver spectateurs et spectatrices se projetant en elles, et offrant des images d’identifications fantasmatiques à autant de héros et d’héroïnes positifs, triomphant du mal, éliminant les méchants pour installer le bien et la justice, en bref une société juste et bienheureuse.
Voilà un discours d’une totale hypocrisie parce que Madame Portman participe à ces mises-en-scène de la vie fantasmatique qui font accroire les foules esbaudies qu’elles aussi pourraient participer à ce monde de luxe, d’amour romantique, de courage exceptionnel et de gloire, de passions amoureuses fulgurantes où l’argent ne compte guère, de rencontres inattendues, de miracles soudains, de méchants qui meurent ou se repentent, d’un monde où les politiciens véreux et corrompus sont bannis par une justice qui toujours finit par triompher du mal… Ita missa est ! Sur ce thème le remarquable film de Woody Allen, The Purple Rose of Cairo (1986) mérite d’être apprécié à la grande valeur de son pertinent commentaire de l’esprit du temps ; en effet, il traite précisément, en pleine crise des années 1929-32, de la mécanique de cette machine à fabriquer du rêve pour les masses paupérisées. Certes, il faut le reconnaître franchement, Hollywood produit parfois des films sombres et lugubres, mais même ceux-là finissent, sauf rarissimes exceptions, avec la happy-endexigée par les producteurs. En revanche, rappelons-nous qu’Hollywood ne pardonne jamais à ceux qui ont bravé le tabou du beau, du bien et du vrai, quand ils narrent, au plus près d’une réalité historique sanglante, la violence extrême qui a présidé à la construction de la Nation américaine. Ainsi la véritable guerre de classe qui a fondé les USA lors de la conquête de l’Ouest, mise-en-scène sans fantasmes idéalistes du bon et du bien social, du moral ou de l’immoral sexuel comme cela est exposé dans le chef-d’œuvre de Michael Cimino,Heaven’s gate, a prouvé, par la mutilation du montage voulu par le metteur en scène et le boycott général dont il fit l’objet à sa sortie aux États-Unis, qu’Hollywood ne plaisante jamais quand il s’agit précisément de dénoncer les fantasmes de démocratie et de bons sentiments qui finissent toujours par triompher dans les Westerns, les films policiers et les films de guerre.[2]Même Orson Wells au sommet de sa gloire ne put conserver le montage original deTouch of Evilavec sa fin sinistre, il fut obligé de transiger avec les producteurs.

Devenir adulte
Si nous restons au sein des civilisations occidentales prémodernes, celles qui ont évolué vers la modernité depuis la Grèce (sans nous aventurer chez les sauvages qui soulèvent des problématiques différentes), il semble que le fantasme y fasse partie intégrante de l’imaginaire humain, nourrissant tant la politique, l’utopie, l’art, la littérature, la peinture et la sculpture, que la déviance sociale et sexuelle. J. Laplanche et J.B. Pontalis[3]définissent le fantasme comme un « scénario imaginaire où le sujet est présent et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, visant l'accomplissement d'un désir et, en dernier ressort, d'un désir inconscient ». En bref, le fantasme vise à vivre dans l’imaginaire plus ou moins consciemment, et pour les artistes à représenter, un désir inaccompli ou impossible à accomplir dans la réalité en ce que le surmoi (les normes socio-culturelles) en pose les bornes de l’interdit. Et si, comme cela arrive quand la formation de la personnalité dans l’enfance a été perturbée pour diverses raisons familiales ou sociales, le surmoi est impuissant à bloquer une pulsion construite dans l’imaginaire convoitant l’appropriation sans réserve de l’objet du désir par ailleurs interdit, nous avons affaire à ce qu’il est convenu de nommer un état pathologique qui n’est pas uniquement l’apanage du sexuel, mais qui peut se fixer sur la religion à une époque (le blasphème[4]), sur la marchandise à une autre (le vol compulsif[5]). Quant aux sauvages, ils conjurent leurs fantasmes qu’ils comprennent souvent, croit-on savoir, comme des réalités immédiatement possibles et souvent dangereuses, avec des rituels, et des rituels parfois fort cruels, ou les thérapies parfois violentes du shamanisme ou de la sorcellerie/contre-sorcellerie.
Chez Lacan, « le fantasme est un montage grammatical où s'ordonne suivant divers renversements le destin de la pulsion, de telle sorte qu'il n'y a plus autre moyen de faire fonctionner le « je » dans sa relation au monde qu'à le faire passer par cette structure grammaticale ». En d’autres mots, le fantasme est la frustration tendue vers « cet étrange objet du désir » (le sexe) qui stimule les images du possible et construit un discours détourné, parfois violent ou simplement irréel (illusoire) de l’appropriation du sexe de l’autre ou de tous ses substituts. C’est cette dialectique de la frustration de l’objet sexuel désiré par le « je » qui engendre le fantasme du sexe avec ses substituts métaphoriquement infinis comme, par exemple, la bottine de la servante dans Le Journal d’une femme de chambrequi est évidemment le substitut du sexe et du viol. D’autre substituts peuvent se fixer sur le pouvoir économique ou politique. En effet, faut-il le rappeler, Freud et ses divers héritiers soulignent que la structuration de la personnalité humaine se construit autour des rapports de sexes simultanément conscientisés, rêvés (d’où le rôle central de l’analyse des rêves) et détournés de leurs rapports initiaux. En parlant de « montage grammatical » Lacan nous indique comment comprendre la voix du verbe des frustrés et des obsédés du sexe sans plus la contrainte du surmoi. Or l’intelligence de cette parole à interpréter et comprendre (ce qui ne veut pas dire y acquiescer !), est repoussée férocement par ce néo-féminisme. Ainsi tout écart de langage proféré par des hommes usant d’expressions qualifiées d’inappropriées, de grossières voire d’humiliantes, devient source de prohibition, d’interdiction, de répression policière. Cependant, faut-il le rappeler, les fantasmes qui restent au niveau du langage, de l’expression visuelle, de la peinture, de la poétique, de la danse, manifestent précisément le non-accomplissement pratique du fantasme, par le fait qu’il se substitue à l’action en la métaphorisant et la métonymisant, en bref, en la subsumant sous divers fards. En d’autres mots, beaucoup d’hommes et de femmes ont des fantasmes de pédophilie, de viols ou de crimes qu’ils n’énoncent pas même, et qui cependant nourrissent leurs rêves, voire chez certains artistes leurs œuvres, mais dans la praxis, dans la réalité explicite de la vie quotidienne, ils ne violent ni ne tuent.[6]Or cette barrière, le surmoi qui bloque la libido dans le passage du fantasme comme discours à l’acte lui-même métaphorique ou direct tiennent ensemble, ajointés, du propre de l’homme ou si l’on préfère de la nature humaine déjà moderne. Si donc, pour une raison quelconque, la barrière se révèle fragile, dysfonctionnelle, pis impuissante, nous savons, au moins depuis les Grecs, qu’elle engendre l’hybris, le dérèglement, la dysharmonie, l’excès. Dans le cas emblématique et originel d’Œdipe la non-structuration du fantasme mène directement au meurtre réel du père, à l’inceste, à l’automutilation comme refus du réel (Œdipe se crève les yeux pour ne plus le voir) et, last but not least, au suicide de la femme-mère objet du désir sexuel (Jocaste). En d’autres termes, quand la norme sociale ne fonctionne plus en tant que censure, i.e comme castration, le « je » du désir joue avec son objet sur un mode perçu et interprété par le sociuscomme pathologique. Aussi ses diverses manifestations explicites entendues comme violence du désir sont-elles comprises comme perversions ou paraphilies inadmissibles par le sociuset n’ont d’autres solutions que l’enfermement en hôpital psychiatrique (c.f., pour les multiples exemples l’ouvrage séminal de Richard Freiherr von Krafft-EbingPsychopatia sexualis, 1886).
Si l’on accepte cette approche systématiquement pathologique et répressive du fantasme qui eût fait frémir Marie Bonaparte, Deleuze et Guattari, Foucault et Lacan, il eût fallu alors, dès les premiers symptômes, enfermer et soigner Weinstein : c’était un malade ainsi que d’autres dénoncés depuis (et certains souvent sans preuves) pour leur passage à l’acte. Mais voilà, l’homme habile et puissant dont la pathologie faisait la gloire de certaines était protégé par un silence jusque-là totalement complice, et d’aucuns savent que l’on ne tue pas la poule aux œufs d’or ![7]Ainsi, suite à ce scandale, c’est peut-être le tiers des producteurs et des acteurs d’Hollywood dont la place normale eût été en hôpital psychiatrique ou en prison. Sans entrer à présent dans le débat soulevé par Foucault dans Histoire de la folie à l’âge classiqueet dans Surveiller et punir, la seule question qu’il eût fallu poser et bien sûr qui n’a pas été posée, eût été de savoir quelles sont les conditions psychosociales et psycho-économiques qui engendrent un tel désordre du comportement dans une société où le spectacle cinématographique des rapports homme/femme, exposés souvent au-delà de la limite de l’exhibitionnisme érotique par de célèbres metteurs-en-scène avec nombre de jeunes et moins jeunes actrices, est omniprésent aussi bien sur les écrans (voir pour les plus explicites Basic Instinctavec Sharon Stone, Harcèlement, avec Demi Moore, 9 semaines et ½, avec Kim Basinger, Pulp Fictionavec Urma Thulman, ou Briget Fonda dans Jackie Brown, etc…) que dans la vie publique des stars. Hollywood est toujours le haut lieu de l’exposition des charmes féminins, mais aussi masculins si l’on regarde les partenaires de ces beautés, Michey Rourke, Mickael Douglas, Bruce Willis ou Samuel L. Jackson comme objet central du désir positif ou négatif…
Ce n’est pas l’effet du hasard si Freud fonde le concept de « complexe d’Œdipe » autour duquel se joue l’accession à l’âge adulte sur le mythe d’Œdipe, en effet, dans ce récit grec sont rassemblés et les fantasmes et le passage à l’acte. Aussi devenir homme et femme adulte, c’est-à-dire un être humain qui sait contrôler les pulsions de sa libido par rapport à l’autre reconnu comme tel par le « je », et n’en vivre l’hybrisqu’en rêve, en peinture ou en littérature, cet homme et cette femme doivent-ils, pour se faire, tuer fantasmatiquement le père pour le premier, la mère pour la seconde, c’est-à-dire accepter ce que Lacan nomme la « castration », en d’autres mots, accepter le réel des structures exogamiques élémentaires de la parenté. Il faut donc que ces adultes aient intériorisé la frustration du désir initial pour le cantonner dans fantasme rêvé[8], afin de trouver les modalités d’une vie sexuelle socialement acceptable où mère et père ne sont jamais des partenaires sexuellement partageables. Or pour que le fantasme demeure dans le seul champ de l’imagination personnelle, il faut que celui ou celle qui est un (une) adulte en devenir sache peu à peu dominer et maîtriser ce désir premier (désir inaugural) pour, au bout du compte, accepter de ne jamais se substituer à l’un des partenaires de la scène primitive dont il eût pu être parfois le témoin oculaire ou auditif, voire livresque. C’est ce qu’illustre parfaitement Leopold von Sacher-Masoch dans ses souvenirs d’enfance qui sont marqués par une scène primitive qui va conditionner toute sa vie d’écrivain, voire de très grand écrivain. Caché dans un cagibi chez des parents, il surprend sa tante qu’il nomme Zénobie en train d’humilier son mari. Elle le frappe à grands coups de fouet pendant qu’il jouit, mais lorsque la tante découvre l’enfant caché contemplant la scène, elle attrape le jeune garçon et le fouette de même pour le punir (?) ou peut-être pour le faire jouir (?) pour avoir osé partager ce moment qui lui était interdit.[9]Ici, punir et jouir, les deux interprétations sont plausibles et, chez certains adultes, voulues comme pratiques recherchées.
Il y a aussi la frayeur intense au moment de la découverte de la scène primitive par l’enfant comme la décrit Maurice Sachs dans son roman autobiographique Le Sabbat[10], lorsqu’il est réveillé en pleine nuit par les cris sauvages de sa mère faisant l’amour avec un amant. La croyant agressée, il entrouvre la porte de la chambre et la voit en train de chevaucher sauvagement un homme. Souvenir qui le hantera toute sa vie faite de désordre et d’errance. La vie « normale »[11]serait donc fondée à partir de cet encadrement psychologique et social, la « castration symbolique », où l’apprentissage de la sexualité « normale » bloquerait l’usage de la force qu’elle soit physique, bureaucratique ou financière afin de posséder sexuellement l’autre avec violence. Or cela ne semble pas fonctionner parmi des fractions importantes des populations européennes et étasuniennes.

Le néo-féminisme et le mâle
Cependant, pour Madame Portman une chose est sûre, le bonheur, voire la pureté éthique, seraient indubitablement gagnés par la société si elle était débarrassée des fantasmes masculins. On devine aisément la structure imaginaire d’une telle société où l’individu dans le sociusaurait sa libido sous le total et permanent contrôle d’un surmoi « sain » identifié à un législatif-répressif « juste ». De cette manière, nos sociétés seraient dépourvues de tout mal puisque le fantasme sexuel masculin est devenu le mal absolu incarné. On a aussi remarqué que dans cette vision angélique dirais-je, seul le mâle aurait une sexualité négative et agressive, irrespectueuse de l’autre en mettant en œuvre ses fantasmes mortifères comme l’affirme l’hyper néo-féministe française Madame Caroline de Hass. La femme n’aurait-elle pas aussi sa part maudite de sexualité[12] ? Chez ces djihadistes féministes il semble que non. La femme incarnerait le bien et le mâle le mal. C’est là oublier la froideur des chiffres des enquêtes sur la sexualité. Il y a presque autant de femmes que d’hommes qui regardent des films pornos les plus violents afin de mettre en mouvement leur désir. Dans le deuxième chapitre de l’ouvrage de Steh Stephens-Davidowitz intitulé, Google :Big Data, New Data, and what the Internet Can Tell Us About Who we really are, on trouve cette description qui surprendra à coup sûr les bonnes âmes du féminisme : « Parmi les recherches les plus populaires sur PornHubfaites par des internautes femmes, il y a un genre pornographique qui, je vous préviens, va troubler de nombreux lecteurs : le sexe avec violence contre les femmes. Au total, 25% des femmes qui cherchent du porno hétérosexuel mettent l’accent sur la douleur et/ou l’humiliation de la femme – « anal douloureux », « humiliation publique » et « gangbang extrême brutal » par exemple. Cinq pour cent cherchent des rapports sexuels non-consentis – « viols » ou « contraints » – même si ces vidéos sont interdites sur PornHub. Et les taux de recherche pour tous ces termes sont au moins deux fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. » Plus encore, si les hommes sont très souvent portés au frotteurisme[13]qui était considéré au XIXe siècle comme l’une des paraphilies menant ses adeptes à l’hôpital psychiatrique, en revanche une majorité de femmes sont attirées par les tueurs en série. Ainsi le tueur norvégien Breivik reçoit plusieurs centaines de lettre d’amour par an, l’une de ses fans l’a même récemment demandé en mariage, là nous sommes en face d’une perversion sexuelle qui pour nom l’hybristophilia.[14]En masquant les formes spécifiques de violence sexuelles réelles ou potentielles féminines on détermine a priorila femme comme dénuée d’une partie de la part « maudite » du sexe tout en faisant de l’homme l’incarnation même du mal défini malencontreusement par le syntagme « société patriarcale », ce qui voudrait dire que les systèmes de parenté matrilinéaires ne seraient pas « patriarcaux ». C’est mal connaître le monde archaïque, ce qui ne m’étonne pas de la part de consciences post-historiques. En effet, dans les sociétés archaïques à système de parenté matrilinéaire les rapports hommes/femmes étaient tout aussi archaïques que dans les sociétés patrilinéaires, la seule différence (certes elle est fondamentale pour la reproduction de l’organisation sociale) tenait à l’attribution des enfants à une lignée ou à un clan féminins et non masculins selon le cas ! Par exemple, l’enfant d’un couple appartenait à la lignée ou au clan de l’oncle maternel de la mère, ce que l’on appelle d’un terme technique issu du latin « avonculat ».
De fait, tous les discours théoriques des néo-féministes et leurs mises en œuvre pratique visent l’instauration d’un nouveau puritanisme sous la forme d’une inversion de celui qui dominait jadis l’époque victorienne, et dont le but explicite serait la volonté d’éliminer le mal, incarné par l’homme seul, être libidineux qu’il faut castrer parce que le moindre de ses gestes ou de ses regards réaliseraient ses fantasmes sexuels mortifères. A l’époque victorienne c’était la femme dont la sexualité « maléfique » devait être contrainte, aujourd’hui c’est celle de l’homme…[15]Une fraction de la société pense avoir résolu le problème en l’inversant ! J’en doute ! Mais l’explicite masque aussi l’implicite. Il s’agit pour les femmes de la bourgeoisie de prendre un pouvoir identique à celui des hommes de la bourgeoisie, pour le meilleur des mondes possibles de l’exploitation en faisant accroire à une plus grande sensibilité des femmes au malheur de l’humanité ! Il y a là tout le simulacre propre aux faux combats de la modernité tardive. La récente nomination à la tête de la CIA d’une dame qui avait organisé et surveillé la torture dans les prisons clandestines étasuniennes est certes un petit événement, mais très révélateur de l’hypocrisie du mouvement #Metoo. Aussi, quand l’État profond veut faire accroire une nouvelle légitimité de ses actions répressives, il désigne une femme, Condoleezza Rice, Madeleine Albright, Hillary Clinton, Margaret Thatcher, Theresa May, El Khomri, Vallaud-Belkacem, etc…  Comme le déclarait avec un solide bon sens l’actrice américaine Susan Sarandon, (membre du parti démocrate et soutien de Bernie Sanders), qui resta sourde aux appels de Hillary pour un vote féminin : « je ne vote pas avec mon clitoris proclama-t-elle ! » Par ailleurs, ces hyper féministes veulent se couvrir à gauche, aussi prétendent-elles invoquer les leçons des grandes féministes socialistes du début du XXe siècle telle celles administrées par Rosa Luxemburg, mais elles en censurent l’essentiel, à savoir la dénonciation de toute collusion entre les visées politiques des femmes de la bourgeoisie et celles des luttes des femmes prolétariennes :
« Le devoir de protester contre l’oppression nationale et de mener la lutte, ce qui correspond à l’orientation de classe du prolétariat, trouve son fondement dans le « droit des nations », mais l’égalité politique et sociale des sexes ne découle d’aucun « droit des femmes »auquel se réfère le mouvement féministe bourgeois. Ces droits ne peuvent être obtenus que d’une opposition généralisée au système d’exploitation de classes,à toutes les formes d’inégalité sociale et à tout pouvoir de domination. En un mot, ces droits ne peuvent être déduits que des principes fondamentaux du socialisme ».[16]

Ayant remplacé les uns par les unes comme discours du sexuellement correct, a-t-on pour autant résolu le problème du pouvoir général d’exploitation, pas du tout, car un patron femme ça exploite de la même manière qu’un patron mâle. Si la dynamique du capital n’a pas de sexe, celle de la grande politique non plus ! Plus encore, a-t-on modifié le soubassement ontologique constitué par la permanence du fantasme sexuel ? La force du désir inhérent à l’espèce quand le regard se pose sur le principal objet du désir sexuel se serait-il atténué par les risques répressifs ? Certes non, c’est comme les résultats donnés par la peine de mort, celle-ci n’a jamais ralenti la criminalité. La lutte contre la pauvreté oui ! Ce nouveau discours du conformisme puritain propre aux nouvelles superclasses moyennes masquerait-il de sournoises et féroces luttes pour la défense de privilèges en un temps où, dans une civilisation de l’hyper-individualisme, les crises successives du capitalisme et le chômage rendent la manne plus limitée ? Plus encore, ce discours fonctionne comme si le mal dû à la sexualité des mâles en ses diverses modalités n’était pas fondamentalement inhérent à la condition humaine moderne ! Car la question demeure. Si l’homme, et donc le mâle, est bon par nature comme la majorité de ces néo-illumistes le pensent (à tort diré-je !), alors quelles seraient les conditions économiques et sociales qui engendreraient la psychédu mal dans le mâle ? On le voit clairement, Nathalie Portman et ses émules occidentales sur fond d’oubli des fondements techno-économiques de notre monde, cherchent à reconstruire une société épurée, une société transparente à elle-même, pure et puritaine, une société asexuée ou dé-sexuée où le désir des femmes tiendrait de l’angélisme et les fantasmes sexuels des mâles porterait le mal-pour-soi, une société non seulement sans fantasme, et, comme effet, elle ajoute avec candeur, « sans jalousie », oubliant que la jalousie est l’une des preuves les plus fortes de l’amour, certes parfois violente, mais preuve que la littérature à cent fois développé ! Mais l’amour n’est-il pas aussi violence ?
À ce sujet, le discours d’ouverture de la cérémonie des Oscars de cette année 2018 nous offre la démonstration que cet espoir d’un monde asexué travaille les élites du showbiz et du féminisme mondain. Au moment où le présentateur vantait les qualités esthétiques de la statue de l’Oscar, au moment où il notait ses mains apparentes, il ajoutait : « elle est dénuée de pénis ! » (sic!). Même sous forme de blague, il y a là, sous-jacent, l’horizon d’un modèle sociétal.[17]Il semble donc que Madame Portman et ses semblables en viennent à souhaiter une sorte de 1984 de la libido. Or il n’est pas de sexualité sans sa part d’ombre, sans sa part maudite[18]… L’idéal de pureté auquel aspirent les néo-féministes se trouve décrit dans le roman antitotalitaire d’Huxley Brave New World, dans la description d’une société qui serait totalement transparente à elle-même, univoque, sans ambiguïté ni polysémie, bref, le rêve de toute société totalitaire idéale que n’ont jamais pu mettre en œuvre, et ce malgré la violence de leur ingénierie sociale, les totalitarismes du XXe siècle.
Pour accomplir leur espoir d’une liquidation du fantasme sexuel masculin (il faudrait ajouter du féminin, mais les néo-féministes n’en parlent jamais) les néo-féministes ne proposent pas d’autre mesure que la répression policière et juridique, le vieux système de surveillance et de punition que des philosophes, des historiens et des psychanalystes à l’aube des années ‘60 avaient réussi à faire lentement abolir (sauf, ce qui est normal, pour le viol essentiellement suivi de meurtre). Si, comme il semble, la lutte pour un monde sans fantasme, un monde où le mal n’étant plus pratiqué il ne peut même plus être énoncé, alors se prépare les routes vers des goulags psychologiques et psychosexuels encore plus durs que ceux de l’Union soviétique ; des goulags où serait aménagées des cellules où des instruments hyper techniques permettraient d’interdire de rêver et de fantasmer ; et si, derechef il arrivait que des individus rêvassent, des systèmes d’enregistrement dénonceraient immédiatement les fautifs pour les punir sur le champ. Si cet espoir du nouveau puritanisme féminin arrivait un jour à se réaliser, il signerait la fin de toute société humaine fondée sur le rapport symbolique des jeux de langage pacifiques ou violents entre le « je » mâle et l’autre différent, la femme, entre le « je » femme et l’autre différent mâle. Alors le « je » ne serait plus simultanément un autre, mais un clone de moi-même. On arriverait ainsi à l’acceptation d’un état d’indifférenciation tant sexuelle que sociale de la masse, tandis qu’une minorité d’ingénieurs, élu.e.s d’entre les élu.e.s serait dispensé.e.s[19]du nouveau nomos, de la nouvelle loi de la normalité, à la fois celle du sexe et celle de la domination économique. L’écrasante majorité serait dressée à la vie asexuée des producteurs-exploités dans le nouveau « parc humain » où l’interdiction du fantasme irait bien évidemment de pair avec celle de la séduction, de l’amour, des écarts de langage, des gestes parfois déplacés, finissant d’accomplir l’ultime pas vers le contrôle absolu de toute représentation symbolique liée au sexe, voire même à la critique sexuée du sexe. Comme l’avait déjà formulé avec force Baudrillard : « La séduction représente la maîtrise de l'univers symbolique, alors que le pouvoir ne représente que la maîtrise de l'univers réel. »[20]Toutefois, dans la figure dessinée et souhaitée par les néo-féministes on aboutirait bien plus loin en ce que pourvoir symbolique et pourvoir réel ne serait plus qu’une seule et même praxis. L’espoir que nourrissent Madame Portman et de nombreuses néo-féministes radicales comme Madame Caroline de Hass en France, dessine une société qui nous déprendrait tous autant que nous sommes de la possible maîtrise du monde symbolique sexuel avec tous ses dérapages possibles, en appelant de leurs vœux un monde totalement lisse, sans ambiguïté aucune, sans rêves, sans fantasmes, sans jalousie, sans amour, un monde de la totale « transparence du mal », c’est-à-dire un monde sans repentir, sans chemin de Damas, et sans pardon. Une société « propre » où la libido ne pourrait plus exsuder ses fantasmes, un monde où, au bout du compte, la libido serait réduite à l’autosatisfaction sans reconnaissance de l’autre : le monde de l’onanisme schizoïde, celui des sexe toys, des poupées gonflables, de la contemplation des films pornos devant lesquels chacun se masturbe.
Plus encore, derrière le discours de Madame Portman, se précise simultanément le rejet de toutes les stratégies de la séduction au profit d’une relation purement contractuelle, donc juridique, où le partenaire est réduit à n’être qu’un sex toyutilisable selon les articles d’un contrat de vente avec son mode d’emploi et peut-être son service après-vente en cas de panne de désir quand le contrat l’exige. Quelque chose comme : tu me donnes accès à telle partie de ton corps, mais il te faut signer ici au bas de cette page de contrat pour que je ne sois pas accusé de harcèlement ou pis de viol. Or hormis les harcèlements grossiers d’individus ayant un surmoi affaibli pour diverses raisons psycho-sociales qui ont été déjà en partie analysées par Wilhelm Reich, Erich Fromm, Herbert Marcuse[21], les plus authentiques rapports amoureux et passionnels entre hommes et femmes, entre hommes et hommes, et femmes et femmes sont élaborés sur les jeux toujours ambiguës de la séduction, sur les jeux de l’« amour et du hasard » et du marivaudage qui ne sont pas, loin s’en faut, exempts de violence. Pour ceux qui auraient la curiosité de relire quelques célèbres exemples littéraires je les renvoie àLa Duchesse de Langeais, à La Recherche du temps perduavec les amours de Swan et d’Odette, de Charlus et de Jupien, à Venus Eroticad’Anaïs Nin, au splendide poème de Baudelaire, Madrigal triste, etlast but not least, auxOnze milles verges de Guillaume Apollinaire, etc…[22]Ces relations passionnées, complexes, souvent violentes, toujours ambiguës, à la limite de l’extase et de la mort (ne dit-on pas de l’extrême jouissance sexuelle qu’elle est la « petite mort »), sont absentes quand les relations de couples hétérosexuels ou homosexuels ne sont, las ! que des réunions de solitudes apeurées, ou pis et terrifiant, de sinistres arrangements financiers entre bourgeois ou petit-bourgeois, de lugubres et sordides transactions financières ou carriéristes dites et plus souvent non-dites qu’on maquille de manière obscène du nom d’amour et que j’ai pu tant de fois constaterparmi les couples rencontrés dans ma vie professionnelle ou mes loisirs.
A la lecture de témoignages et de romans réalistes il semble évident que la séduction qui est justement la mise en œuvre d’un fantasme en ce que l’étant désiré (la personne autre réelle) n’est jamais autre chose que l’incarnation particulière du désir général projeté par le « je », lequel, en théorie, ayant une fois obtenu satisfaction retrouve le vide existentiel préalable qui l’entraîne à réitérer le jeu de la séduction, ce qui le conduit parfois à substituer à l’autre humain un objet, voire de multiples objets dans une frénésie consommatrice de marchandises. L’exemple parfait de cette dynamique de la séduction comme désir ad infinitumd’une libido insatiable – comme le serait aussi tout désir qui se fixe sur la marchandise –, est décrit d’une manière quasientomologique dans le roman épistolaire de Laclos, Les Liaisons dangereuses.[23]Cependant, et faut-il simultanément le rappeler, la revanche de la vie sentimentale réelle – c’est-à-dire les frustrations, les lâchetés, les trahisons, les incompréhensions –, est souvent terrible. Dans les fictions, les séducteurs et les séductrices finissent tragiquement (Valmont, la Merteuil, Don Juan, la duchesse de Langeais parmi d’autres) et dans la réalité, lorsque l’âge vient, les séducteurs en série plongent lentement, mais irrémédiablement dans la déchéance dépressive comme Casanova à Prague ou le marquis de Sade, lequel à sa libération de la Bastille en 1789 après treize ans de prison (et avant d’y retourner pendant la Terreur, en être libéré après Thermidor et retourner en prison-asile quelques années plus tard à Charenton où il mourut en 1814), cessa de mettre en pratique ses fantasmes de séduction érotico-criminels pour en faire l’inspiration d’une des œuvres majeures de la littérature française que nombre d’auteurs français aussi importants que Apollinaire, Georges Bataille, André Breton, Paul Eluard, Simone de Beauvoir, Lacan ou Deleuze, ont commenté, adulé ou critiqué.[24]
Peut-être serait-ce le moment de rappeler aux bonnes âmes et aux dames patronnesses du néo-féminisme bourgeois que tous ces libertins obsédés de conquêtes féminines (et masculines) obtenues souvent avec des moyens dépassant les simples jeux d’une séduction verbale pour la perfidie, étaient desathées violemment anticléricaux, des hommes (et des femmes) pour qui les jeux souvent mortels du sexe et de l’érotisme sadomasochiste étaient un défi à la bienséance formelle et hypocrite prônée par l’Eglise catholique, apostolique et romaine et son parti de calotins dévots. On peut même affirmer sans détour que l’anticléricalisme radical est le fond même de l’œuvre de Sade, tout autant que celle de Laclos. À ces libertins comme on les nommait à cette époque, il faudrait ajouter la grande figure du féminisme intellectuel français du XVIIIème siècle, Madame Dupin, femme des Lumières, défendant le droit pour les femmes de gérer leurs biens et leurs œuvres librement, sans pour autant censurer ceux des hommes.[25]
Or, à présent, nous sommes à nouveau entrés dans l’ère de la censure morale, après la politique réduite à la moraline des droits-de-l’homme à géométrie variable, c’est-à-dire à la politique réduite aux émotions d’une sensiblerie superficielle diffusée massivement par la presse et les réseaux sociaux, l’heure est à la moraline sexuelle du nouveau puritanisme, c’est-à-dire aux dénonciations hypocrites au sein des classes supérieures. Ainsi, un groupe de harpies anglaises a réussi à faire ôter des cimaises du musée de la ville de Manchester (Manchester Arts Gallery) le tableau Hylas and the Nymphsde Waterhouse (1896)représentant de jolies nymphes la poitrine dénudée (haut lieu des fantasmes sexuels non seulement masculins, mais aussi féminins) contemplées par un jeune homme, le tout dans un décors de vérisme naturaliste symbolique.[26]Elles réactualisent un puritanisme que l’on croyait être disparu avec la révolution sexuelle des années ’60-‘70 et qui semblait avoir définitivement mis fin à l’hypocrisie du puritanisme victorien… Comme quoi, sous prétexte de liberté et d’égalité, et de lutte contre les abus et les fantasmes sexuels, le néo-féminisme nous réchauffe la potion du plus vulgaire puritanisme anglo-saxon. L’histoire se répète mais toujours sous forme de mauvais pastiches. Parce que l’hypocrisie patente de ce néo-féminisme se lit dans cette information très récente toujours venue d’Angleterre, celle du scandale de Teldfor, ville moyenne du centre-nord du pays, où à l’heure du « #balancetonporc » les groupements féministes, les médias et les autorités n’ont, jusqu’à très récemment, rien dit ni fait quand depuis 1980 près de mille jeunes filles anglaises ont été abusées sexuellement, torturés, avortées, voire prostituées par des gangs dont les membres étaient d’origine pakistanaise ou bangladaise. Les autorités pour se disculper affirmant qu’elles ne voulaient pas créer une atmosphère de racisme ![27]On croit rêver !

Fantasme et gender
Ayant très rapidement rappelé les antécédents littéraires et psycho-politiques qui illustraient les pratiques et l’imaginaire d’une culture où le fantasme sexuel créateur du sens symbolique, mais encore de violences réelles, avait fini par créer le réel (la vie de Sade, de Sacher-Masoch, de Nietzsche, de Lou Andrea Salomé, par exemple pour les plus célèbres ; de meurtres passionnels et de tueurs en série pour les plus sinistres) et engendrer, avec la naissance de la monarchie absolue puis celle de l’État républicain centralisé, sa répression par les pouvoirs de police et la science médicale, revenons, derechef, sur l’intention de Madame Portman et de l’hyper féminisme contemporain de vouloir mettre en œuvre « un monde sans fantasme sexuel ».  Dans l’esprit de la star, le fantasme sexuel masculin et les représentations qu’il engendre se présente comme le mal absolu, c’est pourquoi il convient donc de l’éradiquer afin de bâtir un nouveau monde, une nouvelle Jérusalem terrestre où le mal incarné dans le mâle et par le mâle serait l’objet de la plus violente et féroce répression. En bref, elles visent le monde du bien permanent.[28]Or, sans le savoir peut-être, elle revient sur une bien vieille interrogation : comment peut-on concevoir le bien si le mal n’existe pas ? Le christianisme a proposé un lieu du bien absolu, mais c’était dans le monde céruléen, au-delà de la vie terrestre, celui de la Résurrection des âmes et du corps (nous ne sommes pas gnostiques, il s’agit bien d’une double résurrection) et du Jugement dernier. On affirme que celui qui incarne le mal dans le Nouveau testament, Judas, doit être d’une certaine façon révéré, en effet, sans sa trahison cupide il n’y eût pas eu la preuve de la divinité du Christ. Or le monde du bien dans l’au-delà s’obtient justement grâce à ce qui fonde l’originalité du christianisme (du moins dans ses versions d’où la prédestination est évacuée, donc partiellement anti-pauliniennes), rien de moins que la liberté humaine. L’homme peut donc faire le mal comme le bien, soit gagner les joies ineffables des cieux soit plonger dans les tourments infinis des flammes de l’enfer.[29]Et selon les théologiens chrétiens catholiques et orthodoxes il serait même naturellement enclin au bien si le péché originel n’avait pas corrompu son âme, aussi doit-il se racheter tout au long de sa vie terrestre. Or le monde sécularisé venu des Lumières n’est pas exempt, loin s’en faut, comme le christianisme, d’une foi solide en la naturelle bonté humaine en tant que qualité inhérente à l’espèce, c’est même cela, après Rousseau et contre Hobbes, la profession de foi et le soubassement ontologique de toutes les philosophies politiques des Lumières, de Kant à Marx, et de toutes les sciences humaines de Durkheim à Lévi-Strauss, de Boas à Marshall Shallins.
Revenons une fois encore aux souhaits de Madame Portman et regardons-les comme symptômes d’« un monde sans fantasmes sexuels masculins » qu’il faut nécessairement et logiquement mettre en rapport avec la théorie de genre. À diriger le regard au-delà des pleurnicheries compassionnelles propres aux interprétations politiques du présent, la théorie du genre fonctionne comme une désexualisation de l’espèce humaine, comme une volonté de contredire ce qui a fait l’essence même de l’évolution de presque toutes les espèces, le rapport procréatif mâle/femelle qui n’est autre que le rapport ontologique à la vie, le das Daseinde toute vie. Ainsi selon cette théorie qui semble sortie de la tête d’un.e mutant.e le garçon ou la fille ne naissent pas mâle ou femelle, ils sont, dirait-on, fabriqués ainsi par les mœurs et les codes sociaux. C’est en partie indéniable et personne ne l’a sérieusement dénié puisqu’il y a divers comportements et jeux de rôles mâles et femelles propres à chaque culture et qu’elle enseigne à leurs enfants. Cet ensemble de mœurs contrastées les Grecs l’appelaient Paideia, les Allemands, Bildung, en français on dirait au plus près éducation. Nonobstant, ce n’est qu’en partie vrai, parce que jusqu’à présent c’est la différence sexuelle agencée culturellement et simultanément propre à zoéqui assurait la reproduction de l’espèce et qui, dans la majorité des cas, l’assure encore, posant aujourd’hui à l’humanité le problème gravissime de l’explosion démographique du tiers-monde, et plus précisément celle de l’Afrique noire. Cependant, si l’on en croit les informations fournies par la presse des sociétés les plus modernes, c’est-à-dire les plus scientifiquement avancées, nous apprenons qu’ici ou là un homme a été enceint, qu’il est devenu femme et qu’une femme est devenue homme. Déjà la maîtrise de la procréation par divers procédés chimiques ou matériels avait montré que l’indépendance des femmes, c’est-à-dire la séparation de la jouissance sexuelle et de la procréation, l’avait emporté sur la nature grâce aux progrès des sciences (chimie, physique, biologie, médecine et chirurgie) : la liberté physiologique de la femme et la maîtrise totale de sa sexualité étant exactement le produit de la technoscience, du Gestell, du « dispositif ». Il n’est donc pas éloigné le pas qui prépare la fabrication d’êtres vivants par fécondationin vitro, et mieux encore le moment de la copie à l’identique par clonage : on a déjà cloné des cellules souches, une brebis et des chiens beagles, rien n’empêchera demain de cloner des êtres humains, fabriquant hommes et femmes à la demande selon des caractères physiques et psychiques prédéterminés à la demande (de qui ?) par intervention directe sur l’ADN, car l’expérience du siècle précédent nous a appris qu’aucun code éthique ne résiste à la dynamique de l’infinie objectivation de la technoscience, laquelle, grâce à l’innovation permanente engendre simultanément les énormes plus-values du capital. Aujourd’hui nous sommes prêts à réaliser la fiction littéraire d’Huxley,Brave New World ! Et ce qui est en jeu tant dans le monde sans fantasme que dans la théorie du genre ce n’est pas, comme certains l’ont affirmé à tort, la création d’un monde androgyne pensé comme le commencement du monde avant que Zeus, selon Platon[30], ne mît des organes sexuels pour distinguer les hommes des femmes et construire ainsi le monde, thème qui fut repris au XIIIe par les kabbalistes de Provence.[31]Ce qui est en jeu aujourd’hui c’est la transsexualité et le transgenre qui précisément ne se peuvent matérialiser sans l’aide des progrès inouïs de la technoscience. Il ne s’agit ni de travestissements ni d’homosexualité, mais d’un monde du permanent turn overdu sexe par apophase ou, à tout le moins, par le discrédit dans lequel est tenu la « loi naturelle moderne ». De ce point de vue, il n’est pas sans intérêt de souligner une contradiction de poids propre à cette orientation radicalement confuse de la postmodernité, à savoir que les mêmes personnes qui plaident pour le transgenre et la transsexualité, c’est-à-dire pour une domination totale des lois de la nature et leur soumission totale à la volonté humaine du moment (au Zeitsgeist), s’affirment simultanément les avocats de la théorie des droits-de-l’homme comme essence de la « loi naturelle ». Il faudrait savoir où l’on en est ! La loi naturelle est ou n’est pas, ici il n’y a pas d’entre-deux. Or jamais comme aujourd’hui la confusion de la pensée n’a régné avec autant de désinvolture parmi de prétendus intellectuels, acteurs des humanités, et plus particulièrement dans les domaines de la sociologie et de l’anthropologie sexuelles voire aussi dans la philosophie sociale.
Dans l’un de ses meilleurs ouvrages, La Transparence du mal, Baudrillard, note, entre autres remarques que les activités humaines postmodernes sont caractérisées par un état « trans- » : trans-économie, trans-esthétique, trans-politique. Dans le deuxième chapitre consacré à la transsexualité, il remarque que le « corps sexué est livré aujourd’hui à une sorte de destin artificiel. Et ce destin est la transsexualité ».[32]Entrant dans la transsexualité, nous accédons à l’indifférenciation sexuelle souligne-t-il encore. Or, depuis mai 1968 et pendant les années qui suivirent, la sexualité était rapportée à la jouissance généralisée : « jouir sans entraves » était l’un des slogans qui ornait les murs de l’université de Nanterre, et beaucoup l’appliquèrent.[33]Pourtant, dès le tournant hyper féministe du début des années 2000, le sexe abandonna le discours de la jouissance sans barrière, et celui complémentaire de l’anti-répression, « il est interdit d’interdire », pour un nouvel état d’esprit répressif. Selon une sorte de mutation anthropologique de l’espèce, le sexe, comme la politique et l’art s’engagea dans un état de prothèse. Il est patent aujourd’hui qu’on oublie trop souvent que le jouir sans limite n’était pas inconnu des sociétés occidentales, ainsi, dès la mort de Louis XIV devenu bigot, dès la Régence, le XVIIIe siècle a été celui de la jouissance tous azimuts pratiquée par la classe aristocratique.[34]Au XIXe et au début du XXe siècles, moins voyante dans un siècle puritain, la jouissance effrénée de la grande bourgeoisie se déployait dans la fréquentation de célèbres bordels de luxe, de prostituées de haut-vol et de fêtes particulièrement dévoyées[35]. Pis, aujourd’hui il est évident que l’on ne pourrait plus montrer ni tourner un film comme celui du japonais Ogisa Noshiga, L’Empire des sens, 1976 (le titre original était littéralement « la corrida de l’amour »). C’est pourquoi les figures les plus emblématiques du show-bizpostmoderne illustrent le transsexuel, n’explicitant ni métaphores de la jouissance et ni fantasmes d’érotisme, mais quelque chose qui ressemble à des prothèses humaines semblables aux poupées mécaniques ou gonflables, plus récemment aux robots électroniques: Michael Jackson en mutant blanchi et reconstruit en zombi à coup de chirurgie qu’on peine à dire esthétique ; Madona l’agitée de l’aérobic au corps plastifié et au regard glacial ; David Bowie précisément au sexe indéterminé, être intersidéral venu des glaciations hyperboréennes ; Marylin Manson, sorte de clown qui semble sortir des oubliettes d’une forteresse médiévale, sans oublier l’inévitable Lady Gaga, sorte d’agitée frénétique, soulevée de soubresauts du bas-ventre dont on ne sait si elle est prise par la danse de Saint-Guy ou si elle s’obstine à contenir une envie pressante de déféquer. Voilà autant d’incarnations (et d’autres que j’oublie que l’on voit et entend sur tous les clips de MTV) de cette transsexualité spectaculaire que l’on peut encore saisir dans la manière contemporaine de danser : fini les tangos érotiques, les paso-doble sensuels, les valses musettes langoureuses, les slows voluptueux ou même le be-bop endiablé, maintenant on s’agite dans un chacun pour soi plongé dans la plus inaudible cacophonie métallique, noyé dans son individualisme onanique. Interrogé par un journaliste pour savoir si une jeune et jolie femme habillée de manière provoquante avait conscience de l’effet érotique provoqué sur les hommes par sa tenue, une militante féministe lui répondit que cela n’était pas son souci car elle s’habillait comme elle le voulait sans tenir compte des autres. Voilà tout est dit ! L’autre ne compte plus dans le transsexualisme, c’est « chacun cherche son look »[36], chacun pour soi dans une existence morne sans autre horizon que le règne absolu de la marchandise qui offre justement tous les simulacres de prothèses, si bien qu’« il ne reste plus qu’à faire acte d’apparence sans se soucier d’être, ni même d’être regardé(e) […] être soi devient une performance éphémère, sanslendemain, un maniérisme désenchanté dans un monde sans manières. »[37]Le paraître éphémère, l’avoir sans fin du consumérisme, la quête effrénée d’un bien-être déjà acquis a remplacé la quête de l’Être. Aussi, être soi dans notre présent n’est-il plus que l’apparence de soi le temps d’un jour, d’une soirée sans lendemain. On passe d’une apparence à l’autre au gré des modes les plus labiles dans une société sans aspérités, lisse, aseptisée, une société où comme l’écrit Baudrillard le mal ne peut plus être énoncé et symbolisé sous peine d’anathème, un monde que l’on ne peut plus amener au langage du fantasme. Si le mal ne peut être énoncé, le désir non plus parce qu’il entraînerait toujours une certaine dose de violence serait-elle métaphorique, métonymique ou imaginaire. Transparence du mal qui n’empêche pas que le mal travaille la praxissociale, mais, il doit être bien dissimulé dans le silence médiatique, et ne doit pas même être verbalisé dans la sphère privée.
Or ce monde-là sans aspérité c’est exactement le monde que souhaite Madame Portman et beaucoup d’autres bien moins célèbres qu’elle. Le monde sans fantasme sexuels masculins (des femmes il n’est jamais question !) ne fait que valider tardivement la fin de la révolution sexuelle et le jouir sans limite qui aux États-Unis avait commencé avec le mouvement hippie, le flower power, centré simultanément sur une politique d’opposition ferme à la guerre du Vietnam par une Amérique jeune et rebelle. Aujourd’hui s’il n’est plus question de jouir, il n’est pas plus question de mouvements de masses contestant les guerres impérialistes menées par les quatre grandes puissances occidentales.
            Au contraire, le mouvement néo-féministe fondamentalement bourgeois en son essence, ne recherche que des privilèges pour les femmes de la bourgeoisie, de la petite-bourgeoise, en bref pour ce qu’il est convenu de nommer les upper middle class, dussent-elles pour certaines n’avoir que l’illusion d’y appartenir. On s’occupe beaucoup des stars abusées de Hollywood auxquelles furent promises de grandes carrières avec l’Oscar comme récompense, mais peu de la caissière de supermarché, de l’employée d’une entreprise de nettoyage, des ouvrières agricoles roumaines de Sicile menacées de licenciement si elles ne couchent pas avec le patron. Il est vrai que le supermarché, les seaux et les balais des femmes de ménages, les mains abîmées des ouvrières agricoles sont beaucoup moins glamour que le luxe hollywoodien[38]. Or dans ce bal des minorités cherchant des privilèges contre les majorités exploitées on entend peu parler aujourd’hui des femmes en tant que prolétaires. Ainsi le mouvement féministe étasuniens le plus puissants a, par la bouche de sa présidente, déclaré qu’elle n’organisera aucune manifestation contre la politique américaine et israélienne au Moyen-Orient tant que les femmes américaines ne seraient pas libérées. Aujourd’hui libérée de quoi ? Des fantasmes agressifs des hommes ou de l’exploitation salariale ? Voilà un bel argument qui doit enchanter les néoconservateurs de toutes acabits dans leurs entreprises militaires criminelles de par le monde.

Un monde du droit ou tout se paie, sans fantasmes et sans combat politique

Or justement, le monde sans fantasmes que préconise Madame Portman est précisément un monde du droit et non du combat politique où les rencontres entre les sexes ne sont pas des états fusionnels de sentiments et d’engagements intellectuels, mais des situations provisoirement fonctionnelles où toutes les tentatives d’attouchements et de verbalisation seraient garanties par autant de contrats préalables.[39]Arrivé à ce point de désexualisation, il n’est plus question de séduction, d’érotisme, de sublimation dans le rapport homme/femme, mais de fonctionnalités substituables que la science (médecine et chirurgie) et l’argent (payer des mères porteuses par exemple) peuvent déplacer tant sur le rapport homme/homme que sur celui femme/femme. En effet, dès lors que le mal n’est plus dicible, il n’est plus possible, sans être menacé de procès, voire d’enfermement, de verbaliser ou d’illustrer ses fantasmes dans les jeux de langage de la séduction, et de métaphoriser le désir en diverses manières, même parfois brutales car d’aucuns le savent, ne serait-ce que par des lectures poétiques, romanesques ou par des films, que le désir, la violence et la mort sont sans cesse au travail dans la passion amoureuse. Peut-être que dans notre présent postmoderne, postindustriel et dans une certaine mesure post-historique, l’amour, notion archaïque du rapport du « je » à l’autre, ne serait plus un problème de passion, parfois de passion dévorante, incendiaire, criminelle et mortelle, mais simplement un état contractuel momentané et labile de participants interchangeables. Ce qui serait – ô ironie cruelle de l’histoire ! – l’une des grandes victoires de la bourgeoisie la plus avancée de la modernité tardive.

Claude Karnoouh, Bucarest, mars 2018


[1]    J’ai longuement glosé ce distique quasi métaphysique dans un ouvrage intitulé :Vivre et survivre en Roumanie communiste : Rites et discours versifiés chez les paysans du Maramureş, LHarmattan, Paris, 1998Paru en roumain dans une traduction d’Adrian T. Sârbu, Cluj, Dacia, 1999.
[2]    On pourrait dire la même chose du film de Polanski, The Ghost Writerqui lui a valu la reprise par la justice étasunienne en 2010 de son affaire de viol close juridiquement vingt-cinq ans auparavant (le film avait été produit par Miramax, c’est-à-dire par Weinstein). Film qui dénonçait métaphoriquement la nature criminelle du pouvoir de Blair et sa collusion avec Bush pour déclencher la guerre d’Irak.
[3]      Célèbres psychanalystes de l’école de Paris. Cf., Vocabulaire de la Psychanalyse, V° Fantasme, P.U.F., Paris, 1971.
[4]      Dans ses mémoires le cinéaste surréaliste Luis Buñuel note que les Jésuites lui avaient fait tant aimer la Vierge que collégien il lui arrivait de se faufiler dans la solitude de l’église du collège pour se masturber devant l’une de ses statues.
[5]      Cf., le film de Robert Bresson, Pickpocket, 1959.
[6]      Exemples remarquables de Balthus, Thérèse rêvant, fantasme sexuel masculin et La Leçon de guitare, fantasme sexuel féminin. Une association féministe a lancé il y a un mois de cela, dans la foulée du mouvement #Metooune pétition qui a recueilli plus de 10 000 signatures afin de faire enlever des cimaises du MMA le tableau de Balthus Thérèse rêvant, sous prétexte de suggestions sexuelles dangereuses, ce que le musée a refusé fermement.
[7]      Je ne traiterai pas ici du pourquoi une dénonciation aussi tardive, qui ressemble bien plus à un règlement de compte entre mogols du business qu’à une opération d’éthique sociale et individuelle.
[8]      Jacques Lacan, Écrits, 2 tomes, Edit. du Seuil, Paris, 1971.
[9]    Leopold von Sacher-Masoch, La Madonne à la fourrure, Paris, 2009. Original, Venus im Pelz, 1870.
[10]   Maurice Sachs, Le Sabbat, Corréa, Paris, 1946.
[11]   La question de savoir quelle serait l’essence d’une « vie normale » demeure en suspend et n’est pas débattue dans ce bref essai.
[12]   Sur le sujet à voir le très subtil et sinistre film de Luis Buñuel, Belle de Jour, 1967.
[13]   Néologisme construit sur le verbe frotter. 
[14]   Cf., The Strait Times, 19 août 2015, sur www.straitstimes.com.
[15]   Cet aspect de la répression masculine comme faux combat souhaitée par les groupes féministes les plus radicaux et certaines vedettes de cinéma les plus en renom, a été parfaitement déconstruit par le metteur-en-scène autrichien Michaël Haneke in : http://www.defenddemocracy.press/controlling-society-a-sexual-counter-revolution/et par l’article : http://www.defenddemocracy.press/the-public-humiliation-and-destruction-of-metropolitan-opera-conductor-james-levine/
[16]  Rosa Luxemburgdevant le tribunal militaire (1914).
        On remarque la même attitude chez Angela Davis, seule combattante féministe étasunienne à avoir fait de la prison parce que militante communiste (et universitaire), qui avait placé la lutte de l’émancipation des femmes prolétaires, et plus précisément des femmes noires sous-prolétaires au centre de son combat, ainsi que son opposition radicale à la guerre du Vietnam.
[17]   Sur le rôle de la blague et du mot d’esprit, cf., Sigmund Freud, Der Witz und seine Beziehung zum Unbewußten, Vienne, 1905.
[18]   Il y a dans le roman de Céline Voyage au bout de la nuit(à l’époque médecin dans un cartier populaire du Nord de Paris) une scène de sadomasochisme d’une violence extrême et d’un rare réalisme psychique où un couple s’apprêtant à faire l’amour attache sur un lit leur enfant, une fille de 8 ans afin qu’elle les voie forniquer, et tout en forniquant ils la battent. On voit ici comment le fantasme sexuel non-contrôlé par le surmoi (ou le phallus selon la terminologie lacanienne) devient praxisdu mal dans le réel quand il se réalise.
[19]   Pour garder un style politiquement correct, j’ai mis ces deux mots sous forme de l’écriture inclusive comme le souhaitent les néo-féministes françaises.
[20]  Jean Baudrillard, De la séduction, Paris, 1979.
[21]   Le lecteur averti aura remarqué que j’ai pris l’option théorique freudienne de l’Ecole de Paris, et surtout de Lacan. Je connais fort bien les critiques adressées à Freud par Adler, Jung, Reich, et d’autres sur la conception de la libido et le sexe. Ici n’est pas le lieu d’un tel débat, cependant je tiens à assumer mon choix théorique en ce que le sexe est sa castration sont la dynamique ontologique de la libido. Que Karl Popper affirme que la psychanalyse est une pseudoscience, c’est l’énonciation grotesque d’un matérialisme scientiste, surtout après que Lacan unit Freud et l’herméneutique existentielle heideggerienne. La psychanalyse est l’interprétation d’un discours et non une explication qui chercherait des règles scientifiques intangibles propres à la production d’un état psychique singulier (cela la psychologie le fait !), même si l’on peut généraliser certaines configurations comme le meurtre du père et la castration. En ce sens, je me sens éloigné de Laplanche qui refuse l’analyse phénoménologique à la psychanalyse. Il faudrait par ailleurs développer l’apport très original de Heidegger à la Daseinanalysedéveloppée par Ludwig Binswanger et Medar Boss : cf.,Ludwig Binswanger,Analyse existentielle, psychiatrie clinique et psychanalyse : Discours, parcours et Freud,Gallimard, Paris, 1981.
[22]   N’ayant voulu trop alourdir le texte je m’en suis tenu à quelques exemples pris dans la littérature française.
[23]   Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereusesou Lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres. Paris, 1792.
[24]  D’abord les surréalistes qui manifestent leur admiration littéraire et politique, cf., l’article de Paul Éluard dans le numéro 8 du 1er décembre 1926 de la revue La Révolution surréaliste : « D.A.F. de Sade, écrivain fantastique et révolutionnaire ». Cet aspect révolutionnaire de Sade est illustré par le film de Buñuel en collaboration avec Salvador Dali, l’Âge d’or, 1930, et plus tard avec La Voie lactée, 1969.
        Après la Seconde Guerre mondiale, Blanchot, Klossowski, Simone de Beauvoir, Lacan, Foucault, Sollers, Barthes et Deleuze montrèrent l’importance de l’œuvre de Sade dans l’élaboration d’une modernité sécularisée saisie au travers de l’enfermement de la « folie » érotique, sadomasochiste et radicalement anticléricale.
        Il faut enfin noter la très importante pièce de Peter Weiss sur le rapport entre révolution, folie et répression : Marat-Sade (Die Verfolgung und Ermordung Jean Paul Marats dargestellt durch die Schauspielgruppe des Hospizes zu Charenton unter Anleitung des Herrn de Sade),1963, pièce traduite en français par Jean Baudrillard, Marat-Sade,(La Persécution et l'Assassinat de Jean-Paul Marat tel que monté par les patients de l'asile de Charenton sous la direction du Marquis de Sade), Seuil, Paris 1965.
[25]   Cette grande dame dont le salon était le rendez-vous de tous les écrivains et philosophes les plus critiques de la monarchie absolue dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, fût l’arrière-grand-mère d’une autre femme célèbre pour son indépendance sentimentale et professionnelle, George Sand, née Aurore Dupin, brillante et grande combattante du droit à l’indépendance des femmes, disciple du penseur socialiste Pierre Leroux et fermement opposée au mariage et à l’Eglise catholique tout en étant chrétienne.
[26]   Il est vrai qu’après une très vigoureuse protestation du public, le tableau est retourné à sa place au musée.
[27]   https://www.mirror.co.uk/news/uk-news/schoolgirl-fell-pregnant-six-times-12171253
[28]   Je me suis souvent interrogé pour savoir où pouvait se tenir le bien absolu dans la vie terrestre. Cette interrogation était née quand le Président Reagan avait déclaré que l’URSS était l’empire du Mal. J’avais interrogé le réel pour savoir où était l’empire du Bien ? J’avoue humblement ne l’avoir jamais trouvé !
[29]   Les catholiques ont inventé le Purgatoire comme lieu intermédiaire du jugement pour les pécheurs où se déciderait en ultime instance dans quelle direction se dirigera leur âme, vers le Paradis ou vers l’Enfer.
[30]   Le Banquet, (189c-193e).
[31]   Gershom Scholem, La Kabbale. Une introduction, Paris, Le Cerf, 1998.
[32]   Jean Baudrillard, La Transparence du mal, chap : ‘Transsexuel’, p. 28. Galilée, Paris, 1990.
[33]   Je rappelle que les premiers mouvements contestataires à l’Université de Nanterre qui eurent lieu dès la rentrée universitaire en octobre 1967 avaient pour thème la demande des étudiants et des étudiantes de pouvoir rester coucher dans les chambres des garçons ou des filles selon les circonstances, puisque que dans la résidence universitaire les bâtiments des filles et ceux des garçons étaient séparés.
[34]   Voir à ce sujet parmi l’immense littérature de la philosophie de boudoir et les illustrations érotico-pornographiques d’époque, Diderot, Les Bijoux indiscrets, 1748 ;Crébillon fils, Le Sopha, 1742 ; Mirabeau, Ma conversion, ou le libertin de qualité, 1783, Laclos et Sade déjà abondamment cités ; enfin, l’excellente synthèse, Romans libertins du xviiiesiècle, éd. P. Wald Lasowski, Paris, 2000. Etsur le mode plus léger les excellentes illustrations dans le film de Bertrand Tavernier, Que la fête commence, 1975, Patrice Lecomte, Ridicule, 1996, Sophia Coppola, Marie Antoinette, 2012.
[35]   Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, Paris, 1869 ; Emile Zola, Nana, Paris, 1880.
[36]   Jean Baudrillard, Ibid., p. 30.
[37]   Ibid., p. 31.
[38]   Seul un obsédé comme DSK s’est fait prendre au piège avec une femme de ménage dans un hôtel de New York. Cependant beaucoup pensent que cet incident a été une mise en scène à partir du point faible de l’homme (priapique) pour évincer un directeur général du FMI devenu trop curieux et trop encombrant. Et oui la libido peut aussi servir de règlement de compte sous-terrain et de coups fourrés comme le rappelle l’histoire du ministre Profumo en Grande-Bretagne, piégé par une très belle call-girltravaillant pour l’ambassade soviétique à la fin des années ‘50.
[39]   Cette déraison appelée aussi le politiquement correct touche tous les domaines. Ainsi des groupes de noirs veulent présentement retirer la littérature anglaise du cursus de l’enseignement universitaire sous prétexte du racisme des auteurs et n’étudier que les auteurs noirs américains, comme quelques temps auparavant ils avaient voulu, avec la complicité de quelques professeurs blancs démagogues, démontrer que la philosophie grecque était née dans la haute Egypte, parmi les noirs africains de ce qui est aujourd’hui le Soudan. Ces assertions donnèrent lieu aux fameux débats sur Black Athenadont les plus importants hellénistes des années 1980-2000 démontrèrent la grossière imposture.
            Cf., Martin BernalBlack Athena: Afroasiatic Roots of Classical Civilization, III volumes, Rutgers University Press,1987 1991, 2006.
                  Sa critique par, Mary R. Lefkowitz, Black Athena Revisited, The University of North Carolina Press, 1996.