Quelques remarques de
bon sens sur les élections européennes en France et en Roumanie
Le prétendu séisme électoral français et toutes les émotions
réelles ou feintes qu’il a suscité[1], doit être remis à sa
juste place. En premier lieu regardons sa réalité comptable. Le FN a certes reçu
26% des votes avec une abstention de 56,5%, soit 26% de 43,5% des votants, ce
qui nous donne environ 11% du corps électoral. Plus précisément, le FN
représente 4,84 millions d’électeurs, l’UMP 4,03 millions, le PS 2,7, el Modem
1,92, les Verts 1,7, etc… En revanche, l’abstention représente 25 millions
d’électeurs ! La seule conclusion que l’on puisse tirer de ces résultats,
c’est leur ridicule. La vraie victoire est bien celle des abstentionnistes qui
ont refusé de voter pour tant pour les partis de gouvernement classiques qui
sont ainsi totalement délégitimés (le Président de la République et son Premier
ministre en tête, et l’UMP qui ne s’en tire pas beaucoup mieux) que pour des
oppositions dites d’extrême gauche devenues inexistantes. Tous les bobards
prévisionnels de droite et de gauche, ensemble ne peuvent plus masquer l’incapacité
de l’ensemble de la classe politique à gérer une crise qui s’intensifie année
après année. Si l’on ajoute à cela le fait avéré et répété qu’une majorité de
jeunes et d’ouvriers ont voté pour le FN[2], et abandonné tous les
partis d’une gauche plus ou moins radicale ou souverainistes (Front de Gauche, Nouveau
parti anticapitaliste, Lutte ouvrière, Dupont-Aignan, UPR d’Asselineau), nous
avons une image assez précise de ce qu’il représente réellement. Et le pire est
encore à venir ; sachant que le PS perd peu à peu le vote des émigrés
intégrés, le FN va devenir le grand parti de la classe ouvrière et des petites
classes moyennes, françaises et émigrées ![3]
Quoiqu’en Roumanie, dans un contexte social différent, le
parti vainqueur n’est pas beaucoup mieux
loti que le FN en France. Le PSD et ses deux commensaux, rassemblent 42% de
votants pour un taux d’abstention de 65,3%, donc le PSD représente 42% de 35,7%
de votants, soit 15% de tout l’électorat, il y a là pas de quoi pavoiser. De
fait, dans tous les pays où le taux d’abstention dépasse les 60%, il faut
considérer ces dernières élections comme une sinistre pantalonade ; et les
rodomontades des politiciens et d’un certain nombre d’intellectuels roumains et
autres ne changent rien à l’affaire.[4]
En effet, comment prendre au sérieux une élection quand nous
avons au long des années appris deux choses, d’une part que les députés
européens n’ont quasiment aucun pouvoir politique, sauf celui de voter des
décrets qui imposent la dimension de la circonférence des couvercles de WC, ceux
qui cherchent à interdire les fromages fermiers, l’abattage familial du porc et
la distillation de la Slibowitz à la ferme ! On le constate aisément, une
majorité des citoyens européens sont armés d’un fort bon sens en refusant leur
voix à des pantins, élus simplement pour faire semblant, pour jouer les pitres
animateurs de l’un des pires exemples de la politique spectacle dont Messieurs
Cohn-Bendit, Bonino, Vadim Tudor ou Becali furent les parfaits et plus ou moins
célèbres exemples. Le pouvoir n’est pas plus dans la main de la commission et
de la Présidence (non élue), le réel pouvoir est dans la finance euro-atlantique,
laquelle donne les ordres que van Rompuy, Ashton et Barroso appliquent avec les
autres commissaires. Alors qui est le grand vainqueur de ces élections
spectacles ? Mais l’abstention mon cher Watson, et ce d’autant plus si l’on
ajoute à l’abstention les votes annulés et les votes blancs. Qui a gagné ?
Comme l’écrit Jacques Sapir, c’est le moment Chevènement.[5]
Toutefois il n’en demeure pas moins évident qu’on assiste
pour la première fois à une montée massive des partis anti-européens de droite
ou de gauche que l’establishment définit comme extrémistes, comme si le capital
financier que défendent ces partis qui se prétendent bienséants n’était pas, via
les délocalisations et l’émigration sauvage, l’expression d’une violence sans
merci, d’un mouvement destructeur des collectivités locales et nationales afin
de fabriquer des hommes plongés dans l’errance, auxquels est laissée liberté de
vivre deux identifications possibles et simultanées : soit être chômeur ou
un misérable salarié précaire, soit être consommateur prisonnier de la
convoitise et donc n’être que l’esclave du crédit. De manière peu surprenante aujourd’hui si l’on
écoute son discours peaufiné de longue date, le FN en est venu à représenter
les gens qui ont tout perdu ou presque sauf une chose, l’idée qu’une nation souveraine
défend mieux ses citoyens qu’un conglomérat de collectivités uni par une
superstructure juridique sans consistance historico-culturelle, dont le seul
liant se tient dans l’économique, c’est-à-dire dans le marché, le business
bancaire, les flux financiers et l’exportation/importation de main-d’œuvre à
bon marché. Dynamique du capital de troisième type qui a entraîné la naissance
de la vraie nouvelle bourgeoisie qui n’est plus nationale, mais qui se présente
comme la super classe jet-set qui s’accommode de tous les pouvoirs pourvu que
toute barrière puisse être levée qui entraverait la circulation de
l’investissement et le retour le plus rapide possible de la plus-value. Tout le
personnel politique est bon, que ce soit les conservateurs, les droites de
gouvernement dites « républicaines » ou la « gauche » sous
forme de la social-démocratie bobo, alliée du capital depuis belle lurette :
tous ce personnel est interchangeable (comme les journalistes) pourvu qu’en
dernière instance le pouvoir réel reste entre les mains des décideurs de notre
futur, les banques et les sociétés d’investissement ainsi que leurs relais dans
la superstructure étatique.
De fait le vote FN me fait songer à une forte parole de
Jaurès qu’il a su reprendre à son compte : quand les prolétaires ont tout
perdu écrivait-il au tournant du XXe siècle, seule la nation leur reste. Et
s’il n’est pas trop tard, voilà une belle leçon que devrait méditer la gauche
qui se prétend radicale si elle souhaite commencer à partir à la reconquête de
l’espace politique, c’est à dire à la conquête d’un destin humain qui se
tiendra comme il se doit bien au-delà de l’économique. Mais comment la gauche
radicale eût-elle pu proposer une telle conquête
puisque jusqu’à présent, toujours en retard d’une guerre, elle n’a pas su la penser
en sa radicalité authentique.
Claude Karnoouh, 28 mai 2014
[1]
Oublions les larmes de crocodile de Mélenchon, grotesque comme un vieux comique
dont le numéro ne fait plus rire personne.
[2]
Même l’une des radios officielles françaises a été obligée de reconnaître
qu’une enquête menée auprès des syndicats nous
enseignait que :
1) 33% des membres de FO (Force
ouvrière, syndicat réformiste) ont voté premier le FN.
2) A la CGT syndicat proche du Front de
Gauche, le FN arrive en deuxième position derrière Front de Gauche.
3) A la CFDT (syndicat proche du PS), le FN arrive en deuxième position à
égalité avec Modem. Seul syndicat (composé essentiellement de cadres et de
fonctionnaires) où le PS arrive en première position.
[3]
Télévision France 24, le 27 mai 2014 :
« Ils s’appellent
Farid, Karima ou Myriam, ils sont Français d’origine arabe, musulmans et…
votent pour le Front national (FN). Ils ont adopté ses idées et militent pour
les propager auprès des musulmans de France. » Voilà qui est fait tout à
fait nouveau dans le paysage politique français.
[4]
Abstentions : 87% en Slovaquie, 80,5%
Slovénie, 79%, République Tchèque, 77,3% en Pologne, 75,7% en Croatie,
70,8% Lettonie, 70%, Hongrie et 65,3% en Roumanie.
[5]
Jacques Sapir, http://russeurope.hypotheses.org/2322,
le 28 mai 2014.
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