mercredi 28 mai 2014

Quelques remarques de bon sens sur les élections européennes en France et en Roumanie

Quelques remarques de bon sens sur les élections européennes en France et en Roumanie

Le prétendu séisme électoral français et toutes les émotions réelles ou feintes qu’il a suscité[1], doit être remis à sa juste place. En premier lieu regardons sa réalité comptable. Le FN a certes reçu 26% des votes avec une abstention de 56,5%, soit 26% de 43,5% des votants, ce qui nous donne environ 11% du corps électoral. Plus précisément, le FN représente 4,84 millions d’électeurs, l’UMP 4,03 millions, le PS 2,7, el Modem 1,92, les Verts 1,7, etc… En revanche, l’abstention représente 25 millions d’électeurs ! La seule conclusion que l’on puisse tirer de ces résultats, c’est leur ridicule. La vraie victoire est bien celle des abstentionnistes qui ont refusé de voter pour tant pour les partis de gouvernement classiques qui sont ainsi totalement délégitimés (le Président de la République et son Premier ministre en tête, et l’UMP qui ne s’en tire pas beaucoup mieux) que pour des oppositions dites d’extrême gauche devenues inexistantes. Tous les bobards prévisionnels de droite et de gauche, ensemble ne peuvent plus masquer l’incapacité de l’ensemble de la classe politique à gérer une crise qui s’intensifie année après année. Si l’on ajoute à cela le fait avéré et répété qu’une majorité de jeunes et d’ouvriers ont voté pour le FN[2], et abandonné tous les partis d’une gauche plus ou moins radicale ou souverainistes (Front de Gauche, Nouveau parti anticapitaliste, Lutte ouvrière, Dupont-Aignan, UPR d’Asselineau), nous avons une image assez précise de ce qu’il représente réellement. Et le pire est encore à venir ; sachant que le PS perd peu à peu le vote des émigrés intégrés, le FN va devenir le grand parti de la classe ouvrière et des petites classes moyennes, françaises et émigrées ![3]
Quoiqu’en Roumanie, dans un contexte social différent, le parti vainqueur  n’est pas beaucoup mieux loti que le FN en France. Le PSD et ses deux commensaux, rassemblent 42% de votants pour un taux d’abstention de 65,3%, donc le PSD représente 42% de 35,7% de votants, soit 15% de tout l’électorat, il y a là pas de quoi pavoiser. De fait, dans tous les pays où le taux d’abstention dépasse les 60%, il faut considérer ces dernières élections comme une sinistre pantalonade ; et les rodomontades des politiciens et d’un certain nombre d’intellectuels roumains et autres ne changent rien à l’affaire.[4]
En effet, comment prendre au sérieux une élection quand nous avons au long des années appris deux choses, d’une part que les députés européens n’ont quasiment aucun pouvoir politique, sauf celui de voter des décrets qui imposent la dimension de la circonférence des couvercles de WC, ceux qui cherchent à interdire les fromages fermiers, l’abattage familial du porc et la distillation de la Slibowitz à la ferme ! On le constate aisément, une majorité des citoyens européens sont armés d’un fort bon sens en refusant leur voix à des pantins, élus simplement pour faire semblant, pour jouer les pitres animateurs de l’un des pires exemples de la politique spectacle dont Messieurs Cohn-Bendit, Bonino, Vadim Tudor ou Becali furent les parfaits et plus ou moins célèbres exemples. Le pouvoir n’est pas plus dans la main de la commission et de la Présidence (non élue), le réel pouvoir est dans la finance euro-atlantique, laquelle donne les ordres que van Rompuy, Ashton et Barroso appliquent avec les autres commissaires. Alors qui est le grand vainqueur de ces élections spectacles ? Mais l’abstention mon cher Watson, et ce d’autant plus si l’on ajoute à l’abstention les votes annulés et les votes blancs. Qui a gagné ? Comme l’écrit Jacques Sapir, c’est le moment Chevènement.[5]
Toutefois il n’en demeure pas moins évident qu’on assiste pour la première fois à une montée massive des partis anti-européens de droite ou de gauche que l’establishment définit comme extrémistes, comme si le capital financier que défendent ces partis qui se prétendent bienséants n’était pas, via les délocalisations et l’émigration sauvage, l’expression d’une violence sans merci, d’un mouvement destructeur des collectivités locales et nationales afin de fabriquer des hommes plongés dans l’errance, auxquels est laissée liberté de vivre deux identifications possibles et simultanées : soit être chômeur ou un misérable salarié précaire, soit être consommateur prisonnier de la convoitise et donc n’être que l’esclave du crédit.  De manière peu surprenante aujourd’hui si l’on écoute son discours peaufiné de longue date, le FN en est venu à représenter les gens qui ont tout perdu ou presque sauf une chose, l’idée qu’une nation souveraine défend mieux ses citoyens qu’un conglomérat de collectivités uni par une superstructure juridique sans consistance historico-culturelle, dont le seul liant se tient dans l’économique, c’est-à-dire dans le marché, le business bancaire, les flux financiers et l’exportation/importation de main-d’œuvre à bon marché. Dynamique du capital de troisième type qui a entraîné la naissance de la vraie nouvelle bourgeoisie qui n’est plus nationale, mais qui se présente comme la super classe jet-set qui s’accommode de tous les pouvoirs pourvu que toute barrière puisse être levée qui entraverait la circulation de l’investissement et le retour le plus rapide possible de la plus-value. Tout le personnel politique est bon, que ce soit les conservateurs, les droites de gouvernement dites « républicaines » ou la « gauche » sous forme de la social-démocratie bobo, alliée du capital depuis belle lurette : tous ce personnel est interchangeable (comme les journalistes) pourvu qu’en dernière instance le pouvoir réel reste entre les mains des décideurs de notre futur, les banques et les sociétés d’investissement ainsi que leurs relais dans la superstructure étatique.
De fait le vote FN me fait songer à une forte parole de Jaurès qu’il a su reprendre à son compte : quand les prolétaires ont tout perdu écrivait-il au tournant du XXe siècle, seule la nation leur reste. Et s’il n’est pas trop tard, voilà une belle leçon que devrait méditer la gauche qui se prétend radicale si elle souhaite commencer à partir à la reconquête de l’espace politique, c’est à dire à la conquête d’un destin humain qui se tiendra comme il se doit bien au-delà de l’économique. Mais comment la gauche radicale eût-elle pu proposer une  telle conquête puisque jusqu’à présent, toujours en retard d’une guerre, elle n’a pas su la penser en sa radicalité authentique.
Claude Karnoouh, 28 mai 2014


[1] Oublions les larmes de crocodile de Mélenchon, grotesque comme un vieux comique dont le numéro ne fait plus rire personne.
[2] Même l’une des radios officielles françaises a été obligée de reconnaître qu’une enquête menée auprès des syndicats nous  enseignait que :
1) 33% des membres de FO (Force ouvrière, syndicat réformiste) ont voté premier le FN.
2) A la CGT syndicat proche du Front de Gauche, le FN arrive en deuxième position derrière Front de Gauche.
3) A la CFDT (syndicat proche du PS), le FN arrive en deuxième position à égalité avec Modem. Seul syndicat (composé essentiellement de cadres et de fonctionnaires) où le PS arrive en première position.
[3] Télévision France 24, le 27 mai 2014 :
« Ils s’appellent Farid, Karima ou Myriam, ils sont Français d’origine arabe, musulmans et… votent pour le Front national (FN). Ils ont adopté ses idées et militent pour les propager auprès des musulmans de France. » Voilà qui est fait tout à fait nouveau dans le paysage politique français.
[4] Abstentions : 87% en Slovaquie, 80,5%  Slovénie, 79%, République Tchèque, 77,3% en Pologne, 75,7% en Croatie, 70,8% Lettonie, 70%, Hongrie et 65,3% en Roumanie.
[5] Jacques Sapir, http://russeurope.hypotheses.org/2322, le 28 mai 2014.

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