Obama for President ou comment fabriquer l’homme providentiel
À peine vingt-cinq jours après l’élection de Barack Obama,
après des moments d’enthousiasme proche du délire collectif, d’exaltation quasi
messianique pour le premier homme de couleur accédant à la Présidence des
États-Unis, après la frénésie européenne, essentiellement française et
allemande, traversant tous les milieux sociaux, toutes les classes sociales,
depuis le Front national à l’ex-future candidate du PS jusque dans les colonnes
de l’Humanité, après les professions
de foi tenues sur les vertus de la démocratie étasunienne, après l’enivrement
des jeunes « blacks » des banlieues dites « chaudes » qui
déliraient de joie en s’appropriant le nouvel élu ; dix jours après,
pendant que les peuples assommés d’une propagande profondément ethniciste
s’enivrent encore de cette « divine surprise » et s’extasient devant
le bel Obama et la première First Lady
de couleur, il faudrait savoir raison garder. Car, au bout du compte, c’est un
homme politique que les Étasuniens ont élu, et non une rock star charismatique, quoique par moments l’on puisse en douter,
et le nouvel élu semble avoir pris le pli de se présenter devant le peuple dans
un style glamour très people, une sorte de synthèse
harmonieuse entre Harry Belafonte et Oprah Winfrey.
Un simple coup d’œil sur l’équipe de campagne du candidat
Obama, un recueil des biographies des premières personnes nommées pour occuper
les postes cruciaux de conseillers présidentiels et de secrétaires d’État de la
future administration remettent les choses à leur place. Ces nominations
illustrent, une fois encore, la parole du prince Salina dans le Guépard :
« Il faut que tout change pour que tout demeure en place ».
L’important pour les vraies élites dirigeantes – aux
États-Unis le complexe militaro-industriel-financier (dénoncé, en son temps par
le Président Eisenhower) – ce n’est pas le parti formant tel ou tel
gouvernement et gérant le pouvoir, mais, en fonction de la conjoncture, celui
qui, tout en faisant semblant de répondre spectaculairement aux aspirations des
masses, est capable de maintenir leur pouvoir et de le renforcer afin de
conserver tous les avantages, financiers, politiques, symboliques, qu’il
procure. Dans son ouvrage sur les États-Unis, le sociologue Denis Lacorne
remarquait que le capitalisme le plus avancé, le plus moderne, et donc le plus
ouvert à une intensification toujours plus accusée de la mondialisation, était
à l’égard des mœurs le plus tolérant et le plus ouvert à toutes les nouvelles
formes de socialisation et sexualisation. [i]L’auteur
relevait qu’au tournant des années 1970-1995, les États-Unis étaient un champ
de lutte entre l’ancien capitalisme conservateur, représenté par la droite du
parti républicain, héritière des modèles du XIXe siècle, et un capitalisme
moderne, incarné par des milliardaires tels que les financiers Georges Soros et
Bill Gates et une majorité des membres du nouveau parti démocrate représenté
par le couple Clinton. Pour ces derniers, ni les mœurs ni l’origine ethnique ne
peuvent faire l’objet de discrimination politique (ni, bien sûr, culturelle)
pourvu que mœurs et groupes n’enfreignent pas les lois. De fait, il s’agit
d’une positivité, développée par l’affirmative
action, tournant parfois au grotesque, ainsi lorsque ses thuriféraires
imposent des contraintes au langage pour en faire la langue du politiquement
correct. Dans un mélange où sont mises en avant des différences culturelles,
vraies ou fausses, construit-on une société où, comme dans la sphère des
marchandises, tout n’est que simultanéité et collage. Ainsi, homosexuels, travestis,
lesbiennes, gens de couleurs, hispaniques, chinois, coréens, juifs,
amérindiens, etc., ne sont pas considérés au premier chef comme ils devraient
l’être dans un État de droit, des citoyens égaux -le combat pour les droits
civiques fut constitutionnellement
légitime- mais comme les membres de communautés dont on épingle et réifie les
origines ou les pseudo-différences. Tous ces groupes, y compris les
« Afro-Américains branchés » (cinéastes, acteurs, chanteurs
pop-rock-rap-hip-hop, très « bling-bling »),
militants des partis institutionnalisés, appartiennent à l’upper middle class : ce sont des électeurs très actifs, des
lobbyistes zélés et des consommateurs importants. Les protéger et les défendre
représente une affaire politico-économique et idéologique à ne pas rater. Une
société fondée sur le collage et la juxtaposition de communautés n’est pas une
société de citoyens ni une société qui reconnaît le paradigme des classes
sociales en conflit, mais un assemblage d’intérêts qui se complètent ou s’affrontent
pouvant entraîner la désagrégation de l’État le jour où la machine se dérègle
gravement. L’autre effet de cette culturalisation du corps social, c’est qu’il
masque ou efface dans le discours officiel pour le consensus les rapports de
classe, implicites ou explicites, conscientisés (comme expérience
existentielle) ou regardés d’un seul point de vue objectif. Une fois encore,
les faits, têtus pour qui sait les regarder en face sont là :
« la tolérance multiculturelle, rappelait Slavoj Žižek, est l’idéologie
hégémonique du capitalisme global. » [ii] La
relation essentielle du capitalisme s’inscrit toujours entre les deux pôles du socius que son essence engendre dans le
rapport du capital au travail, instauré et réinstauré, pour la production
encore plus intense des marchandises : celui de la pauvreté et celui de la
richesse. Combien de miséreux et de travail faut-il pour fabriquer les
multimilliardaires de la finance et du management, les multimillionnaires du show et du sport business, les top-modèles qui par leur consommation
ostentatoire entretiennent les rêves des revues « people » ?
Au début du XXe siècle, le président des États-Unis,
Théodore Roosevelt disait vrai quand il affirmait : « The business of America is precisely
business » : messianisme et prophétisme industriel, marchand,
mêlés. Il complétait ainsi la doctrine Monroe avec celle, éminemment empirique,
du « big stick ». Un
État-entreprise : l’exemple même, selon Marx, de l’État dont le personnel
politique, quelle que soit l’origine sociale, représente la classe qui dirige
et domine la grande économie (industrie et finance), incarné par le
mot-valise du complexe militaro-industriel. De ce point de vue le film de
Cimino, Heaven Gates (Les portes du
Paradis) et l’ouvrage de l’historien Howard Zinn, A People History of the United States (Une histoire populaire des
États-Unis)[iii]
sont de parfaites illustrations de la nature particulière et bien réelle du
totalitarisme Usa. La seule transcendance s’y présente sous une double
face : sous l’égide d’un dollar faisant la publicité de la foi en Dieu
(« In God we trust » est-il
écrit sur chaque dollar), et avec la sacralisation quasi mystique de la
propriété privée. Dès qu’aux États-Unis une force authentiquement populaire
s’élève pour changer l’équilibre des pouvoirs et remettre en cause la
distribution de la propriété, elle est, sans marge de négociation, écrasée par
un jeu très habile où se conjuguent l’application de la loi et la répression
physique d’une extrême violence.
Je tiens l’élection de Barack Obama pour l’une des plus
belles opérations de marketing politique organisée et réussie aux États-Unis
par sa classe dirigeante. Je sais que cette affirmation en choquera plus d’un
parmi les bonnes âmes de la social-démocratie (sans parler de la flagornerie coutumière
des intellectuels à ses ordres) et parmi les aveugles naïfs (fussent-ils bardés
de diplômes universitaires) pris par l’« obamania », confondant un
homme politique, fût-il métis, mais banalement élu, avec l’homme providentiel
qui, dans l’épreuve se révèle un grand stratège politique. Une analyse
minutieuse de la manière dont le sénateur Obama a accédé au pouvoir
présidentiel montre la nature exacte de cette élection qui, usant de la
démocratie de masse, pour mieux ressaisir un pouvoir discrédité moins par les
guerres néocoloniales déclenchées en Irak et en Afghanistan que par les
dysfonctions profondes de la machine économique : crise productive, krach
boursier, déflation et dépression économique globale à l’automne 2008.
Pour tenter de saisir ce qui s’est passé, il convient de
nous tourner d’abord vers la faillite de l’administration Bush. Si elle a
totalement ou presque raté son coup pour mettre en œuvre la domination
impériale globale, c’est de n’avoir pas mesuré avec plus de lucidité les coûts
économiques de telles opérations. Selon une habitude propre à tous les pouvoirs
coloniaux et néocoloniaux, l’administration Bush a méprisé l’ennemi jugé comme
un « sous-homme » terrorisé par la puissance d’un armement hautement
technologique. Mais l’homme de l’hyper-technologie oublie des choses
essentielles propres à l’homme archaïque, le courage et le mépris envers la
mort chez des peuples guerriers ou insoumis. Lorsque le président Bush annonça,
« The job is done, war is over »,
ses conseillers se doutaient-ils que huit ans après le bombardement et
l’invasion de l’Irak, ce pays serait toujours instable, en parti insoumis, et
quasiment ingouvernable. Quant à l’Afghanistan, la majeure partie de son
territoire demeure hors du contrôle des troupes de l’Alliance. Pour trouver les
moyens financiers de ces guerres de « basse intensité », l’ancien
président de la Fed, A. Greenspan a mis en place une dérégulation générale de
l’économie de manière à intensifier le flux de l’épargne mondiale et le diriger
vers les États-Unis. En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la
victoire sur l’Allemagne nazie et le Japon, les États-Unis ont mis au travail
leur puissance pour donner à ses élites et à ses classes moyennes le niveau de
vie le plus élevé du monde sur le dos des autres. Malgré un développement
technoscientifique sans équivalent dans l’histoire, l’artificialité entre les
jeux financiers du crédit, la production réelle des richesses et leur
consommation finit par dérégler un équilibre toujours fragile des échanges
lorsque, par exemple, les créditeurs, pour une raison ou pour une autre,
décident de récupérer massivement leurs valeurs boursières en espèces. Dans un
système où le moteur essentiel de la croissance économique s’appuie sur la
consommation des ménages d’une part, sur l’immobilier d’autre part, il suffit
d’un accroc dans le flux de la production-crédit-consommation, d’une
surproduction, d’un mouvement de chômage imprévu, des crédits trop importants
par rapport aux réserves monétaires de quelques institutions financières
importantes, pour faire tomber l’édifice comme un château de cartes. C’est ce
qui advient présentement à une échelle inégalée depuis 1929. Nous avons pu
compter les sommes immenses (des fonds publics) consentis par les États afin
que des très prestigieuses banques, des non moins prestigieuses compagnies
d’assurance (ayant assuré des prêts à très haut risque) dispersées dans les
pays riches et certains pays émergeants, pour qu’elles ne soient pas mises en
état de cessation de paiement et déclarées en banqueroute totale comme l’a été
voici deux mois Lehmann Brothers, l’une des six majors de New York. C’est dans ce contexte de tensions entre
l’Europe (l’Europe qui compte, car aujourd’hui l’heure de vérité a sonné pour
les pays économiquement croupions, les nouveaux venus de l’ex-empire
soviétique) et les États-Unis que les responsables politiques et économiques
parlent de rebâtir un système de règles afin d’aménager et réguler à nouveau
les échanges mondiaux financiers et industriels. L’heure est grave et beaucoup
parlent de la nécessité d’un nouveau Bretton Wood. La crise qui, voilà à peine
trois mois ne faisait que commencer, empire de jour en jour. Pour le dire avec
le titre d’un remarquable film sur la naissance du capitalisme : There will be Blood ! Ça va
saigner ! Ça saigne déjà du côté du chômage. Voilà le contexte dans lequel
se sont déroulés les deux derniers mois de la campagne présidentielle aux
États-Unis. Ce contexte ne peut pas être écarté pour comprendre la grande
victoire du sénateur Obama.
Voici quatre ans, Barack Obama, n’était qu’un jeune sénateur
de l’Illinois, nouvellement élu au Congrès, à peu près inconnu ou presque dans
la vie politique. Il ne s’était pas fait remarquer pas des prises de positions
radicales. Il avait simplement voté contre l’intervention en Irak, une
minorité, et il n’était donc pas le seul. Soudain, voici deux ans, il se
déclara candidat à la présidence des États-Unis. S’il faut une certaine
mégalomanie pour briguer un tel poste, le système politique « à deux
têtes » ne permet jamais l’émergence d’une candidature sauvage, surtout en
son sein, capable de rassembler les donateurs nécessaires afin de mettre en
œuvre une campagne efficace sur tous les médias audiovisuels (qui, à cette
occasion, encaissent des bénéfices énormes). Comme par enchantement le sénateur
Obama reçut immédiatement des sommes considérables, bien plus importantes que
celles obtenues par sa plus sérieuse concurrente démocrate, Hillary Clinton,
vieux routier de la politique, sénatrice de l’État de New York, et surtout,
épouse et conseillère de l’ancien président Clinton, rompue à tous les mystères
et les pièges bureaucratiques et politiques de la capitale fédérale. Il y
aurait eu de quoi être quelque peu surpris. De plus, Barack Obama, enfant d’une
famille divorcée très modeste ne pouvait donc en appeler à une dynastie
puissante et wasp des Roosevelt ou
des Bush, ni à une communauté importante comme le richissime catholique
d’origine irlandaise, les Kennedy, ni, comme Ross Perrot, à sa fortune
personnelle. Par ailleurs, on ne le trouve pas porteur de quelque gloire
acquise au préalable dans d’autres domaines ; il n’est pas l’héritier
d’une très ancienne position sociale comme Théodore Roosevelt (et plus tard son
cousin Frank Delano Roosevelt), tous deux descendants d’une des familles
hollandaises ayant participé à la fondation de New York (et le second, par sa
mère, avait pour ancêtre l’un des membres du Mayflower) ; il n’a jamais joué un rôle de premier plan dans
l’armée comme le général Dwight Eisenhower, ou son concurrent, MacCain, fils et
petit-fils d’amiral qui, s’il n’a jamais eu un rôle important dans l’aviation
embarquée de l’US Marine, n’en a pas moins l’aura de l’ex-prisonnier de guerre
au Nord Vietnam ; il n’a pas fait carrière dans le cinéma comme Ronald
Reagan, célèbre certes, mais moins comme acteur de talent que comme
dénonciateur de communistes sous le maccarthysme en tant que président du
syndicat des acteurs à Hollywood, puis, plus tard, en tant que gouverneur de la
Californie (l’État le plus riche des États-Unis) ; il ne représente pas un
puissant groupe politique de démocrates, d’un État du Sud au statut
particulier, le Texas, comme l’était Lyndon Johnson ou, autre cas de figure,
Jimmy Carter, riche lui aussi, certes non texan, mais Georgien, et donc le
premier Président d’un État du Sud profond : avec retard on jouait avec
lui la réconciliation totale avec les Confédérés. On ne peut même pas faire
appel à lui pour le comparer à l’origine pauvre de son modèle, Abraham Lincoln,
car si ce dernier venait d’une famille analphabète de la Frontier, il ne s’en était pas moins forgé, bien avant son élection
en 1861, à l’âge de cinquante-deux ans, non seulement une solide réputation
politique, mais, comme avocat, était devenu le représentant des industriels du
Nord, dévoué aux intérêts des compagnies de chemin de fer qui partaient à la
conquête des États-Unis et n’avaient plus que faire d’un système esclavagiste
archaïque, caractéristique de l’ancienne économie rurale des États du Centre-sud
et du Sud. Ceux-là voulaient un prolétaire « libre », sans plus
d’attache à l’égard de ses employeurs qu’un contrat léonin, travailleur plus
corvéable encore qu’un esclave qui, en tant que propriété privée, pesait
directement sur le patrimoine de son maître et son manque à gagner si
d’aventure il ne pouvait, pour une raison ou pour une autre, travailler.
Lincoln fut l’antiesclavagiste au profit d’un prolétariat sans syndicat, sans
défense, soumis au bon vouloir des industriels, à la police, voire parfois à la
garde nationale ou à l’armée de l’Union.
On ne sait pas vraiment d’où Barack Obama tira la gloire qui
lui permit d’avancer sa candidature, si ce n’est la manière dont ses mentors
insistèrent sur le fait qu’il était un métis noir, jeune, sympathique, sorte de
nouveau Kennedy de couleur, pouvant redonner de l’espoir aux États-Unis et
répétant sans cesse : « nous changerons, nous pouvons le
faire ». Est-ce bien là un programme politique ? Ses sympathisants se
sont-ils demandé un seul instant s’il n’y avait pas là une manière à la fois
bien raciste et bien simpliste de penser la valeur politique d’un homme, même
si au lieu d’être négative comme le fut longtemps, la positivité attribuée à la
couleur de la peau ou au sexe féminin ne gommait en rien le racisme latent
qu’elle sous-tend ? Comme si la grande politique était question de couleur
de peau ou de genre masculin ou féminin. Il y a eu de très grands leaders noirs
en Afrique, Kenyatha, N’Krumah ou Lumumba, des femmes politiques très habiles
et très obstinées, Mesdames Ghandi, Golda Meir, Bhutto, Thatcher,
d’authentiques grands acteurs politiques quand bien des rois, des présidents de
la République ou du Conseil, des premiers ministres, n’étaient que des
gestionnaires tristes et obtus. Le véritable acteur du néoconservatisme
anglo-saxon n’a jamais été Ronald Reagan avec ses mots d’esprit, mais l’austère
Madame Thatcher. L’affirmative action
n’a jamais été un gage d’égalité plutôt une aumône charitable. Vers le mois de
mars 2008 les commentateurs mesuraient le fond du combat politique entre
Hillary Clinton et Barack Obama comme un match entre l’image que renvoyait un
homme de couleur confronté à une femme blanche. Mais jamais on entendit de
débats sur le fond de leur programme respectif s’ils en avaient réellement
sauf, peut-être lors de leur dernier débat où il semble que dans le domaine de
la politique intérieure, en particulier pour tout ce qui concerne la politique
sociale, Hillary Clinton se montra bien plus progressiste Barack Obama.
Homme venu d’une famille modeste, époux d’une femme noire
étasunienne, issue elle aussi d’une famille extrêmement modeste, tous deux
boursiers, rudes travailleurs, qui ont fait de bonnes études de sciences
politiques, de relations internationales et de droit dans d’excellentes
universités, ni l’un ni l’autre n’ont appartenu à de prestigieux instituts de
politologie, à des think-tanks de
relations internationales, ou à ces grands cabinets d’avocats d’affaires où de
jeunes débutants, enfants des « bonnes » familles (des riches, fussent-ils
de la high class ou roturiers) et des
étudiants méritants et brillants, sont repérés par des chasseurs de têtes pour
commencer à préparer une carrière politico-économique sous la houlette de
professeurs ou de collègues aguerris ayant déjà travaillé dans les hautes
sphères de l’administration fédérale. Car même un président d’origine pauvre
comme Bill Clinton, avait commencé, dès le BA obtenu, un apprentissage de
politique internationale dans la prestigieuse université de Georgetown,
spécialisée dans la préparation des futurs hauts fonctionnaires fédéraux,
diplomates, conseillers politiques, dirigeants de la CIA, du FBI et de diverses
agences. Son talent lui donna accès à une bourse Rhodes qui lui permet
d’étudier à l’université d’Oxford en Grande-Bretagne pendant deux ans, pour ensuite
revenir à l’université de Yale y faire des études de droit. Très beau parcours
d’un apprentissage prépolitique qui lui ouvrira les portes de l’enseignement du
droit à l’Université d’Arkansas, avant d’y commencer une carrière politique
comme attorney général, juge d’État,
puis en tant que gouverneur. En définitive, riches ambitieux, pauvres
talentueux, ce qui caractérise le système politique étasunien depuis la Guerre
d’Indépendance, et surtout depuis la fin de la guerre de Sécession, c’est que
la même élite politico-économique (celle qui se confirme d’une part et émerge
de l’autre pendant la dernière moitié du XIXe siècle) dirige le pays, jadis
directement, et depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale plutôt, mais pas
toujours (voire les Bush et Carter) par l’intermédiaire d’hommes-paravents. Il
existe certes des exceptions, et depuis 1945 des présidents tentèrent d’obtenir
une véritable indépendance, mais chaque fois leur volonté fut mise en échec.
L’un, Nixon, dut démissionner, l’autre fut assassiné, Kennedy. Au premier on
planta le Watergate comme un poignard dans le dos parce qu’il avait voulu
garder un pouvoir autonome à la Présidence qui lui aurait permis de résoudre,
avec son conseiller Kissinger, de manière plutôt équitable la guerre entre les
Israéliens et les Palestiniens ; quant au second, aidé de son frère Bob, Attorney général (ministre de la
justice) il lança des enquêtes et des procès contre la Mafia qui lui avait
assuré sa victoire électorale en mobilisant ses forces, en particulier dans
l’État du Michigan, décisif pour gagner… Erreur impardonnable ![iv] Il
arriva aussi une très déplaisante mésaventure à Bill Clinton dont la passion
(ma foi compréhensible !) pour les jeunes femmes permit de bloquer toute
recherche sérieuse d’une véritable solution à l’impasse
israélo-palestinienne : Monika Lewinsky ayant été la bonne personne au bon
moment. En effet, comment dans un pays demeuré puritain, pourrait-on faire
confiance à un Président des États-Unis qui se fait faire des turluttes dans le
bureau ovale de la Maison blanche. Allons, ce n’est pas sérieux ! C’est
bon pour les Présidents français, joyeux lurons comme leurs compatriotes dont
ils sont les plus éminents représentants. Les États-Unis ont une culture politique
dure, violente pour ceux qui ne se soumettent pas aux diktats des élites et des
lobbies les plus puissants.
Aussi, malgré les louanges adressées par les flagorneurs de
tous poils à la démocratie étasunienne, l’Histoire de la conquête depuis les
côtes de la Virginie jusqu’à la Californie (cf. le film de Raph Nelson, Soldier Blue et celui de Terence Malik, New World), celle de la guerre de
Sécession (cf. le roman de Stephen Crane, The
Red Badge of Courage et le film qu’en fit John Huston) ou celle de son
mouvement ouvrier (cf. l’étonnant film d’Herbert J. Biberman, Salt of The Earth)[v]
sont-elles là pour démontrer que cet État n’a pas été moins répressif et
sanglant que ceux de la vieille Europe. Même un homme prudent et mesuré comme
le pasteur Martin Luther King perdit la vie pour des discours fort modérés,
rien qui ressemblât au programme des Black
Panthers, lesquels furent purement simplement assassinés. Demandons à
Angela Davis d’une part, aux champions noirs des jeux Olympiques de Mexico en
1968, de l’autre, qui osèrent lever leur poing droit ganté de noir pendant
l’hymne national étasunien, comment ils ont été traités ensuite par la plus
« ancienne démocratie du monde » ! Je n’ai pas entendu le
sénateur Obama rendre l’hommage que méritent ces combattants de la liberté, de
la dignité humaine et de la véritable démocratie, par ailleurs tous des noirs
descendant d’esclaves ! Barack Obama, comme d’autres noirs, a été coopté
par l’élite blanche pour la servir. Par exemple Colin Powell : West Point,
brave officier pendant la guerre du Vietnam, continuant une brillante carrière
bureaucratique qui le mena jusqu’au poste de chef d’État-major des armées
dirigeant la première guerre d’Irak, puis à celui de Secrétaire d’État, avec la
responsabilité d’endosser, sur ordre du Président Bush junior (ou mieux sur
ordre de ses adjoints rapprochés, Dick Cheney, Wolfovitch, Rumsfeld et Perle)
la responsabilité des énormes bobards déblatérés devant l’assemblée générale de
l’ONU quant à la présence d’armes de destructions massives (chimiques et
biologiques) en Irak… Un énorme mensonge… reconnu aujourd’hui sans qu’il lui en
soit tenu en rien rigueur ; on le dit même pressenti pour un poste de
haute responsabilité dans l’administration Obama. De la même manière, Madame
Rice fait ce que le pouvoir réel lui dit de faire, rien de plus, rien de moins…
mais toujours avec le sourire et de somptueux escarpins Ferragamo. Aux
États-Unis les élites économico-politiques sont divisées en deux tendances qui
se partagent dans une parfaite alternance le pouvoir depuis plus de deux
siècles, avec de petites exceptions comme la présence de Ross Perrot qui, en
prenant 19 % environ de l’électorat de Bush père, permit à Bill Clinton
d’être élu. C’est cette élite qui, en dernière instance, prépare les esprits à
telle ou telle candidature et détient les moyens financiers de la promouvoir.
C’est pourquoi le système étasunien ne permet jamais à un candidat indépendant
et désargenté, comme l’écologiste Ralph Nader par exemple, de faire une
campagne capable de lui attirer suffisamment de votes dans tous les États. Il
faut voyager, acheter des plages de télévision et de radio, louer des salles de
meeting, des salles de conférence, des hôtels, avoir un minimum de personnels
permanents à sa disposition, en bref posséder des ressources financières sans
vraiment compter. Rappelons-nous les finances à la dérive d’Hillary Clinton
vers la fin de sa campagne, ayant dû gager une partie de ses biens personnels
pour obtenir de nouveaux crédits…
Hormis deux années comme sénateur, Monsieur Obama, entraîné
par son épouse dans la politique du côté du camp démocrate, avait fait
auparavant une modeste carrière au sénat de l’Illinois, occupé à la défense de
lois sociales que l’on qualifierait en France de centre gauche. Sa seule véritable
prise de position nationale a été, en tant que sénateur – le fait est hautement
louable –, d’avoir voté contre l’invasion de l’Irak, mais rien de plus… ni pour
un homme encore jeune, une carrière politique en vue, voire mondaine, comme les
enfants Kennedy ; ni leader d’opinion, encore moins membre de groupes
alternatifs hautement respectables comme, par exemple, les journalistes de la
station de radio et de télévision Democracy
Now, critique permanente de la politique de l’administration Bush depuis sa
prise de pouvoir, sous la ferme direction d’Amy Goodman. À l’évidence ne
faisant jamais allusion aux analyses de Noam Chomsky, pourfendeur résolu et
opiniâtre de l’impérialisme étasunien depuis plus d’un demi-siècle, Monsieur
Obama se présente en homme modéré, du centre – que dis-je de l’extrême centre –
et s’il paraît plus démocrate qu’il ne l’est en réalité, c’est que la politique
extérieure et intérieure des néocons de l’administration Bush avait mis en
place un système quasi totalitaire de contrôle social, politique et policier
mondial qui fait qu’aujourd’hui il est bien plus difficile d’entrer aux
États-Unis que de passer les frontières de la défunte URSS, que ce pays n’a
plus aucun respect pour un minimum de droit international, si bien que les États-Unis
peuvent détenir de prétendus terroristes dans diverses prisons, à Guantanamo et
hors de leur territoire national, dans divers États croupions ! C’est un
effet de léger contraste (comme on dit un effet de réel) qui assure à Monsieur
Obama ce succès sans pareil… Il est vrai que l’entrée à la Maison Blanche d’un
président métis, d’une « first lady » descendante d’esclave étasunien
est une révolution dans la vie sociale étasunienne, tant le pays fut jusque
fort récemment un pays majoritairement raciste… mais cette révolution des mœurs
ne préjuge en rien une modification profonde de la politique sociale !
L’Union Sud-africaine est aujourd’hui politiquement dirigée par les noirs de
l’ANC (ex-communiste) quand il y a vingt ans y régnait encore le système de
l’Apartheid ! Tous les indices montrent que cette nouvelle élite noire
sud-africaine, avec son style, n’est pas moins féroce pour la défense de ses
privilèges récemment acquis, que naguère les Africaaners et leur racisme
insupportable de petits blancs calvinistes. Le nouveau capitalisme mondial n’a
plus besoin de ce genre d’exclusion pour faire avancer le profit et maintenir
son pouvoir.[vi]
Mais ce qui me surprend, c’est qu’une majorité de citoyens américains qui
appartiennent à une vraie gauche (on dit là-bas libéral) ayant voté pour
Monsieur Obama, le regarde comme une sorte de messie… Comme si, parce qu’il est
noir, il serait habité d’une spiritualité capable de mettre en œuvre une
politique vraiment différente de celle exigée pour la défense des intérêts de
l’empire… mais combien parmi ces citoyens étasuniens seraient-ils capables
d’accepter une baisse de leur niveau de vie afin de rééquilibrer les échanges
mondiaux ? La question demeure en suspend, mais je doute qu’ils acceptent
une telle politique d’équité mondiale dans une économie majoritairement
globalisée…
Certes nul ne peut contester que la crise économique qui
semble plus intense et grave que celle de 1929, ait joué un rôle essentiel dans
l’élection d’Obama, il n’empêche, le jeune sénateur de l’Illinois n’a pas
refusé le plan Paulson, un cataplasme sur une jambe de bois, visant à renflouer
les banques et leurs dirigeants avec de l’argent public, sans leur demander de
rendre des comptes sur leur gestion et, pourquoi pas, sans exiger des
poursuites judiciaires à l’encontre de ceux ayant commis des fautes
professionnelles inadmissibles, en particulier, pour n’avoir pas pris les
garanties suffisantes (les provisions bancaires) pour les risques très
importants liés à tout investissement de très haute rentabilité sur des
débiteurs aux revenus faibles… Á ses « spécialistes », la soif du
profit sans limite a fait perdre le sens des plus banales réalités économiques.
Le candidat Obama a donc joué le jeu des patrons de la finance étasunienne, et
le soutien sans faille que lui ont accordé Georges Soros et Warren Buffet, par
exemple, en dit long sur ses relations avec le capitalisme purement financier.
Pour le moment ce sont toujours les plus démunis qui sont mis à la porte de
leur habitation. Où vont-ils vivre ? Campent-ils dans des roulottes ou des
tentes, ou sont-ils simplement jetés sur le pavé ? S’est-on posé aussi la
question des classes moyennes ? Leur paupérisation est déjà en route.
Ainsi en cet été 2008, les États-Unis sont non seulement le pays le plus haï
dans le monde, mais celui qui dès septembre entraîne la planète dans son
naufrage économique… Déconsidérés à l’intérieur, haïs à l’extérieur, les
États-Unis sont en état de récession économique avancée, objet de spéculations
massives à la baisse de la part d’institutions financières qui visent, à moyen
terme, une énorme surconcentration du capital, et donc de gigantesques
bénéfices, facteurs, à l’évidence, d’autres crises peut-être fatales !
Pour ne pas perdre tout soutien afin de poursuivre leur
politique impériale, les États-Unis devaient donc donner impérativement une
autre image de leur système politique. Plus encore, si l’on ne veut pas que le
pays devienne ingouvernable, que des révoltes surgissent ici et là, non plus
des ghettos noirs ou latinos, mais parmi la population blanche paupérisée, il
fallait faire quelque chose de nouveau sans que cela menace en quoi que ce soit
le système politico-économique. Plus personne ne croyait dans les valeurs
classiques étasuniennes : démocratie, welfare,
défense de la liberté. Comment résoudre le problème rapidement par l’image,
puisque ceux soulevés par la réalité sont autrement plus ardus, et peut-être
pour certains insolubles sans de très graves dysfonctions, sans des sacrifices
porteurs à terme de très violents mouvements sociaux que les forces de l’ordre
devront nécessairement résoudre avec violence ? Comment donc travailler
l’image, c’est-à-dire le simulacre ? Il fallait donc trouver l’homme
providentiel… On hésita à coup sûr. Impérativement il fallait un homme ou une
femme façade qui n’appartienne pas à la classe politique présente au pouvoir
depuis trois décennies, obligatoirement un personnage nouveau, produit de la
méritocratie et non de l’aristocratie sociale, il fallait donc qu’il
vienne d’une couche sociale très modeste. C’est le cas, et tous les discours de
Monsieur Obama depuis la convention de 2004, lors du discours en faveur de John
Kerry, martèlent le thème du « Rêve américain » si cher aux
Américains, comme Kennedy avait martelé jadis celui d’un nouvel élan, d’une
« New Frontier » pour l’accomplir. Il fallait que ce personnage
nouveau ne se soit pas compromis avec les décisions les plus belliqueuses de
l’administration Bush, mais surtout, il fallait faire pendant à
l’administration Bush qui avait nommé en la personne de Colin Powell le premier
secrétaire d’État noir de l’histoire des États-Unis, mais, mieux encore, qui
lui avait donné comme successeur la première femme noire, Condoleezza Rice,
ancienne Conseillère à la Sécurité nationale entre 2001 et 2005. Le
multiculturalisme, forme dégénérée de la reconnaissance de l’altérité et
réduction de la politique à sa culturalisation spectaculaire, triomphait sous
l’égide de Républicains néoconservateurs, car, eux aussi, avaient compris que
la présentation du politique comme réduction multiculturelle est une manière de
neutraliser l’économie, de chercher la fin de l’économie politique par
l’absorption la plus vaste de mouvements qui sembleraient s’opposer au mode de
production capitaliste.[vii] « L’histoire
du capitalisme n’est-elle pas la longue histoire de la manière par laquelle : la structure idéologico-politique dominante se révéla
capable de concilier (et d’atténuer
le caractère subversif) des mouvements et des demandes qui paraissaient menacer sa survie même ? »[viii] Ce
que les communistes, en bons héritiers de l’Aufklärung,
n’avaient pas compris en raison de leur entêtement stupide à repousser les
remarques de Nietzsche sur le nihilisme inhérent à la culture académique et à
la culture de masse. En bref, les Démocrates ne pouvaient faire moins que les
Républicains, à la fois pour, au plan fondamental, maintenir l’économie
politique hors du champ d’un vrai débat quant au devenir du pays et,
simultanément, capter les votes d’une majorité de couleur, surtout ceux des
noirs et des latinos. Que reste-t-il donc après le poste de Secrétaire d’État
déjà attribué à un homme et à une femme de couleur ? Celui de Président
parbleu… Selon cette logique antipolitique de la concurrence culturelle,
Monsieur Obama, bien sous tous rapports, collait parfaitement au portrait type
d’un président de la République renouvelé, homme nouveau dans la politique,
homme sans compromission avec la vieille garde politicienne, homme de couleur
marié à une femme noire brillante, et bon père de famille. Voilà construite
l’image parfaite, capable de représenter une nouvelle Amérique qui sait, le
moment venu tourner la page et repartir du bon pied vers des « lendemains
qui chantent », preuve s’il en fallait qu’il n’y eut pas que les Soviétiques
qui orchestraient ce type d’espoir, de fait, il est commun à tous systèmes
politiques modernes qui souhaitent changer sans véritablement changer… On
prétend changer de politique, parfois, dans certains cas très urgents changer
une partie de la classe politique, voire même de système de représentation
politique[ix],
pour prétendre à la réalisation du bon gouvernement, fondement même de
l’idéalisme politique, jamais celui du réalisme. C’est depuis l’autonomisation
de la sphère politique toujours le même paradigme, c’est Machiavel contre
Spinoza, Clausewitz contre Kant, Carl Schmitt contre le néokantisme, Mao contre
le marxisme académique, etc. On comprend donc pourquoi la classe dirigeante,
des gens comme par exemple le vieux sénateur Ted Kennedy et sa nièce la fille de
John, Caroline, les financiers déjà cités G. Soros, W. Buffet, des
multimilliardaires comme B. Gates ou comme l’acteur Georges Clooney, Oprah
Winfrey ont d’emblé soutenu Obama et non Hillary Clinton… Obama a donc été
choisi pour faire oublier l’administration Bush et les catastrophes successives
qu’elle a déclenchées. Pour faire oublier, mais non pour guérir et changer
réellement. Obama est donc le nouveau neuroleptique politique étasunien, une
nouvelle version collective du prozac.
À preuve que Monsieur Obama n’est que l’interface d’une
élite qui en fait son nouveau gadget, son cabinet de campagne, majoritairement
constitué de conseillers ayant appartenu de près ou de loin au clan Clinton,
avec comme stratège international Brzezinsky (celui du Président Carter) dont
il devra appliquer les principes de la domination impériale plus habilement
formulés dans le « Grand échiquier ».[x] Il y
a aussi les « bons » républicains, comme le secrétaire à la défense
Gates maintenu à son poste, et dont on se demande s’il ne travaillait pas pour
Obama depuis sa nomination sous la seconde administration Bush, en remplacement
de l’incompétent et délirant Rumsfeld. Il y a encore le secrétaire au Trésor,
le président de la Fed de New York, Timothy Geither qui fera tandem avec Lawrence
Sammers, placé à la tête du Conseil national économique, ce dernier ancien
secrétaire au Trésor de Bill Clinton et ancien président d’Harvard. Du beau
monde. Mais déjà Madeleine Albright a été l’observatrice du futur président à
la Réunion du G20 de novembre 2008 à Washington. Il y a aussi les appels du
pied aux Républicains modérés, certains voient déjà arriver au gouvernement
Colin Powell et Arnold Schwarzeneger. Et puis enfin il y a Rahm, le lobbyiste
très expérimenté de Washington (ancien conseiller de Freddie Mae en faillite
aujourd’hui !), l’homme qui possède aussi la nationalité israélienne,
sioniste radical, nommé secrétaire de la Maison Blanche (i.e. chef de
l’administration présidentielle), prêchant la guerre contre l’Iran et une aide
inconditionnelle à Israël. Avec ces conseils et d’autres, on ne voit pas très
bien les États-Unis contraindre leur principal allié au Moyen-Orient à signer
enfin une paix, sinon juste, à tout le moins honorable avec les Palestiniens.
Enfin, au moment où j’écris ces lignes, il semblerait qu’Hillary Clinton
négocie avec Obama le poste de Secrétaire d’État, et le cercle serait ainsi
bouclé. Comme Ronald Reagan en son temps pour les Républicains, Obama un homme
de paille pour les Démocrates et, au-delà pour le pays en sa totalité, que
dis-je pour le monde ! Malgré les slogans, les rodomontades, malgré les
louanges béates et bébêtes des masses de par le monde, le changement tant
claironné ne semble guère pour demain… Un peu de sécurité sociale pour les
pauvres, à peine un peu de tolérance pour les critiques alternatifs sans
danger, permettra de faire passer le principal immuable… Une chose est sûre,
Barack Obama n’est pas le produit d’un quelconque mouvement social qui l’aurait
hissé à la candidature comme ultime recours face à une crise insoluble par les
moyens traditionnels. L’enthousiasme qu’il suscite est venu a posteriori, comme les effets d’une
publicité martelée à tout moment dans un pays désemparé par une crise
économique sans équivalent depuis plus de soixante-dix ans… Obama est comme le
dernier tome d’Harry Potter, ou la dernière version du ipod de Mac, dès qu’on
en annonce la sortie pour le lendemain, immédiatement d’immenses queues se
forment à l’entrée des supermarchés culturels. Preuve qu’à force de persévérance,
et selon la loi de Mac Luhan, le message est bien passé dans les têtes, avec
les effets escomptés.
Monsieur Obama a choisi de mettre ses discours sous l’aile
protectrice et prestigieuse d’Abraham Lincoln. Certes, il est le président qui
a aboli l’esclavage (tout en refusant le droit de vote aux noirs !), mais,
comme je l’ai déjà souligné, en tant qu’agent du capitalisme du Nord et de
l’Est, il décide ainsi, avec le chemin de fer, la conquête des marchés du Sud,
la création d’un prolétariat massif et sans force politique face à ses
employeurs. Lincoln, en son temps, était l’homme porteur du plus radical
modernisme… Comme Monsieur Obama l’est aujourd’hui pour un capitalisme qui,
réduisant l’essentiel des différences communautaires à de pseudo-différences
culturelles (multiculturalisme), les différences biologiques et les
comportements sexuels à de prétendues différences socioculturelles, vise à
effacer ce qui demeure le fond de la différenciation et de l’antagonisme
explicite ou implicite dans un pays hypermoderne, la différence entre les
riches et les pauvres, dussent les premiers instrumenter les seconds en terme
de culture. Et il faut la bêtise crasse et la bassesse des petits blancs du Sud
pour manifester, ici dans les campus, là à l’entrée de petites villes du Sud,
un racisme abject que l’on connaît de longue date. Sauf que présentement, il
faudrait leur dire tranquillement qu’il n’y plus aucun espoir pour eux, qu’ils
ont perdu la partie, que le capitalisme mondialisé par les hommes politiques
blancs qu’ils ont élus (les Bush par exemple) les a exclus du jeu. Car pour un
Bush, un Blair, un Brown, un Sarkozy, un richissime arabe, indonésien, chinois,
indien ou africain, a toujours plus de valeur qu’un petit blanc raté vivant au
fin fond de l’Alabama, des Midlands ou de la Corrèze. Monsieur Obama est là
aussi pour faire entendre ce nouveau cours des choses, d’abord par l’image,
puis si cela ne suffit pas, par la force. Il est le nouveau visage du
capitalisme planétaire, le nouveau visage lisse, souriant, brave et
multiculturel de l’ordre impérial étasunien. C’est pourquoi, au risque d’en
choquer certains, Monsieur Obama me semble être tout à fait le type d’homme que
le héros noir d’un admirable roman sociographique, La Croisade de Lee Gordon, de l’écrivain noir américain Chester
Himes, critique violemment, le définissant comme le « nègre blanc
(sic !) ».[xi] Oui,
Monsieur Obama a intégré tous les traits des serviteurs de l’élite
politico-financière étasunienne dominée sans conteste par les blancs… Étant
donné les dérégulations mises en place par les administrations Clinton d’abord
puis Bush ensuite qui ont inexorablement plongé le pays dans le marasme, que
dis-je, dans la faillite économique, Monsieur Obama a été modelé par des
publicitaires pour être l’image « of
the right man at the right place at the right moment ». L’enthousiasme
de l’ensemble du monde occidental[xii] et
d’une partie de l’Afrique ne peut que donner raison à ses mentors et légitimer
leur entreprise.
Dans la presse quotidienne, c’est en Italie que l’on trouve
un regard lucide et cynique au sens étymologique, c’est-à-dire capable
d’affronter le réel dans le blanc des yeux sans négliger et l’ironie et le
sarcasme. Dans La Stampa du 13
novembre 2008, Enzo Bettiza sous le titre Nonostante
Obama écrit : « Dorénavant, Obama devra ôter le masque fascinant
de la rock star en concert et
affronter le monde à visage découvert, et même jouer par la bande avec les
Européens, laissant les pièges et les chausse-trapes au patrimoine de la
politique mondiale de l’ancienne administration. […] Une fois le masque tombé,
il devra aussi abandonner maintes promesses faites durant sa campagne
électorale, particulièrement les plus excessives et les plus naïves qui lui
permettaient d’apparaître sans aucun doute comme le Messie du
changement. » Je pense que déjà la réalité s’est imposée avec les
personnes qui composent son équipe rapprochée… Aussi, une fois encore aura-t-on
vérifié que dans la démocratie représentative de masse postmoderne, les
promesses politiques et économiques n’engagent que ceux qui y croient… C’est
lorsque les gens les plus touchés par la crise se rendront compte qu’il n’y
aura pas de solution pour eux que des révoltes pourront éclater. Ce sera alors
le moment de vérité, le moment où le masque de la rock star souriante et lisse de Monsieur Obama se transformera en
celui grimaçant et menaçant du samouraï au combat.
En guise de conclusion
Si les élites étasuniennes avaient voulu véritablement
montrer au pays un changement symbolique fort (ne parlons pas d’un changement
de système que seule une révolution pourrait susciter), elles auraient choisi
non pas un métis dont le père ne fut pas un descendant d’esclave, mais un
Indien, un peau-rouge comme on l’écrivait dans les albums de bandes dessinées
de ma jeunesse. Les noirs sont, à leur corps défendant, le produit de la
conquête européenne et donc du pouvoir blanc aux États-Unis. À ce sujet le
cinéaste John Ford ne s’y est pas trompé avec Sergeant Rutledge (traduit en français par Le Sergent noir) Il a montré en un temps où le politiquement
correct n’était pas encore l’idéologie dominante, comment les compagnies de
soldats noirs de l’Armée fédérale, objets d’un racisme dur et affiché de la
part des soldats et des officiers blancs, participèrent, par ailleurs, à la conquête
de l’Ouest sans trop s’inquiéter du sort génocidaire réservé aux Amérindiens.[xiii] Si
l’élite avait souhaité un symbole fort d’une Amérique reconnaissant sa dette
aux autochtones que ses conquérants ont spoliés de leurs terres, de leur
culture et de leurs croyances, c’est un Indien qu’elle aurait dû promouvoir au
poste suprême. Juste retour des choses après tant de siècles de crimes et
d’injustice.[xiv]
Mais agissant ainsi, elle aurait implicitement reconnu l’illégitimité du
pouvoir blanc et par ricochet aussi celui des noirs. Sait-on jamais ? Dieu
seul le sait ou le Diable !
Claude Karnoouh
Trieste-Paris Novembre 2008
[i] Denis
Lacorne, La Crise de l’identité
américaine. Du melting-pot au multiculturalisme, Fayard, Paris, 1997.
[ii]
Slavoj Žižek, Plaidoyer en faveur de
l’intolérance, Climats, Castelnau-le-lez, 2004, cf. p. 15.
[iii]
Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, Agone, Marseille, 2002 (A People History of the United States, Harper Perennial, New York,
1992).
[iv]
Comme très souvent aux États-Unis ce ne sont pas les savantes études
universitaires et académiques de politologie et de sociologie politique qui
approchent au mieux une certaine plausibilité des causes, mais des romans ou
des films, soit sociographiques soit politiques. Dans le cas Kennedy, le
travail qui semble approcher au plus près cette plausibilité des origines
causales de l’assassinat de John Kennedy, puis celui de son frère Bob, est
constitué de deux fulgurants romans du célébrissime James Ellroy, American Tabloid, Alfred A. Knopf, New
York, 1995 (même titre en français, Rivages noir, Paris, 1997) et The Cold Six Thousand, Alfred. A. Knopf, New York, 2001 (traduction
française (sic!) American Death Trip,
Rivages thriller, Paris, 2001).
[v] Le
réalisateur Herbert Biberman est une sorte de héros, il appartient au groupe
des dix à Hollywood qui, en 1947, refusèrent de répondre du chef d’accusation
de « communistes » devant la commission des activités antiaméricaines
du Congrès. Il fut condamné à six mois de prison, à mille dollars d’amende pour
outrages aux membres de la commission et, bien sûr, mis à l’index pendant plus
de sept ans. De fait, il ne trouva plus jamais de producteur et dut financer
lui-même ses films. Le Sel de la terre
est une sorte de cinéma vérité avant la lettre ou une sorte de retour au Kino
Pravda soviétique (La Grève
d’Eisenstein, ou Arsenal d’Aleksander
Dovjenko), reconstruisant la trame dramatique d’une grève de mineurs au Nouveau
Mexique avec les ouvriers comme acteurs dont le financement fut assuré par leur
syndicat. Le thème du film aurait dû être l’une des références de Monsieur
Obama, en effet, il s’agit d’une grève de mineurs d’origine mexicaine qui
veulent être traités de la même manière que les ouvriers d’origine européenne…
dans le film les Mexicains parlent des Européens comme des blancs… Il semble en
effet que cet aspect de la culture étasunienne soit totalement étrangère à
Monsieur Obama, car j’ai lu dans la grande presse d’information qu’il est grand
amateur de film du genre de L’Homme
araignée…
[vi] Les
Verts allemands viennent d’élire à la présidence du parti un citoyen d’origine
turque dont les parents étaient venus travailler en RFA comme simple Arbeitsgast (travailleur invité).
[vii] cf.
Claude Karnoouh, « Un Logos
sans ethos. Considérations sur les notions d’interculturalisme et de
multiculturalisme appliquées à la Transylvanie », in Postcommunisme fin de siècle, L’Harmattan, Paris, 2002.
[viii] Slavoj Žižek, op. cit., p. 93.
[ix] Je
pourrais multiplier les exemples. Ainsi lorsque les chefs de l’Armée impériale
allemande forcèrent l’Empereur Guillaume II à abdiquer alors qu’ils lui avaient
personnellement juré fidélité, pour installer à Weimar une République
permettant d’éviter la débâcle totale, et, très rapidement, bien mieux à même
de liquider, avec cette même armée, la révolution bolchevique naissante de
1918-1919. Ou, plus récemment, l’implosion du pouvoir communiste dans les pays
de l’Est qui, à quelques exceptions près, et sous la forme de la démocratie
représentative classique, laisse le champ libre aux anciens apparatchiks
communistes reconvertis en indomptables défenseurs de l’économie libérale. Cf. La Grande braderie à l’Est ou le pouvoir de
la kleptocratie (sous la direction de Claude Karnoouh et Bruno Drweski), Le
Temps des Cerises, Pantin, 2004.
[x] Zbigniew Brzezinski, The Great Chessboard, Basic Book, New
York, 1997.
[xi]
Chester Himes est aussi célèbre pour ses romans policiers se déroulant à
Harlem, avec ses héros, deux policiers noirs, dont le plus connu qui a enchanté
ma génération, La Reine des pommes,
demeure l’une des plus remarquables descriptions de la vie quotidienne de ce
ghetto newyorkais au tournant des années 1950-1960.
[xii] Si
j’en crois la presse roumaine et hongroise, dans ces deux pays l’élection de
Monsieur Obama ne suscite aucun enthousiasme particulier.
[xiii]
Pour saisir l’ampleur de ce massacre, voir un travail universitaire de haute
qualité : David E. Stannard, American
Holocaust (The Conquest of the New World), Oxford University Press, New
York, Oxford, 1992.
Plus saisissant encore, parce que tentant de restituer
l’expérience existentielle des troupes de vas nu-pieds blancs, employés par les
autorités de l’État ou les compagnies privées comme chasseurs de scalps et
d’oreilles d’Indiens dans l’Ouest et le Sud-ouest des États-Unis, voir le roman
étonnant et détonnant de Cormac McCarthy, Blood
Meridian or The Evening Redness in the West, Random House, New York, 1985.
(Traduction française, Méridien de Sang
ou le rougeoiement du soir dans l’Ouest, Gallimard, 1988).
Je rappellerais que les Indiens (nommés Peaux-Rouge
dans mon enfance), parlaient des Noirs en disant (sic !) « les hommes
blancs à la peau noire ». Cette classification des hommes est
remarquablement explicitée dans le film d’Athur Penn, Little Big Man lorsque l’acteur indien Chief Dan George dans le
rôle de Old Lodge Skins l’explique à Dustin Hoffman dans le rôle de Jack Crabb,
voulant ainsi lui faire comprendre que les noirs appartiennent au même monde
que les blancs, et, en cela, totalement différent des Indiens qui sont les
seuls « authentiques être humains ».
[xiv]
Écrivant ces lignes je songe à nouveau à un film, à la célébration du courage
et de la détermination indomptables des Indiens dans Cheyenne Autumn (1964) de John Ford où est décrite la quasi
extermination de ce groupe d’Indiens des Plaines qui compte aujourd’hui, selon
l’encyclopédie Wikipedia, trois mille six-cent-soixante-quatre âmes, après
avoir été à la veille de Little Big Horn (1876) environ 10.000, bien qu’ils
avaient déjà eu à souffrir de pertes importantes lors du massacre de Sand Creek
(1864) et de la bataille de Washita River (1868).