vendredi 24 mai 2013

Politique et économie chez Saint Thomas d'Aquin


Politique et économie chez Saint Thomas d’Aquin : quelques remarques en marge du De Regno*

S’il est chose notable dans le renouveau des recherches humanistes en Roumanie postcommuniste, il faut alors convenir que l’intérêt pour la philosophie médiévale des théologiens latins fait partie non seulement de ce renouveau, mais que les traductions d’un certain nombre de textes majeurs apparaissent dorénavant comme autant d’authentiques innovations dans l’histoire culturelle roumaine. Cependant, malgré les commentaires que ces textes suscitent, d’aucuns savent qu’un début ne permet pas d’aborder tous les sujets, les forces vives manquent. De plus, la philosophie médiévale n’apparaît pas aux esprits simples, ou, à ceux, plus nombreux, agités par les bruits parasites du présent, comme une urgence. Ceux, parmi les jeunes et les moins jeunes universitaires, qui confondent la vocation professorale avec la possession d’un téléphone portable et non avec la patience exigée par l’apprentissage toujours délicat des décours de la pensée, ceux qui s’abusent dans l’excitation glaciaire de la « postmodernité » et oublient la prudence exigée par la méditation, devraient comprendre – mais le peuvent-ils encore ? – que l’Europe occidentale est ce qu’elle est dans sa présence hic et nunc, parce que, d’une manière ou d’une autre, la philosophie médiévale, à un moment ou à un autre, soit par adhésion à son propos (thomisme et néo-thomisme) soit par rejet (les Réformes et leurs diverses facettes) soit par négation (les divers types d’agnosticisme), a engendré cette l’Europe moderne qui est la nôtre. Dès lors, si rien ne peut jamais être réactualisé comme expérience de vie (l’histoire ne ressert jamais deux fois la même soupe), il serait néanmoins sage d’envisager ces lectures et relectures des ouvrages de philosophie médiévale – qu’il conviendrait de compléter par des leçons d’histoire – comme une expérience irremplaçable de la pensée.
 Il semble que les jeunes gens et jeunes filles qui se sont spécialisés dans ce domaine ardu et redoutable du savoir européen, s’en tiennent pour le moment à l’explicitation en roumain – cet aspect linguistique est fondateur et essentiel – des thèmes métaphysiques soulevés par ces théologies philosophiques ou de ces philosophies théologiques : l’essence, l’éternité ou non du ou des mondes et la Création, la négation de la Providence, le statut des anges, le créé, l’incréé, le Créateur, les catégories analytiques grecques dans leur traduction latine (homologie ou homonymie du sens), le nominalisme et/ou le réalisme, l’unicité de l’intellect, la négation ou l’affirmation de la liberté humaine, le statut de l’aristotélisme, le rapport à l’héritage platonicien, à celui de l’augustinisme. Il y a là une richesse de thématiques qui ne s’épuisera pas en quelques années.
Rien que de hautement légitime en tout cela. Cependant, les scolastes ne se laissèrent pas enfermer dans les seuls débats logico-métaphysiques ou logico-théologiques, ils furent aussi des penseurs qui, une fois formulés les principes premiers et les fins dernières organisant et dirigeant la communauté des hommes, ont aussi observés le monde dans lequel ils vivaient pour, chacun en sa guise, essayer de formuler, mais aussi de formaliser des modèles d’action afin de construire le futur tel qu’ils pensaient en avoir trouvé la forme, le contenu et le sens ultime dans une herméneutique des desseins divins. Afin de prévenir les crises et tenter de les résoudre, c’est-à-dire, afin d’obvier aux dysfonctions socio-politiques d’une ampleur telle qu’elles eussent pu, à tout moment, entraîner la papauté, des royaumes, des principautés, des duchés à leur ruine, ils proposaient des solutions pratiques en harmonie avec les principes premiers et les fins dernières d’une pensée éclairant le devenir sur la fond initial de la Révélation chrétienne.
C’est cette dimension politique, économique et sociale qui est pour le moment largement délaissée par nos jeunes collègues roumains, car la richesse exubérante de la pensée médiévale est telle qu’elle ne peut être exploitées simultanément par quelques uns et ce d’autant plus qu’ils n’ont pas, en Roumanie, le soutient d’une puissante école d’histoire de la pensée du Moyen-âge occidental s’appuyant sur une ancienne tradition universitaire. Car en toute chose entreprise avec sérieux, il convient de se garder de la précipitation, des raccourcis faciles, des énoncés spectaculaires, mais creux qui, un peu partout, malheureusement fleurissent sans vergogne en ses temps de transition. Cependant, ici, en Roumanie, et pour la première fois avec cette ampleur, le développement des études de philosophie médiévale (je ne parle pas de théologie que je laisse aux facultés du même nom[1]) permet, une fois encore, de mettre à jour l’idéologie que la Renaissance, dès Pétrarque, a léguée à la métaphysique moderne, aux Lumières, et au-delà, à ses développements modernes et postmodernes, celle qui renvoie le Moyen-Âge aux ténèbres de la barbarie  ![2] Toutefois, pour ne pas tomber dans l’anachronisme trompeur, il faut préciser que la notion de barbarie a changé de sens entre Pétrarque et les Lumières : pour le premier la barbarie était moderne, sous la forme de la scolastique et du « gothique » opposée aux valeurs défendues par les penseurs païens de l’Antiquité ; pour les penseurs des Lumières la barbarie est tout aussi « gothique », mais cette fois parce qu’elle était archaïque, abandonnée par la métaphysique moderne qui donna son fond ontologique à la science.
Néanmoins, s’il y a eu une renaissance de l’Europe occidentale et de l’Europe catholique, c’est bien au Moyen-âge qu’elle commença avec des penseurs comme Abélard, mais aussi avec des princes comme Frédéric de Hohenstauffen et sa cours d’érudits et de traducteurs. Ce qui manque à la Roumanie du point de vue des études médiévales occidentales, ce sont des historiens compétents qui en connaîtraient parfaitement les sources afin d’offrir des cours rappelant aux philosophes la très complexe histoire du Moyen-âge. En effet, c’est pendant le décours de quatre siècles, XIIe, XIIIe, XIVe et XVe, que des événements ont préparé, engendré, déployé la plupart des facteurs intellectuels et des pratiques, des institutions et des formes politiques qui ont fait de la modernité une possibilité réalisée. C’est durant ces siècles que se sont forgées, par exemple, les réflexions décisives sur la souveraineté, la légitimité, la source du droit des gens, la naissance du droit international, mais aussi celle de la démocratie urbaine, véritable origine (et non la démocratie grecque) de notre démocratie moderne ; et, last but not least, c’est durant cette période que des clercs tel Marsile de Padoue (Defensor pacii) ont repensé les relations entre les groupes sociaux urbains et ruraux et le pouvoir politique, et ont développé les premières théories de la laïcisation du pouvoir politique, du contrat social et de la séparation des pouvoirs. C’est de ce monde que l’Europe occidentale porte encore héritage, dût-il aujourd’hui toucher à sa fin, après avoir épuisé ses possibles.
Si donc j’insiste à nouveau sur cet aspect politico-social, c’est que son rappel me paraît décisif à une intelligence de l’Occident européen. Dès lors que la Roumanie souhaite présentement entrer dans l’Union européenne, il faut que ses futures élites sachent, ne serait-ce que partiellement, quel est l’héritage spirituel dont cet Union témoigne. Car, ni les incantations et les slogans répétés à satiété par des journalistes ignorants ni les grimoires des demi-savants de pseudo-sciences nommées politiques en quête de gloire médiatique ou de pouvoir universitaire, ni la politique spectacle offerte par des politiciens en mal d’imagination et de culture, ne peuvent remplacer le poids de la connaissance et de l’analyse des concepts, des notions, des représentations, des théories,  – les Arts libéraux eut-on dit au Moyen-âge –, qui se sont forgés au cours du temps, ni se substituer à leur réel apprentissage, en bref à l’authentique humilité qui doit présider à toute initiation lorsqu’il s’agit de comprendre et d’interpréter des manières de penser devenue extrêmement éloignées de toutes nos expériences. Voilà pourquoi il faut que la Roumanie crée cette école de médiévistes (de philosophes et d’historiens) qui sortira enfin son historiographie d’un provincialisme certes souvent érudit, mais à l’horizon interprétatif bien étroit. Il faudra bien qu’un jour que des philosophes et des historiens roumains du Moyen-âge occidental participent de plein droit à des colloques pour y apporter leur contribution, et non y venir pour donner quelques précisions marginales – quelques friandises intellectuelles – sur ce qui se passait aux marges de la catholicité, aux limites extrêmes de la Transylvanie. La vie intellectuelle, politique et économique du Moyen-âge latin, sa philosophie, son enseignement, ses débats et ses conflits se sont déployés à l’intérieur d’un quadrilatère qui va de la Catalogne à l’Italie centrale, à l’Allemagne occidentale et centrale, jusqu’aux confins polonais de Cracovie, du sud de l’Angleterre, à la France de Paris à Auxerre et jusqu’à Montpellier. Que cela plaise ou non aux protochronistes[3], c’est ainsi, et nous n’y pouvons rien. C’est une géographie spirituelle et politique qui s’est tracée ainsi et au cœur de laquelle il convient de nous placer quand on travaille sur les origines de la modernité.

Mais que vient donc faire parmi vous un non-spécialiste de Saint Thomas ? Pourquoi participe-t-il aux travaux de cette société savante aux activités dévolues aux commentaires des œuvres du grand scolaste et à celles de ses pairs ? De fait, pourquoi a-t-il accepté l’invitation d’un de ses jeunes collègues, mais déjà distingué savant en affaires de philosophies médiévales ? La raison pourrait en être la vanité et il n’en est pas dépourvu, mais ni plus ni moins que d’autres universitaires.
Toutefois quelque chose de plus (ou de moins) que la seule vanité m’a poussé à oser ce pas. J’ai souhaité soumettre au jugement de mes pairs (fussent-ils de jeunes pairs) une lecture de saint Thomas qui depuis quelques années fait l’objet d’une partie du cours de philosophie politique et sociale que je délivre à l’université Babes-Bolyai de Cluj… En effet, personne ne me déniera l’intérêt que, de longue date, j’ai montré pour l’histoire de la pensée politique et économique dans ses rapports aux pratiques effectives. Si j’ai accepté l‘invitation qui me fut aimablement proposée, c’est que j’ai quelque peu réfléchi aux intentions de saint Thomas lorsqu’il proposa son modèle idéal socio-politique comme ligne de défense à l’encontre d’une menace visant l’essence de la chrétienté, l’unique et indiscutable détermination divine du monde. Or cette menace venait du développement d’une nouvelle économie de l’échange qui n’avait pas encore de nom, mais qui déjà bouleversait les conceptions, les notions et les concepts que les élites de cette époque avaient du temps, de l’argent, de l’espace, de la souveraineté, du pouvoir, c’est-à-dire les conceptions du politique, et donc de l’éthique, et, par-delà, du devenir. C’est de la peur de ce qui, plus tard, se nommerait le capitalisme, et de la tentative d’en conjurer l’advenue par un modèle théo-onto-logico-politique dont je souhaiterais vous entretenir, sans outrepasser les limites de mes compétences, mais surtout celles de votre patience.

Le monde comme horizon de sens de la Révélation et du Salut

Le modèle politique de la société idéale selon saint Thomas est exposé dans un opuscule De Regno (1265-1267)[4] écrit pour le jeune Hugues II de Lusignan, roi de Chypre depuis le berceau jusqu’à sa mort à 15 ans en 1267. Dans le droit fil de la conception à la fois logique et politique d’Aristote, Thomas assume que le Tout est plus important que les parties qui le composent, et donc que le Royaume terrestre du prince l’est plus que l’une quelconque de ses fractions sociales. Toutefois, le royaume terrestre du Prince n’est, à son tour, qu’une partie du royaume engendré par la Création divine. De fait Thomas transforme l’origine première de la Cité aristotélicienne dans la nature, en une nouvelle origine première qui provient de la création divine, tant et si bien qu’on peut dire du travail de Thomas qu’il vise à accorder Aristote à la révélation en plaçant la factualité naturelle de la vie en communauté de l’homme (l’homme étant par nature un animal social) dans une nature engendrée par la création. Dès lors la raison première et la fin ultime de l’institution du royaume terrestre doit être cherchée dans l’institution du monde. On peut donc résumer brièvement la politique thomiste comme une théologie créationniste et, dans ce cadre, remarquer qu’elle vise à donner au dogme de la création le fond de la doctrine et de la logique aristotéliciennes. Du point de vue du fondement de la philosophie politique il n’y a donc rien de véritablement nouveau chez Thomas sauf que le naturalisme aristotélicien trouvant sa nouvelle conformation et confirmation dans les Écritures, la nature est à présent subordonnée à la création divine. C’est pourquoi il convient, dès maintenant, de remarquer combien toute conception moderne du politique est, en son essence, anti-thomiste, non seulement parce qu’elle trouve sa légitimité dans la société civile en tant que totalité, mais précisément parce que, grâce au contrat, cette totalité s’établit et se fonde soit contre la nature soit contre le Dieu créateur de la nature (cf. la notion de contrat tant chez Hobbes que chez Rousseau).
En résumé on peut dire que Thomas adopte comme axiomatique politique le point de vue de la fin, et qu’ainsi, toute action positive accordée au bon gouvernement sera celle qui ouvre, par sa pratique, le chemin qui mène au Salut. Le bon gouvernement s’identifie donc au gouvernement chrétien des hommes. Aussi penser le politique et la politique chez Thomas, est-ce penser la fin.[5] Mais penser la fin implique le retour vers une origine où repose la légitimité du pouvoir. Dès lors, penser la fin dans la légitimité de son origine, sachant que cette origine tient de la divinité, c’est placer le principe fondateur du pouvoir ailleurs qu’en lui-même ; en d’autres mots, c’est faire dépendre le pouvoir, en tant que théorie de la puissance et praxis de la théorie, d’une puissance extérieure au pouvoir lui-même, tant et si bien que le pouvoir réel du Prince ne peut être défini jamais par une souveraineté plénière. En effet, une souveraineté relative n’est pas une souveraineté, car la souveraineté (comme l’amour) est ou n’est pas. Une fois encore on saisit combien la pensée thomiste est fondamentalement anti-moderne, parce que la théorie place le pouvoir réel dans une position de soumission à l’égard d’une puissance supérieure et normative qui définit impérativement ce qui est bon par nature[6] ; or, ce qui est bon par nature, dérive de la bonté originaire, laquelle n’est autre que la bonté céleste, c’est celle de Dieu qui ouvre la société humaine au Salut.
Puisque l’origine de l’homme social est dans la nature et que la nature est crée par le Dieu unique, la fin de l’homme social ne peut être que dans le ciel, et donc la bonne vie terrestre que les hommes cherchent à organiser (la praxis du politique) a pour orientation l’accès à la vie bienheureuse dans le ciel. Ce qui ressort à l’ordre du bien dans la vie terrestre est donc toujours commandé par les « béatitudes célestes ». Reste à savoir comment organiser cette vie terrestre afin qu’elle conduise les hommes dans leur socius aux béatitudes célestes.
Le meilleur régime mondain doit donc dériver de la création du monde, laquelle se manifeste sous la forme d’une hiérarchie entre les catégories. C’est pourquoi l’art de gouverner qui se déploie selon le principe de l’imitatio ou de la mimétiké, s’articulera selon une hiérarchie. Enfin, l’art que le Dieu unique met à ordonner le monde à sa fin, au Salut, doit donc être le modèle du gouvernement terrestre.  Donc la juste Cité terrestre est celle qui est orientée à sa fin propre par une cause unique qui la guide. Cette cause n’est autre que le roi, car si un seul a créé et ordonné l’univers, un seul est à même de discerner le bien et ce qui permet d’orienter la Cité vers le meilleur. En bref, Dieu ordonne le monde et le roi la Cité. La récompense attribuée au bon roi c’est Dieu qui la lui donne, c’est pourquoi le Roi n’est dépendant que de Dieu ou… de son représentant. C’est en soumettant la souveraineté du royaume et le pouvoir de celui qui le représente, le roi, à Dieu, que saint Thomas peut ainsi soumettre le roi au premier des représentants de Dieu sur Terre, au Pape. Il y a là une manière logique de démontrer la soumission du politique au théologique, et donc, d’expliciter la limitation de la souveraineté politique. Or, dans la factualité, cette théorie théo-logique doit aussi rendre compte d’une féroce lutte théologico-polique  pour le pouvoir réel, celle menée par la papauté contre la tentation des princes sans cesse réactualisée de capturer le pouvoir spirituel. Il s’agissait de mettre définitivement terme à la querelle des Investitures et donc de limiter, au nom de la conception « correcte et juste » de la foi, et le pouvoir ecclésiastique réclamé par l’empereur allemand en tant qu’empereur du Saint empire romain germanique, et, celui déjà gallican des rois de France. Voilà du côté des princes, quant au peuple, entendu comme le peuple chrétien, tout pouvoir de contrôle lui est dénié. En effet, le peuple ne peut jamais se révolter contre le roi, puisque le roi est la projection-imitation de l’ordre divin dans l’espace de la société humaine et qu’une révolte entraînerait donc une confusion de la hiérarchie et, par là-même, une confusion de l’ordre du monde. Aussi le mauvais Prince ne peut-il être sanctionné que par celui qui lui est supérieur, c’est-à-dire par le Pape. Dès lors seul le Pape peut accorder au peuple la liberté de déposer son Prince lorsqu’il l’excommunie, le déclare hérétique ou schismatique. En théorie, le Roi ou l’Empereur n’est que l’instrument qui actualise ou promulgue la loi divine comme pratique sans jamais pouvoir en atteindre l’essence.
On peut ainsi résumer la théorie politique de saint Thomas : il argumente un ordre analogique entre l’ordre divin et l’organisation politico-sociale. Le Roi est dans son royaume comme l’âme dans le corps et comme Dieu dans le monde. Ainsi, dans les affaires des hommes, le Roi agit à la place de Dieu, comme son aide. Partant, le Roi exerce une providence déléguée par la suprême Providence en fonction d’une analogie fondée sur une théologie du monde logico-déductive. Saint Thomas peut donc assumer que le bon gouvernement accomplira ce pourquoi il y a un chef voulu par la divine Providence sous le contrôle ultime de celui qui en est le représentant éminent sur la Terre, le Pape.

Comment, en la guise de Dieu, gérer l’économie ?

C’est dans l’horizon de sens (axiomatique, finalité et axiologie) déterminé par l’art divin de créer le monde et son imitation comme art de gouverner la communauté naturelle du vivre ensemble des hommes que saint Thomas développa ses conceptions économiques. Toutefois, avant de poursuivre l’analyse de la conception thomiste de l’économique, je souhaiterais donner quelques précisions factuelles qui permettent de comprendre le défi auquel saint Thomas se trouva confronté.
En ce milieu du XIIIe siècle, l’Italie de Saint Thomas est le centre d’une gestation économique, qui quatre siècles plus tard, deviendra la révolution la plus radicale qu’ait connu l’humanité après la révolution néolithique. Il s’agit de la naissance et du développement du capitalisme, certes encore mercantile, et, cependant, en certains lieux déjà industriel. Venise et son arsenal représentent l’exemple inaugural de cette innovation très précoce, ensuite Gènes, puis Florence et Prato… Déjà, à la fin du XIIe siècle certains monastères cisterciens pratiquaient une véritable politique économique fondée sur la division internationale de la production et articulée autour de l’import/export. Thomas sait parfaitement que le commerce a déjà fait de certaines villes italiennes, mais aussi allemandes, anglaises et françaises, des centres de contestation du pouvoir politique des princes féodaux, y compris des princes ecclésiastiques. Thomas sait parfaitement que le pouvoir royal ou impérial a signé des chartes de liberté avec des villes, afin d’affaiblir le pouvoir des grands féodaux. Thomas sait encore que le commerce ne se réduit pas au transport et à la revente des marchandises, ni à des participations financières à ce qu’il faut déjà nommer des sociétés à responsabilités limitées (SRL), mais que le commerce est déjà conçu comme un commerce-monde qui implique nécessairement le commerce de l’argent pour lui-même, c’est-à-dire, le prêt à intérêt.
C’est chez Aristote qu’il paraphrase, qu’il a trouvé les arguments logiques qui complètent les affirmations évangéliques s’élevant contre l’autonomie de l’argent. Pour la théologie du Salut cette autonomie engendre la ruine de la transcendance, en ce que l’intérêt est la manifestation même de l’immanence de l’argent, c’est-à-dire le signe et le sens de son auto-reproduction selon la loi d’une croissance infinie qui n’a plus de relation aucune avec le Créateur. C’est donc à partir de l’infinité que l’on doit ressaisir l’enjeu de la théorie économique thomiste dans l’horizon de sens déterminé par la transcendance divine.
En parlant de l’argent Aristote l’avait déjà affirmé : « ce n’est pas l’infini qui commande ». Pour la même raison, saint Thomas repousse le prêt d’argent contre intérêt parce qu’il est soumis à l’infinité et engendre donc la cupidité. Thomas appelle cela l’« échange de l’argent contre de l’argent » qu’il condamne totalement, tandis que l’échange de l’argent contre les fruits du travail est quant lui louable. C’est la théorie du juste prix conçue tant à partir du revenu du travail que des revenus du commerce, lorsqu’il y a vente à un prix convenable (sic !) d’un bien nécessaire à la vie des hommes. Seuls ces bénéfices représentent des gains licites. Toutes ces limites tracées quant à la nature des gains du commerce, ainsi que la préférence donnée à une vie collective autour d’une production et d’une consommation autarciques, tiennent aux réserves que saint Thomas soulève à l’encontre de la vie urbaine, perçue comme dangereuse. C’est en effet la ville qui engendre ces fortes concentrations d’hommes aux « humeurs imprévisibles et incontrôlables », lesquelles sont lourdes de menaces pour le pouvoir politique et ecclésiastique. C’est pourquoi l’idéal social de saint Thomas demeure le féodalisme et sa double base sociale, aristocratique et rurale, assemblée autour de l’Église. Mais les villes sont là, avec leur commerce, leurs banques, l’artisanat et une industrie naissante de plus en plus indispensable à la richesse et au pouvoir des princes et de l’Église. Les bourgeois, les artisans et les ouvriers des villes ont lutté ou luttent encore pour l’obtention de chartes de libertés, et plus précisément de libertés politiques et de libertés du commerciales (les premières datent de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècles). Si bien qu’au-delà du danger ontologique qu’à la suite d’Aristote il saisit dans la domination de l’infinité, saint Thomas voit poindre ici un autre danger, cette fois ontique, précisément politique, celui qui entraînerait l’ébranlement de l’ordre hiérarchique féodal qui tend à imiter idéalement la perfection de l’ordre hiérarchique naturel créé par Dieu.
Or cet ébranlement de l’ordre hiérarchique féodal retentissant dans l’ordre politique, vient de la mise en question de la transcendance par l’argent prêtée. L’intérêt (usura) est injuste en ce que le bénéfice du prêt serait le résultat de la vente de l’argent et de l’usage de l’argent. Dès lors, prêter à intérêt revient à vendre deux fois la même chose, la chose et l’usage de la chose, en bref, on vend quelque chose qui n’existe pas.[7] En fait, le prêteur réclame de l’argent non seulement pour récupérer son capital ce qui est légitime selon Aristote, mais encore pour le prix de son usage ce qui ne l’est point (saint Luc : « prêtez sans rien attendre en retour » 6, 35) : on agit comme si « quelqu’un vendait du vin et l’usage du vin ».[8] Cette conception du prêt et de l’intérêt saint Thomas la formule en reprenant mot pour mot Aristote : l’argent est seulement fabriqué pour faciliter l’échange et non pour se reproduire car il est fait par l’homme, il n’appartient point à la nature, à la nature engendrée par Dieu fut l’ajout de saint Thomas. Ainsi, l’usage propre et donc juste de l’argent est d’être dépensé pour les échanges : « C’est pourquoi il est illicite en soi de recevoir un intérêt (pretium) qu’on appelle usure pour l’usage de l’argent prêté ».[9] En ultime instance, « l’acquisition d’intérêts sur l’argent est contraire au plus haut point à la nature. »[10] L’argent étant une chose artificielle, il ne peut faire des « petits » comme le font les choses naturelles : pour gagner de l’argent, il faut du travail, et non de l’argent. Notons que cet argument soutient déjà une thématique identique à celle que la critique moderne de l’économie libérale mène à l’encontre de la domination du capitalisme financier et des spéculations boursières sur le capitalisme industriel et les activités productives des seules vraies richesses, celles engendrées par le travail.
Or, si l’intérêt du prêt est contraire à la nature conçue et réalisée par Dieu, il l’est simultanément et directement opposé à la divinité, parce qu’il autonomise le temps de travail de l’argent dans son autoreproduction. Si comme toute chose naturelle le temps tient de Dieu, alors l’intérêt qui travaille même les jours de repos et de fêtes consacrés à louer la divinité, vole le temps à la divinité, et, volant le temps à la divinité, il le vole aussi aux hommes puisque Dieu le leur a offert gratuitement. A nouveau, sur ce point précis les socialistes du XIXe siècle n’eurent pas une position essentiellement différente de celle de saint Thomas, sauf que Dieu n’était plus le propriétaire éminent du temps, mais la société, laquelle était cette fois une production immanente à l’homme dès lors qu’il s’arrachait à l’état de nature pour vivre en communauté.
Il fallut attendre 1545 pour que Calvin dans sa célèbre Lettre sur l’usure affirme l’inverse d’Aristote. Si l’argent « ne fait pas naturellement de petits » écrit-il, il n’empêche, les « petits » de l’argent permettent cependant de mettre en œuvre une production, et le fruit de cette production sera indirectement dû au capital initial ; c’est donc en raison de cette possibilité médiatement productive, que l’intérêt détient le caractère d’un bien productif. On trouve ici l’origine de l’argumentation des mercantilistes et des économistes libéraux modernes. Soyons clairs, le protestantisme n’est pas à l’origine du capitalisme, le capitalisme appartient à l’événement politico-social européen issu de la chute de l’Empire romain d’Occident, c’est-à-dire à cette dynamique qui, en marge de la transformation des royaumes barbares en monarchies ou principautés féodales, a engendré des villes commerçantes et pré-industrielles. Toutefois, la Réforme, dans sa version calviniste, a délivré les hommes de la culpabilité de l’intérêt, en donnant à son illimitation la légitimité d’une éthique biblique dans le cadre de la prédestination. En plus de deux cents pages Max Weber n’a fait que paraphraser cette lettre…
Face à la montée en puissance du monde urbain, de ses déterminations techno-économiques et politiques, de la liberté d’action des corporations et des guildes, saint Thomas réaffirme avec la force de son argumentation théo-onto-logique l’ordre immuable de la féodalité parce qu’elle est le produit de la divinité soumise au contrôle de la papauté.

Les apories de la politique théo-onto-logique de saint Thomas

Que ce soit dans la sphère proprement politique ou dans la sphère économique, c’est la fin, le salut, comme principe premier qui commande à l’action des hommes (et non de l’homme). De cette manière le Salut n’est pas concevable sans l’instauration, le renforcement et la généralisation du royaume chrétien sur terre, afin de préparer la fin céleste. Il s’agit, en ultime instance, de la volonté de valider en raison une transcendance révélée et indiscutable, devant les lois de laquelle toute pratique doit plier.
C’est de cette volonté de validation que naissent les contradictions insurmontables du système politico-théologique de saint Thomas. Je les énumèrerai succinctement.
Il y a d’abord la pratique politique réelle des Princes qui répond à des jeux de pouvoir ou de puissance qui n’ont rien affaire avec l’engagement vers le Salut. C’est la contradiction classique entre l’éthique et la politique (cf. le sort réservé à l’archevêque Thomas Beckett par le roi d’Angleterre Henri II) qui recevra une solution pratico-théorique de Marsile de Padoue d’abord, de Machiavel ensuite, en les dissociant dans l’analyse théorique et la pratique réelle.
Cette  contradiction atteint l’Église elle-même dès lors que dans sa volonté d’imposer le bon gouvernement capable d’accomplir la fin menant au Salut, elle dut faire usage de la force, tantôt indirectement en se servant du bras armé du prince, d’autres fois en s’armant elle-même. En d’autres termes, dès lors que son pouvoir temporel joua de son pouvoir spirituel, et son pouvoir spirituel de son pouvoir temporel. Dès lors que moines et prélats prenaient armure et glaive, le « Tu ne tueras point » perdit son sens. C’est ce qui avait heurté les moines et les prêtres byzantins lorsqu’ils virent, pour la première fois l’été 1098 parmi les seigneurs Francs croisés, des moines dont la soutane couvrait une armure et laissait voir une épée.
C’est dans le champ de cette contradiction que naquit en Europe occidentale et centrale le conflit entre l’Empire et l’Église, afin de savoir qui, d’entre ces deux institutions « issue de la volonté divine » (l’Empereur tout comme le Roi est oint) est à même de faire advenir dans la praxis le bon gouvernement, c’est-à-dire les conditions de la paix : est-ce la paix de l’Église ou celle de l’Empire ? C’était là, par exemple, en faveur de l’Empire la réflexion que Dante développa tardivement dans le De Monarchia.
Cependant, la mise dans la forme organisée par la logique aristotélicienne du rapport entre la fin, l’origine et le modèle originel telle que saint Thomas l’a construite établit un type de réflexion (disons scolastique ou mieux logico-scolastique) qui va nourrir la pensée politique occidentale chaque fois que la fin sera pensée en fonction de l’accomplissement d’un début où cette fin (l’effet) fonctionne comme axiomatique. C’est pourquoi chez Thomas se rencontre, bien plus contrasté que chez Aristote, l’opposition entre le réalisme politique et l’idée d’accomplissement d’un modèle idéal, entre l’art de la politique comme art du possible du devenir humain et l’art de la politique comme volonté implacable de réaliser une origine devenue une finalité éternelle, vraie, absolue, intangible, irréfragable. Voilà l’enjeu de saint Thomas dans son effort en vue de donner un corps de doctrines politiques au royaume chrétien d’une part, et, de l’autre, afin d’assurer fermement la puissance temporelle de l’Église latine.
Il convient de remarquer que l’écriture de saint Thomas s’élève lorsque l’Église latine atteint simultanément à l’apogée de sa puissance et à l’aube de son déclin. En effet, jamais la théologie politique de saint Thomas n’a pu rendre compte des conflits politiques qui ont bouleversé l’Europe entre le XIVe et le XVIe siècles, et d’où sont sortis la modernité politique, technique et sociale non seulement de l’Europe, mais du monde. Non plus que le thomisme n’a pu servir jamais à contenir, maîtriser et dominer la généralisation de la mercantilisation des relations entre les hommes.
En définitive, la politique réelle du Moyen-âge ne s’est jamais soumise à la morale chrétienne[11], le pouvoir des rois n’a jamais été absorbé par l’idée chrétienne du Salut, c’est pourquoi l’honneur du Roi est passé toujours avant l’honneur de Dieu, et la volonté des pontifes romains, manifestée depuis Gélase Ier[12] au Ve siècle d’éclipser le droit « naturel » de l’État s’est révélée, au bout du compte, être mise en échec.[13] Pis, l’Église elle-même n’a pu résister à la mercantilisation des relations sociales au sein de la société médiévale déclinante.[14] Pour assurer sa puissance temporelle et spirituelle elle a eu besoin de plus en plus d’argent. Acculée à des dépenses de plus en plus exorbitantes, l’Église, en la personne des papes, ne put résister à vendre l’invendable, les Indulgences[15], c’est-à-dire le Salut, signant ainsi sa fin, bien avant que la théologisation du politique et la sécularisation généralisée  n’en manifestent l’évidence.
Dans une lecture heideggerienne on n’hésiterait pas à affirmer que l’accomplissement logico-sémantique de la théologie politique chrétienne de saint Thomas, c’est-à-dire le De Regno et la Sententia libri politicorum comme Ereignis (événement-avènement-appropriation) dévoilent ou, si l’on préfère, met à la fois dans le retrait et l’ouvert le destin (Moira) engendré par les deux puissances qu’il essaya de battre en ruine, l’immanence du pouvoir politique séculier et celle des relations sociales établies par et sur l’argent. Dire que le devenir démentit saint Thomas, c’est trop peu, sans toutefois enlever rien à la grandeur, la pénétration, l’obstination, l’opiniâtreté, la persévérance et la ténacité de sa pensée.



* Ce texte développe amplement une communication faite lors du colloque international sur la philosophie pratique de Saint Thomas d’Aquin, organisé par la Société internationale Saint Thomas d’Aquin à Oradea (Roumanie) les 7-8-9 mai 2002.
[1] Je suis de ceux qui, suivant la leçon de Leo Strauss, repousse toute idée de philosophie de la ou des religions, surtout lorsqu’il s’agit des religions révélées. Dans un texte célèbre, Athènes ou Jérusalem, Leo Strauss a mis, sans contestation possible, les choses au point : soit l’on parle du point de vue de Jérusalem et l’on se tient dans la théologie soit l’on parle du point de vue d’Athènes et l’on se tient dans la philosophie. Cf. « Jérusalem et Athènes. Réflexions préliminaires », in Leo Strauss, Études de philosophie politique platonicienne, Belin, 1992, ch. VII, pp. 209-246.
[2] N’oublions pas que la Renaissance commence en Italie un demi-siècle après la mort de saint Thomas (1274), avec Pétrarque (1304-1374) qui défend le « retour aux sources antiques, et englobe sous le qualificatif péjoratif de ‘Modernes’ toute la science des facultés de théologie et de droit de son époque, ainsi que le style ‘gothique’ qui leur correspondait dans les arts et les lettres, », cf. Marc Fumaroli, « Les abeilles et les araignées », in La Querelle des Anciens et des Modernes, XVIIe-XVIIIe siècles, Gallimard, Folio-classique, Paris, 2001, p. 7. Cette idée de barbarie médiévale est parfaitement ruinée par Alain de Libera, tout au long des pages de Penser au Moyen Âge, Seuil, Paris, 1996.
[3] Nom donné aux philosophes, historiens, essayistes, romanciers, poètes roumains qui, semblables aux narodniki russes, pensent qu’il existerait dans l’historicité de la modernité de l’État-nation une catégorie ontologique comme un « être éternel et anhistorique de la roumanité ».
[4] De Regno, in Sancti Thomae de Aquino Opera omnia, t. 42, Rome, 1979, pp. 417-471. Le reste des conceptions politiques et économiques de saint Thomas se trouvent dans les ouvrages suivants : Somme théologique, seconde partie de la seconde partie, 77.1, 78.1, 78.2 ; Sententia libri politicorum, troisième livre, leçon 5.
[5] On retrouve cette approche dans les utopies modernes qui ont mené à de grands massacres. Dès lors que le politique n’est plus pensé et agi  comme l’art du possible, c’est-à-dire l’art du compromis, mais comme l’accomplissement d’une fin donnée comme axiome originaire, alors la pratique politique effective devient totalitaire puisque le devenir (la réalisation du bon gouvernement) doit, sans faiblir jamais, accomplir la fin affirmée dès le début. Rien de ce qui advient dans le décours de la pratique, un futur sans visage attendu, et qui compose la nouvelle réalité imprévue, ne peut détourner l’incarnation de l’idée – la volonté affichée de la réaliser – du chemin qu’elle s’est tracée. Au bout du compte, c’est toujours la réalité, un temps refoulée, qui finit certes par resurgir avec force et violence, mais toujours au prix d’immenses destructions.
[6] C’est moi qui souligne.
[7] Somme théologique, seconde partie de la seconde partie, 78.1.
[8] Ibidem.
[9] Ibidem.
[10] Sententia libri politicorum, troisième livre, leçon 5, 1. 10.
[11] De fait, la politique n’a jamais été soumise à aucun impératif éthique, Platon rêvait d’une cité idéale, saint Thomas d’un Royaume idéal, Rousseau d’un contrat idéal, Kant d’une paix perpétuelle, Marx d’une société sans nécessité. Aujourd’hui, tout le monde parle des « droits de l’homme », quand les événements montrent sans fard qu’il s’agit là d’une énième version du « whishful thinking ».
[12] « Le monde est gouverné, écrit Gélase, par l’autorité sacrée du pontife et le pouvoir royal […] et les prêtres ont a rendre compte au Seigneur même pour les rois du jugement divin, c’est d’eux que vous (les rois) devez recevoir votre salut. »
[13] Il convient ici de souligner que cette différence entre la morale chrétienne et le droit de l’État fut préservée dans l’empire de Byzance en raison de l’héritage romain.
[14] A la fin du XIVe siècle, le célèbre marchand et banquier de Prato, Francesco di Marco Datini, commençait ses lettres commerciales par cette phrase : « Au nom de Dieu et du profit », in Iris Origo, Le Marchand de Prato. La vie d’un banquier toscan au XIVe siècle, Albin Michel, Paris, 1959, p. 67 (publication originale,  Jonathan Cape, Londres, 1957).
[15] Martin Luther, « Quand notre Seigneur et Maître Jésus disait : Faites pénitence [...] , il entendait que la vie entière des croyants devait être une pénitence. »

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