Le « Bon
sauvage » et la fondation de la politique moderne :
L’hypothèse de la société naturelle et de l’homme sauvage
chez Rousseau et les rousseauistes du XVIIIe siècle a-t-elle résisté à
l’épreuve du temps ?
« La
justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est
tyrannique […] Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et
pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit
juste. » Blaise Pascal, Pensées et opuscules,
Léon Brunschvicg (éd.), Paris, 1946, p. 470.
« La
raison du plus fort est toujours la meilleure :
« Nous
l’allons montrer tout à l’heure. » Jean de La Fontaine, Fables, « Le Loup et
l’agneau », Livre premier, fable X, éd. Livre de poche, Paris, 1985.
« Tout
est grand chez ces peuples* qui ne
sont pas asservis. C’est le sublime de la nature dans ses horreurs et ses
beautés », in abbé Guillaume Raynal, Histoire
philosophique et politique du commerce et des établissements des Européens dans
les deux Indes, Paris, 1772.
En guise de préambule
une remarque générale éthico-méthodologique
La véritable naïveté est la vertu des saints
comme la détenaient Saint François d'Assise ou Sainte Thérèse d'Avila...
Lorsqu'il s'agit de penser, c’est alors que les ennuis et les angoisses
commencent, que les impasses et les échecs pointent à l’horizon et qu’il faut
donc faire preuve d’une grande humilité... Quant à moi, n’étant, loin s’en faut,
habité d’une quelconque sainteté, et voulant me confronter à nouveau à ce grand
et bel esprit que fut Rousseau, je suis contrains d’assumer publiquement une
approche que d’aucuns qualifieraient d’élitiste vis à vis de la problématique de
l’homme sauvage, du primitif. Je repousse toute complaisance ethnologique et
philosophique rendues à la mode passée
et présente du politiquement correcte. En effet, depuis une quarantaine
d’années la prétendue démocratisation des savoirs s’est imposée au travers un
nivellement émotionnel général dirigé vers le bas, un nivellement dont le
modèle serait soit le journalisme pseudo-philosophique, le bavardage à la Onfray
ou à la Comte Sponville soit l’anthropologie des bons sentiments sans
conséquences qui oublie les ravages des nouvelles formes les plus violentes
d’acculturation, les guerres néocoloniales, le trafic d’armes, le tourisme, la
drogue et la prostitution. D’autre part, nos temps postmodernes ont eu aussi
affaire aux discours savant surchargés d’érudition, présentant l’état du moment
(par exemple celle des États occidentaux en temps de guerre froide et de post guerre
froide) d’une manière fort sérieuse, toute emprunte de cette lourdeur
germanique caractéristique d’un Habermas par exemple, chez qui l’élaboration de
pseudo-réalités politiques ou de réalités réduites à la schizophrénie de
quelques cercles politico-universitaires, mais hautement appréciées par les
pouvoirs politico-financiers, tenaient lieu de vérités transcendantes
indépassables, comme en face le communisme dans sa version soviétique le
proclamait ! Ainsi on vit se publier des fadaises comme la transparence de
la société communicationnelle par exemple[1]
qui s’articulent sur la base d’un néo-Aufklärung
s’offrant comme la vérité transcendantale d’une démocratie renouvelée, celle de
la post-Seconde-Guerre mondiale, où le patriotisme constitutionnel (Verfassungspatriotismus) sans
enracinement, sans langue propre (comme la Raison pure kantienne), en bref sans
Heimat, devait servir d’identité au
nouveau citoyen européen. On constate aujourd’hui combien cette construction de
l’esprit était artificielle et, de fait, profondément idéologique, en constatant
une simple factualité, la faillite de l’exercice de la démocratie au sein de
l’Union européenne, sa citoyenneté abstraite et creuse, sans consistance
populaire, sans enracinement spacio-historique, ni linguistique, sauf pour la
turbo-jet bureaucratie, se reconnaissant dans un anglais de supermarché et de stock options ! La parole d’Habermas
est parole morte, en revanche celle de Heidegger, qu’il vilipenda naguère, celle
qui nous aide à nourrir le constat d’une catastrophe culturelle et politique malheureusement
bien actuelle, cette parole donc demeure toujours plus vivante et pertinente
que jamais.
Or, l'exercice de la pensée, même au niveau
modeste qui est le mien, repose sur un événement initial, l'étonnement, lequel
ne ressortit pas à la naïveté des saints[2],
loin s'en faut, mais au souci (Sorge)
devant le fait que justement les choses se passant ainsi, c’est bien là la
preuve de la catastrophe selon la formule de Benjamin, à la fois pertinente et
tragique. Oui, c’est çà la catastrophe, l’événement-avènement (Ereignis) de la modernité ou du nihilisme
triomphant qu’il nous est donné à penser, rien que cela et qui commence bien
avant Rousseau. Or donc, au moment où cette modernité première se déployait,
encore confuse certes dans certains de ses aspects technico-capitalistes
(l’Angleterre venait de commencer sa révolution industrielle, tandis que la
France la balbutiait à peine et que les États allemands ne comptaient pas) et offrait
un modèle négatif ou positif du monde civilisé selon le choix philosophique de
chacun, comment penser et repenser Rousseau au XXIe siècle après l’avènement de
l’hypermodernité et la catastrophe humaine du XXe siècle sans toutefois donner
dans l’anachronisme ? En d’autres termes plus appropriés à ce propos,
comment penser aujourd’hui la fin de toutes les traditions archaïques, celles des
temps terminaux de la révolution néolithique selon la dichotomie
hypothético-déductive que Rousseau opéra entre l’homme naturel dans la société
naturelle d’une part et l’homme socialisé grâce à la fondation du contrat
social d’autre part… En bref, a-t-on encore besoin de l’hypothèse de la
naturalité humaine solitaire telle que l’a formulée Rousseau contre Hobbes (la
naturalité en soi selon Rousseau et non la naturalité déduite de l’homme contemporain
en société selon Hobbes) pour comprendre la naissance non point de la société humaine originaire,
abstraite, une et indivisible, mais celle de l’homo sapiens en ses sociétés humaines, dans l’« arc-en-ciel »
de leurs cultures selon la belle formule de Lévi-Strauss. Vaste programme s’il en
est, dont on n’abordera ici que quelques bribes.
Le questionnement de
l’hypothèse de Rousseau quant à l’homme sauvage…
Dans son Discours sur l'origine et les
fondements de l'inégalité entre les hommes publié en 1755, Rousseau
présente l'état de nature comme une situation heureuse, où les Hommes vivaient
dans l'abondance, libres et égaux, bien qu'étant proche d'une condition
animale. Rousseau estime qu'il ne peut y avoir ni domination ni droit fondé sur
la nature, et donc qu'il ne peut y avoir d'inégalité de droit à l'état de
nature. « L'amour de soi, l'amour d'autrui (pitié) et le désir de
conservation » sont les seules passions naturelles que Rousseau conçoit.
Voilà rapidement brossé un résumé de la thèse que Rousseau défendra dans tous ses
écrits ultérieurs sur la société, ses fondements, ses origines et ses
transformations.
Ce qui définit la méthode Rousseau contre celle
de Hobbes, c’est de ne point tirer les caractères de l’état de nature par l’application
d’une méthode régressive partant de celle de l’homme contemporain socialisé
dont on chercherait « en vain » la nature originaire, mais de tenter
d’en saisir a priori l’essence selon une
démarche purement hypothético-déductive très caractéristique de l’esprit des
Lumières. Cependant, pour concevoir cette hypothèse sur les actions humaines
comprises comme possibilités hypothétiques, il faut néanmoins s’appuyer sur des
faits possibles et non mettre en œuvre une description purement imaginaire, car
il ne s’agit point de faits mathématiques, ni physiques, mais bien d’affaires
humaines. Pour poser un état de nature avant le social il eût fallu en appeler
plus ou moins à des descriptions réelles, ou du moins pouvant s’en approcher,
par exemple au travers des sociétés primitives déjà connues, pour ensuite les traduire
en concepts. En effet, il ne s’agit pas ici de reconstruire une citée idéale
platonicienne à partir de postulats sur l’éthique et la vérité, mais), partir d’une
hypothèse sur l’état de la nature humaine incluse dans la nature en général,
comme stade premier, afin de comprendre comment l’homme est-il devenu d’abord
social, puis contractuel. Or pour cette hypothèse de l’homme naturel solitaire,
Rousseau repousse toutes les preuves contradictoires apportées vers la fin des
années 1750 (le contrat est publié en 1762), aucun récit d’explorateur n’entame
sa certitude, tous sont repoussés comme dénués de pertinence. Rousseau va même
jusqu’à identifier l’état de nature humain à l’état sauvage commun aux hommes
naturels et aux animaux, en ce que l’homme n’y est préoccupé que de sa
conservation sans avoir besoin de « toutes ces inutilités que nous croyons
nécessaires » (Discours sur
l’inégalité, p. 133). Aussi écrit-il « l’animal et l’homme on été
traité également par la nature » (ibidem,
p. 133). Ce qui préoccupe Rousseau,
comme ses prédécesseurs Hobbes, Grotius et Pufendorf, c’est l’égalité humaine
et animale de l’état de nature, mais alors que pour Hobbes l’état de nature est
une « identité de fait », pour Pufendorf une « égalité de
droit », pour Rousseau elle est la traduction d’une « identité de
droit (puisque « la nature est législatrice » Discours…, op cit, p. 141) en une égalité
biologique ».[3] Plus
précis encore sur le thème de la nature législatrice, Goldschmidt remarque que
chez Rousseau : « comme la loi, encore qu’elle s’y prenne
autrement, la nature s’applique à redresser les transgressions ».[4]
Et il ajoute, toujours paraphrasant Rousseau, « […] tout se passe comme si
la nature prévoyait cette origine et ses conséquences en donnant aux hommes des
facultés en puissance (la raison*) et propres à l’occasion à rétablir
l’équilibre ».[5] Une
remarque intervient immédiatement, à savoir que si c’est l’homme qui par
l’exercice de la raison rétablit l’équilibre après les dérèglements opérés par
la nature, alors ce n’est pas la nature commune aux animaux et aux hommes qui
réagirait contre ces dérèglements, mais bien la raison humaine déjà soulignée, et
non pas dans ce qu’elle aurait de naturel, mais bien selon son exercice particulier,
c’est-à-dire selon des solutions culturellement différenciées qui dès l’origine
donnent à l’homme contre les animaux une dimension spiritualo-culturelle qui est
la qualité la plus propre à l’homme et que seule une langue naturelle articulée
est à même de formuler. La raison étant précisément le spécifique humain que
les animaux, même les plus évolués, ne possèdent guère ou très peu, dussent-ils
avoir une organisation sociale parfois assez complexe et savoir employer, comme
les chimpanzés, un morceau de bois pour manger des fourmis. C’est Heidegger qui
écrit quelque part : « les animaux sont pauvres en Être ». Aussi,
ce qui est commun aux hommes et aux animaux ne peut-il être qu’une nature sans véritable
raison raisonnante, c’est la partie biologique de l’homme, sa mort inéluctable
comme tout être vivant, mais, même la sexualité humaine, et quoique modelée par
des poussées de testostérone et d’œstrogène selon le sexe, est profondément modelée
par la culture, interdictions et permissions réglementées selon des normes
complexes, manipulation des organes sexuels (subincision, infibulation,
excision) à des fin de contrôle social et d’impératifs rituels, jeux sexuels,
parfois érotisme, même si le résultat
procréatif ultime est identique à celui des mammifères (et même si l’on sait
présentement que les singes les plus évolués manifestent quelques aspects de
jeux sexuels, mais plutôt pour apaiser les tensions dans le groupe que pour de
véritables jeux amoureux).[6]
Avec ces quelques remarques, on conçoit aisément que la conception de l’homme
naturel doit être reprise à nouveaux frais pour tenter de préciser, à la lumière
des découvertes récentes de l’anthropologie préhistorique et des
interprétations renouvelées de l’anthropologie culturelle, ce que fut ou ce qu’eût pu être les premiers
temps humains.
Dans tous ses écrits politiques Rousseau avance
une série d’affirmations qui définissent l’homme naturel ou physique et peuvent,
aujourd’hui, à bon droit, surprendre un lecteur qui s’exerce à autre chose qu’à
reconstruire une exégèse pointilliste et épistémologique. Regardons ses affirmations
point par point.
D’abord ceci qui a fait fortune chez les suivants de
Rousseau : dans l’état de nature l’homme n’est préoccupé que par sa
conservation et n’éprouve nul besoin « de toutes ces inutilités que nous
croyons nécessaires ». De cette activité conservatoire Rousseau déduit la
« marche uniforme de la nature et la manière de vivre simple, uniforme et
solitaire qui nous était prescrite par cette même nature ».[7] Il s’agit donc d’une
vision antéhistorique et anhistorique de cette permanence de la nature,
laquelle est donc hors de toute histoire, c’est pourquoi cette notion
d’uniformité de la nature excède toutes les variétés de climats, de changements
fortuits qui ont pu bouleverser la face de la terre. Or cette dernière
hypothèse me semble faible, elle n’est pas réellement pertinente pour une
intelligence de l’homme naturel ou sauvage si l’on en croit les descriptions de
l’abbé Raynal parues en 1772[8], l’un des plus fervents
admirateurs de Rousseau et un continuateur immédiat, auteur d’un ouvrage
captivant[9],
car rempli d’observations détaillées sur la vie des Amérindiens d’Amérique du
Nord et du Sud. L’abbé y rapporte nombre de témoignages forts pertinents sur leur
vie quotidienne, sur la cueillette et la chasse, parfois sur une agriculture
très primitive, mais surtout sur leur manière de mener les guerres entre
tribus, entre les associations de tribus, ainsi qu’avec ou contre les
colonisateurs anglais, français, espagnols et portugais. On y lit en
particulier des descriptions sur l’extrême violence dans la manière de traiter les
prisonniers de guerre : sur les longues tortures auxquelles participent et
les femmes et les enfants, sur les pratiques cannibales, et simultanément sur
l’extrême courage physique des hommes tant à la guerre qu’à la chasse, tant
sous la torture que devant les canons des Européens. Nombres de ses
descriptions ont été corroborées par des rapports ultérieurs et visuellement
par des tableaux peints au cours des années 1820-1830 par Georges Catlin, quand
les Indiens Iowa, Mandans, Shoshones, Comanches, n’étaient pas encore repoussés
hors de leurs terres ancestrales vers diverses réserves. Or, en dépit de
descriptions d’une étonnante précision, l’abbé Raynal ne peut à son tour
s’empêcher de spéculer sur l’essence de la l’homme naturel (ie. les « sauvages »
dont il parle). Aussi rencontre-t-on en maints passages de son ouvrage, la
« description » de la solitude de l’homme naturel antérieur même à
l’homme sauvage que ses descriptions démentent.
« L’homme jeté comme par hasard sur ce
globe, environné de tous les maux de la nature, obligé sans cesse de défendre
et protéger sa vie contre les orages et les tempêtes de l’air […] l’intempérie
des zones ou brûlantes ou glacées, contre la stérilité de la terre qui lui
refuse des aliments […] enfin contre les dents des bêtes féroces, […] l’homme,
dans cet état, seul et abandonné à
lui-même[10],
ne pouvait rien contre sa conservation. Il a donc fallu qu’il se réunît et
s’associât avec ses semblables pour mettre en commun leur force et leur
intelligence. »[11]
Sur ce point précis, Raynal reprend directement la position de Rousseau dans L’Origine et les fondements de l’inégalité
où il est écrit : « Son âme (à l’homme naturel=sauvage*) que rien n’agite se livre au seul
sentiment de son existence actuelle. »[12]
L’on y retrouve la conception anté- ou antihistorique de ce que Rousseau
appelle la « conscience primitive » où, comme le précise
Goldschmidt, « […] la permanence de l’état de nature ne doit se comprendre
ni comme histoire ni même comme mythe ». Elle s’explique donc comme
exigence méthodologique, elle même accordée à son objet : le postulat
d’une conscience anhistorique de l’homme primitif. Voilà qui résume la position
de Rousseau et des rousseauistes sur l’homme primitif ou sauvage d’où il
convient de partir pour le repenser à nouveaux frais, à la lumière des plus
récentes découvertes de la paléoanthropologie (ADN mitochondrial et chromosome
Y) et des cent cinquante ans d’anthropologie (milieu du XIXe et XXe siècles) pendant
lesquels le monde européen a détruit définitivement les cultures archaïques
dont avons néanmoins réussi à garder quelques descriptions et témoignages portant
sur les plus anciennes cultures humaines vivantes : celle des Aborigènes
d’Australie (50.000 avant J.C), des Bochimans ou Hottentots du Kalahari (44.000
avant J.C) et des divers Negritos des îles de l’Asie du Sud-Est (50 à 70.000
avant JC) dont les Andamans qui, avant l’arrivé des Anglais, connaissaient le
feu, mais ne savaient pas le produire. Avec ces derniers on avait donc le
témoignage de l’un des plus anciens peuple de chasseurs-cueilleurs vivant et dont,
en dépit de la possession d’arcs, mais en l’absence d’une des techniques
essentielles de l’évolution technologique, la production du feu, renvoyait à
des réminiscences de 400.000 ans avant J-C, c’est-à-dire à la fin du
paléolithique inférieur, ce qui faisait de ces populations les descendants
directs des groupes d’homo sapiens ayant quitté l’Afrique pour peu à peu peupler
le monde en direction du Moyen-Orient et de l’Asie.
Je n’ai pas rapporté tous ces quelques faits
pour faire assaut d’érudition. Je ne suis pas paléontologue, dussé-je me tenir
au courant de l’état des recherches d’anthropopaléontologies car elles aident
l’anthropologue culturel à repenser certains domaines très antiques de
l’activité humaine comme par exemple la fabrication des premiers outils et les
représentations pariétales les plus archaïques, ensemble, elles nous renvoient
à des activités de très haute abstraction. Une autre assertion totalement
fausse de Rousseau et qui cependant a fait fortune dans les analyses
anthropologiques, c’est celle relative à cet homme sauvage non seulement
individuel, mais préoccupé de l’amour d’autrui, c’est-à-dire habité de pitié.
Voilà qui est à coup sûr bien étrange. Or Rousseau avait à sa disposition déjà
quelques ouvrages d’explorateurs comme la Relación
de Álvar Núñez Cabeza de Vaca[13]
ou les rapports des explorations du Canada fait par les Français dès la
première moitié du XVIe siècle.[14]
Toutes ces relations de voyage rapportent, sauf quelques cas marginaux,
l’extrême violence des Amérindiens, non seulement avec les blancs, ce qui
paraît normal quand on vole les terrains de chasse des indigènes pour les
exterminer ensuite, mais dans les luttes qu’ils menaient entre eux. Dans un
ouvrage savant sur les guerres préhistoriques, le seul à ma connaissance de son
espèce, l’auteur, Lawrence Keeley souligne à plusieurs reprises que, sauf
exception (Esquimaux de Thulé, groupe de Pygmées ou de Bochimans) les sociétés
les plus archaïques de chasseurs-cueilleurs étaient loin, voire très loin
d’être pacifiques.[15]
Il note ainsi que « Le nombre suffisant de tombes connues permet indubitablement
de conclure à la banalisation de la violence homicide dès l’apparition de
l’homme moderne (Homo Sapiens Sapiens) »[16]
et ce en « remontant à l’Aurignacien »[17]
en Europe, cela nous renvoie à une époque située entre trente-six mille et
vingt-sept mille ans. On le constate, rien dans l’époque de sauvagerie de l’homme
primitif ne ressemble de près ou de loin à ce qui aurait pu nourrir l’hypothèse
théorique de Rousseau. Ni solitude depuis les origines antérieures à l’Homo
Sapiens, voire au Néandertalien, ni pacifisme angélique (« rien ne
pourrait être plus doux qu’un humain dans son état naturel » précise-t-il
dans l’Origine…) ne ressortent à un
quelconque caractère de l’homme primitif empirique. Seul point rencontrant une
certaine réalité, le « désir de conservation », mais il s’agit d’un
désir de conservation de l’espèce, ou plutôt du groupe, et c’est pourquoi, on
peut penser selon la paléontologie et les quelques preuves des enquêtes
ethnologiques que des groupes peu nombreux cherchant à se conserver, vingt à
trente membres, aient développé des comportements plutôt pacifiques ou choisi
de se soumettre momentanément aux plus forts dans des relations symbiotiques
pour survivre comme le suggère plusieurs fois l’abbé Raynal et Keeley.
La version d’un homme naturel doux, et par
contraste, celle que la guerre qui ne devient atroce qu’à partir du moment où
les hommes s’inventent des « lois artificielles », soulève ensemble
des doutes sévères. D’une part d’un point de vue logique, les lois naturelle
sont des lois physiques et chimiques, et donc l’homme naturel serait dans ce
cas comme l’équivalent d’une pierre, et la raison qui lui a été donnée (par
qui ?) ne lui servirait qu’à subir la loi naturelle, à ne point pouvoir
s’adapter à la nature, voire à ne pas tenter de la dominer, ou, au moins
chercher, à l’apprivoiser, comme il a apprivoisé les animaux et les plantes. Or
cette idée rousseauiste de la douceur innée de l’homme naturel a soit détourné
nombre d’ethnologues de regarder en face la violence des sauvages (Lévi-Strauss
et Clastres), soit a affaibli leur sagacité. En effet, si l’on remarque que la
majorité des enquêtes d’anthropologie culturelle se sont déroulées à une époque
où la colonisation avait déjà réalisé de grands ravages, où des peuples entiers
avaient quasiment disparus, où des tribus démographiquement démantelées avaient
été confinées dans des réserves (Amérique du Nord et Zoulous d’Afrique du Sud)
où rejetées dans les zones plus arides du pays (Aborigènes d’Australie,
Bochimans du Kalahari, Négritos des Philippines), en bref, quand presque tout
le monde primitif était plus ou moins contrôlé par les puissances coloniales, on
n’a donc pu étudier que les réminiscences de la violence de ces cultures. C’est
pourquoi les ethnologues insistèrent beaucoup plus sur les rapports de force
inégaux entre les indigènes et les blancs que sur les conflits inter tribaux
qui les avaient animé des siècles durant, bien avant l’arrivée des blancs. Dans
le dernier contexte colonial, les hommes primitifs n’étaient plus que les
ombres de leur passé, des caricatures d’eux-mêmes qui bientôt grossirait le
flot des friandises folkloriques offertes aux touristes en goguette, attraction
de fêtes foraines comme au début du XXe siècle dans les villes des États-Unis
ou mode plus hippy avec ces mendiants aborigènes qui jouent aujourd’hui du
rhombe dans les rues de Sydney, moitié-nus, le corps peint de blanc et d’ocre.
Tous les calculs réalisés par Lawrence Keeley dans son ouvrage sur les guerres
préhistoriques nous montrent, sauf exceptions notables confirmant la règle, que
la violence primitive dépassait en quantité relative, et de beaucoup, la
violence contemporaines, en dépit des techniques modernes de mises à mort
industrielle. Encore le vieux rêve du paradis perdu qui fonctionne si bien
lorsque le penseur est effrayé devant la catastrophe des temps modernes.
Même si l’argument rousseauiste de l’homme
naturel individuel est comme il l’assume lui-même une fiction hypothétique, je
ne vois pas en quoi elle nous est utile pour comprendre l’invention des
sociétés contractuelles, celle de l’homme social. Certes, nul ne peut nier que
l’homme appartient au même titre que les lions et surtout que ses lointains
cousins les singes supérieurs du règne animal : par exemple les
chimpanzés, sur 3,2 milliards de paires de nucléotides seuls 0,27% sont différents
de ceux de l’homme, mais cette infra-mince différence semble organiser toutes
les différences les plus essentielles entre les singes évolués et l’homme
Néandertalien et Sapiens, la station debout et le langage articulé menant à
l’abstraction, à l’accumulation de l’expérience des innovations techniques et esthétiques,
et à leur transmission. Par ailleurs, nous le savons de longue date, nombre
d’espèces de mammifères sont grégaires et vivent en groupes caractérisés par
des formes de socialisations relativement complexes. Sans parler de la
socialisation des lions ou des dauphins, celle des singes supérieurs, surtout celle
des gorilles, des chimpanzés et des bonobos, ces deux dernières espèces ayant
même des aspects de sexualité ludique (servant essentiellement à apaiser les
conflits), il n’empêche, aucune d’entre elles ne montre des individus vivants
seuls, isolés, luttant pour survivre, sauf, lorsque pour des raisons diverses, des
individus sont exclus du groupe. Il en va de même de l’homme sauvage, de
l’homme naturel, jamais celui-ci n’a été un individu seul luttant pour sa
survie, l’Homo Neandertalis comme
plus tardivement Homo Sapiens
venaient de l’Homo Erectus, et ce premier
« animal » du genre homo semble avoir déjà été socialisé comme le
montre les fouilles réalisées dans la vallée du Jourdain en Palestine sur des
sites datant d’environ un million quatre cents milles ans et montrant déjà une
industrie lithique.[18]
Ces hommes vivaient en bandes, certes petites, mais en bandes, sans cela ils n’eussent point été
capables de sortir d’Afrique et d’affronter un monde sauvage, hostile et des
animaux à eux totalement inconnus. Et surtout ils eussent été incapables de se
reproduire, car cet nécessité de reproduction implique que l’homme a eu au
moins une femme avec lui. De plus en raison de la néo-natalité humaine, ce
couple initial devait prendre un soin beaucoup plus attentif du nouveau-né que
la plupart des mammifères… Leurs cousins germains les singes accordent eux-aussi
et collectivement des soins très attentifs aux nouveau-nés.
L’erreur fondamentale de Rousseau qui se lit dans
cette phrase : « les hommes vivent dispersés parmi les bêtes et sans
liaison entre eux »[19],
est aussi et en dépit de leur méthodologie différente, celle de Hobbes et de
Grotius formulée en reprenant la formule de Plaute d’un « homme qui est un
loup pour l’homme »[20]
– quoique les loups ne se dévorent pas entre eux, ils dévorent les autres
espèces ! Il apparaît donc que Hobbes et Rousseau, mais aussi Locke, aient
confondu socialisation et contrat. Ils ont imaginé qu’avant le contrat
l’humanité était plongé dans une sorte d’enfance, qu’elle balbutiait, et
qu’avant ces balbutiements, elle était en gestation sous forme d’un ensemble d’individus
atomisés sans aucune vie sociale. Ni comme hypothèse théorique ni comme
hypothèse pratique cet homme solitaire dans l’adversité de la nature ne résiste
à la critique, car une hypothèse qui s’appuie sur des prémisses fausse, est une
mauvaise hypothèse, même en mathématiques. Il est, me semble-t-il, une
interprétation bien plus riche de possibles dès lors qu’on s’interroge sur la
socialisation primitive, et, partant de là, sur la contractualisation et la
société civile en tant que forme moderne de la politique.
De
la Socialisation à la contractualisation…
La socialisation est une situation qui semble,
selon les anthropo-préhistoriens commune à tous les hommes préhistoriques au
moins depuis l’Ergaster et son
contemporain l’Habilis, tous deux
fabricants d’outils entre 1,8 et 1 million d'années avant notre ère, tous deux
caractérisés par la néo-natalité propre au genre Homo qui suppose un minimum de vie collective nécessaire à sa
reproduction. Les variations de la socialisation parentale sont l’une des
caractéristiques fondamentales de tous les sauvages même les plus archaïques que
l’homme moderne a rencontrés au cours des six derniers siècles, sur la route de
sa conquête du monde. Il faut en convenir, en son essence d’humanité consciente
d’elle-même et, dirais-je, « rationnelle », la protection
« familiale » pour la reproduction, la fabrication d’outils, les
dessins et peintures sur les parois des grottes, ainsi que la présence de
nécropoles qui supposent l’élaboration de rites funéraires sont autant de
marques primordiales de cette conscience soi par l’abstraction à visées
fonctionnelles, rituelles et donc spirituelles déjà remarquée chez plus anciens
des hommes préhistoriques. C’est ce que suggèrent les dernières découvertes préhistoriques
autour de l’Ergaster, lequel semble
avoir enterré ses morts selon des bribes de rituels. A coup sûr, il n’y a pas eu
d’humanité première sans une socialisation humaine raisonnée de quelque manière
que ce soit, comme il n’y a pas d’humanité première sans une langue articulée comme
le pensait par exemple Maupertuis et les encyclopédistes qui regardaient l’homme
primitif comme n’ayant à sa disposition que des onomatopées, tant et si bien que
le progrès se serait manifesté par le lent développement de l’articulation de
ces onomatopées en mots et syntaxe pour faire une langue. C’est Herder
qui le premier, dépassant d’une part l’analyse du Cratyle où Hermogène dit que les noms sont donnés par les dieux, et
d’autre part le débat médiéval entre nominalisme et réalisme, affirme que si
Dieu a donné la raison à l’homme il l’a lui donné dans une langue. Retirons
Dieu si l’on veut, il n’en demeure pas moins que l’homme dut émerger comme
homme avec la raison dans sa langue ou avec une langue énonçant de la raison. On
pourrait même avancer qu’une socialisation raisonnée dans une langue naturelle
tient de l’essence (Seiende) irréductible
de l’humanité.[21] De
plus, Rousseau (comme Hobbes et Grotius) souligne que la « société
naturelle » est celle où règne une « égalité naturelle entre les
hommes », laquelle est possible en fonction d’une société « exempte
d’institutions » ; or une association de type familiale, réduite ou
plus vaste, n’est-elle pas déjà une institution associative ? Une fois encore,
il est là la vision de la société primitive construite par un esprit qui n’est
jamais sorti de son cabinet de travail et qui a repoussé toutes les informations
rapportées par les voyageurs et les explorateurs. Lorsque Rousseau regarde les
origines de l’envie comme liées au mariage, à l’éducation, à la propriété, j’ai
des doutes quant à l’identité de sens entre ceux que les primitifs pouvaient
attribuer à l’envie ou à la convoitise et ceux que la société urbaine et
savante européenne du XVIIIe siècle définissait comme tels dans ses diverses
langues. Il est vrai que les monographies d’ethnologie n’abordent que par le
biais cette problématique de l’« envie », en revanche très présente
dans les sociétés primitives dégradées par l’alcool, par le salariat et par
l’arrivée de divers objets depuis la colonisation européenne ( thématique abordée
avec beaucoup d’humour dans le film botswanais, Gods got Crazy, Les dieux sont tombés sur la tête). En revanche
nous savons que les règles matrimoniales et les normes réglant la descendance sont
fort complexes parmi les sociétés les plus archaïques (les Aborigènes
d’Australie, les Penans de Bornéo, les Indiens des plaines, en fournissent de
bons exemples). Or qu’est-ce que les règles de la parenté sinon le contrôle de
l’appartenance différenciée de chacun à un groupe particulier, ainsi que son
complément direct, le droit positif que chaque groupe détient d’échanger ses
femmes avec des groupes semblables et proches appartenant à la même culture
afin d’assurer sa reproduction. D’où les système classificatoires offrant dans
des conditions de survies précaires propres à toutes les sociétés archaïques,
plusieurs épouses potentielles : le mariage préférentiel avec la cousine
croisée ou parallèle matri- ou patri- linéaire offre parfois plusieurs dizaines
d’épouses possibles. On peut affirmer que dans les sociétés primitives, celles des
chasseurs-cueilleurs ou celle des éleveurs primitifs, la parenté est la
véritable infrastructure sociale en ce qu’elle fonde la possibilité de la
reproduction sociale (la filiation) contrôlée par des alliances codées (les
termes de parenté), et engendre une grande partie des cycles rituels, tandis
que le ou les mythes des origines, souvent énoncés en termes d’un couple
originaire établissent la Loi de la société : couplage des animaux avec
des humains, ou représentation du vagin
d’un animal femelle monstrueux qui donne naissance à la nature et aux hommes, ce
qui renvoie au totémisme, autre manière que les groupe sociaux ont eu de se
classifier et donc de se différencier). A chaque fois les indigènes énoncent :
« nous, nous sommes les hommes, les vrais, est-il dit en substance ».
Cet aspect, Rousseau l’avait suggéré en parlant de la
« famille restreinte », en la rétroprojetant pour en faire le premier
modèle de la société politique immédiatement sortie de la « nature ».
Mais, une question survient, était-ce le premier modèle de la société politique
ou le premier modèle incarné de l’infrastructure parentale en ce qu’il convient
de ne pas concevoir la famille restreinte comme les modernes l’ont conçue ?[22]
Or, les plus primitifs des hommes connus de l’homme moderne, ceux qui venaient directement
de l’Homo Sapiens sorti d’Afrique et installés
dans la péninsule indienne, en Insulinde puis en Australie, les Négritos et les
Aborigènes australiens, sont aussi ceux qui élaborèrent des systèmes de parenté
extrêmement complexes, bien plus compliqués que la famille restreinte propre à
la bourgeoisie européenne. Ce qui nous permet donc d’inférer que cette
complexité devait déjà être assurément le cas de l’homme en tant qu’Homo Sapiens, mais aussi, et quoique peut-être
en une moindre mesure, celui de Neandertal.
Quant à la propriété du sol et celle d’autres
biens, nous savons qu’il y eut une propriété privée, mais, hormis les armes, la
propriété est souvent et essentiellement collective, répartie parmi les membres
du groupe, du clan, de la tribu vivant en relations de face à face plus ou
moins hiérarchiques selon de très nombreuses variations. Que ce soit celle de l’animal
totémique propre à un groupe, ou celle des espaces de chasse et de cueillette, espaces
flous dont les limites oscillent au rythme des guerres, la propriété est collective
selon des critères propres à chaque culture. De fait, cette propriété
collective comprend aussi bien les espaces où les morts reposent cachés dans
les bosquets, enfouis au pied des arbres, au milieu des forêts, rassemblés dans
des collections de crânes surmodelés reposant en un lieu connu des seuls
anciens, lovés au creux des sites rocheux, ou élevés sur des pavois afin que
les oiseaux s’en repaissent et que leurs esprits viennent rappeler aux vivants
leurs devoirs. L’inventivité culturelle humaine, à la différence des animaux, est
en quelque sorte sans limite. Comme Rousseau l’avait affirmé pour l’homme
« naturel », il y a aussi chez les plus primitifs une égalité assez
générale, mais relative en ce que les types de hiérarchies sociales qui s’y
sont développées sont parfois, mais loin s’en faut, toujours peu marquées ou
temporaires comme le chef de guerre chez les Indiens des plaines d’Amérique du
Nord ou d’Amazonie, ou contrebalancé par diverses sortes de conseils, tandis
que d’autres acteurs possèdent un statut de pouvoir plus durable, le sorcier ou
le shaman, celui lui qui décide des augures favorables ou défavorables pour la
guerre ou pour la chasse. Enfin, si l’on regarde l’île de Tahiti dont
Bougainville, rousseauiste affirmé, entretiendra le mythe d’une île au
pacifisme paradisiaque[23]
en négligeant le fait cardinal que la baie Matavai où il fit relâche en 1768
avait été déjà visité par l’anglais Samuel Wallis en 1767, lequel avait dû
faire tirer au mousquet et au canon par ses marins pour se défendre des
indigènes qui voulaient prendre d’assaut son vaisseau. Ce n’est que devant la
violence et l’efficacité du tir à mitraille du feu britannique que la cheffesse
Oberea fit sa soumission avec son clan aux Européens. On le voit, la violence
des sauvages avait été sérieusement apaisée, comme ailleurs, par les armes à
feu des Européens.
Une fois rappelé ces formes archaïques de
socialisation qui ne sont pas au sens que Rousseau leur donnait un
« contrat » et des « sociétés politiques », il convient de
s’interroger sur le passage de la socialisation primitive issue des sociétés
préhistoriques à la contractualisation des sociétés données comme
l’accomplissement du politique ?
De fait il faut constater, et les faits et le
bon sens nous y contraignent, que la socialisation humaine est déjà un contrat,
seulement c’est un contrat qui n’est pas pensé selon les termes des sociétés
modernes comme l’imaginait Rousseau, en termes explicitement politiques (les
sauvages n’avaient pas lu Platon ni Aristote ni Cicéron). La socialisation est
un contrat pensé dans la logosphère archaïque, c’est-à-dire avec les
justifications avancées dans le champ sémantique des discours mythiques où il
est déchiffré l’origine du peuple comme entité séparée et unique en ses
qualités humaines par rapport aux autres peuples et selon des rituels variables
selon les sexes comme une sorte de « pacte » d’intégration des adolescents
dans le système social, en particulier dans la possibilité de faire la guerre
et d’avoir accès aux femmes pour les hommes et aux hommes pour les femmes, donc
de pourvoir inscrire les enfants à venir dans le champ de la Loi. Ce pacte se
socialisation établi sur des rites tient, par exemple, aux déchiffrements des
rêves qui donnent la Loi chez Australiens. Il s’agit donc, pour ceux qui la copartagent,
de la Loi d’un peuple. Mais ce n’est pas suffisant. Le peuple comme collectivité
d’hommes et de femmes copartagent une intercompréhension, en effet, parce que
tant les mythes fondateurs que la ritualité s’y énoncent dans une langue, et
cette langue est à la fois unité sémantico-lexicale et code grammatical unique.
Puisqu’il n’est que les savants des sociétés très évoluées qui pratiquent les
études linguistiques de parenté entre les langues, les sauvages quant à eux
ratiocinent sur les relations de leur parenté et leurs origines mythiques. Le
peuple, en tant qu’il est déjà un groupe uni et solidaire en un lieu balisé de
connaissances, en un système de relations de parenté et de rituels et en une
langue qui énonce ses mythes originaires, en bref, le peuple en tant qu’il est
un système de socialisation global, détient une conscience d’appartenance
collective préexistante à tout contrat moderne, sinon il ne ferait pas la
guerre à d’autres groupes, n’envahiraient pas, ou ne se défendrait pas contre
l’intrusion des blancs ou d’autres envahisseurs, manifestant à cette occasion
une solidarité totale, un courage décuplé et souvent sans espoir. En bref, tous
ces sociétés-peuples archaïques, à leur manière originale et irréductible les
unes aux autres, se pensaient appartenir à une communauté originelle et à une
communauté de destin, fondement de toute société humaine, ce que les animaux,
même les plus évolués ne conscientisent jamais : apparemment depuis
toujours les grands singes sont comme ils le sont.
Rousseau visant la citoyenneté moderne n’envisage
donc le peuple comme tel qu’avec la création du contrat, lequel crée la seule
entité politique unissant en un seul corps politique et législatif une société
auparavant atomisée et donc anomique. En fait, selon lui, soit une non-société pourrait-on
dire, soit une société sans foi ni loi. Mais une simple curiosité linguistico-sémantique
nous suggère que Rousseau attribut au mot « peuple », le sens moderne
qu’il avait déjà en cette fin du XVIIIe en Europe occidentale et qui n’est jamais
ni le nom ni le sens que les entités archaïques ou moins archaïques s’attribuent
quand elles s’auto-désignent, énonçant ce qui les unit de liens indestructibles
et imprescriptibles. En effet, Rousseau se situe dans le droit fil de la
conception latine et déjà moderne du populus[24]
romain : un ensemble de citoyens ayant le droit de voter, en cela le populus s’oppose et au Sénat et à la
plèbe. Nous ne sommes dans une tradition plus antique et plus proche en quelque
sorte de l’archaïsme, celle des Grecs où l’ethnos
comprenait et l’origine commune le génos
et le commun partage de mœurs ou ce que l’on nomme aujourd’hui la culture,
l’ensemble ne se confondait jamais avec la partie politique de l’ethnos et du génos qui était le demos.[25]
En Europe c’est avec le sens grec que l’on comprendrait le mieux les notions de
peuples barbares (ceux qui ne parlent pas notre langue, le grec, seule capable
de donner accès au dialogue avec les dieux), ou ceux décrit par Tacite et qui
finirent par détruire l’empire romain.
Or selon Rousseau « (...) Cet acte
d’association (le contrat) produit un corps moral et collectif, composé
d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte
son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. » [26]
On retrouve presque identique la définition qu’en avait donnée Cicéron. Quel
est le type de ce contrat au XVIIIe siècle, si ce n’est la volonté d’abolir les
privilèges du féodalisme et de la monarchie absolue ; volonté qui était
déjà partiellement et différemment anticipée dans une sorte de pré-modernité
représentée par les Athéniens, la République de Venise ou la noblesse polonaise
(szlachta). Aussi Rousseau regarde-t-il
la constitution d’un pouvoir politique reposant sur le contrat social comme le
seul et véritable fondement donnant existence au peuple en tant qu’entité
politique, et donc lui fournissant sa Loi et ses lois : en termes
kantiens, le contrat est la condition de possibilité du peuple ; en termes
hégéliens, le contrat est l’Esprit du monde qui s’incarne ; en termes
marxiste la superstructure bourgeoise qui se déploie sur les rapports de
production capitaliste ; en termes heideggériens, le das Wesen de la technique. Allons un peu plus avant, et abordons
maintenant la manière dont le contrat rousseauiste est explicité :
« Trouver une forme d’association qui
défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé*, et par laquelle chacun s’unissant
à tous n’obéisse pour autant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant.
Tel est le problème fondamental dont le contrat donne la solution. ».[27]
Si nous reprenons termes à termes
l’explicitation du contrat on remarque que c’est une « une forme
d’association qui défende et protège la personne et les biens associés ».
Mais quelle association archaïque ou moins archaïque n’est pas une association
de fait et de droit qui protège ses membres collectivement et
individuellement ? Sauf que la notion de personne employée par Rousseau
est tout à fait la notion moderne propre à la philosophie cartésienne, la
philosophie du sujet – le sujet cette fois seul face à son cogito, autorégulateur de son
aperception du monde. Or, s’il y a de l’individualisme comme idéologie
fondatrice de la société, c’est bien au cœur de la modernité et non dans
l’archaïsme où l’homme n’est jamais seul parce qu’il n’est jamais le prétendu
« acteur économique rationnel ». Puis, Rousseau continue en avançant
la « protection des biens de chaque associés ». C’est en effet là où
le contrat diverge fondamentalement des formes associatives archaïques. Les
sociétés archaïques de chasseurs-cueilleurs, comme les sociétés néolithiques
d’agriculteurs, comme les grands empires de l’antiquité, voire comme le despotisme
oriental, la Chine, selon Wittfogel[28],
ou le féodalisme classique n’ont pas cette forme de propriété généralisée. Quelle
est donc la forme de l’économie politique où « les biens de chaque
associé » sont défendus par un droit de propriété personnelle ? D’aucuns
l’ont deviné, il s’agit de la bourgeoisie. Pour lors la société civile
politique que fonde le contrat de Rousseau est la société bourgeoise où aucun
n’est au-dessus de la loi déterminant les conditions de la propriété. C’est là une
conception idéaliste de la loi, laquelle, selon Rousseau, soumise au peuple du
contrat, ne peut être qu’une loi juste. Voilà qui oubliait que la loi du
contrat fondant la société bourgeoise, s’instaure, au bout du compte, comme
pouvoir juridique et donc politique des classes impliquées dans les rapports de
production capitaliste et dans la lutte permanente qui structure ce type de
société, la lutte de classe. Le peuple politique qui se fonde ainsi, celui dont
parle Rousseau, est bien celui de la bourgeoisie qui préparait son accession au
pouvoir depuis au moins trois siècles et qui réalisa la force de sa toute puissance
entre 1789 et le 18 Brumaire an VIII de la République (9 novembre 1799).
Par essence, chez Rousseau, le pouvoir de
l’autorité politique qui se fonde en société civile n’est pas issu d’une
violence politique, révolution et guerre civile entre fractions d’un peuple
préalablement ou partiellement uni sous un autre type de contrat. A lire
Rousseau on a l’impression que la décision du contrat entre les hommes
individuels isolés dans la nature s’opèrerait d’une manière plus ou moins
harmonique sans violence (l’inverse de Hobbes). On est là devant une démarche
logico-argumentative qui part de prémisses fausses quant aux qualités iréniques
de la société « naturelle » des hommes. Tant et si bien qu’on se
trouve devant une assertion qui s’énoncerait ainsi : pour qu’il y ait
pouvoir politique d’un peuple, il faut qu’il y ait un contrat qui fonde ce
peuple en sa volonté générale. Le contrat étant dès lors la condition de
possibilité (au sens kantien) de la politique et donc de l’existence (du Dasein) peuple, et par là-même la
condition de possibilité de la liberté individuelle de chacun recouvrée après
l’avoir aliénée, dans un premier temps, au bien commun. Voilà qui n’est, au
bout du compte, que l’argument kantien de la propriété bourgeoise. Avant la
lettre Rousseau se révèle donc être le précurseur de Kant. En ce que méthodologiquement
il instruit une philosophie politique idéaliste logico-démonstrative qui
repoussent les faits qui la contredisent (les faits d’étant pas une vérité de
droit certes). Or Kant aussi, confronté à la catégorie juridique en fait usage comme
rapport à la nature comme l’a remarqué très finement Tosel : « la
mauvaise conscience de la catégorie juridique chez Kant fait qu’en dernière
instance l’ordre juridique ne peut défendre la propriété privée qu’en tant que « ‘rapport
essentiel à la nature’ ».[29] Chez Rousseau, le contrat
retrouvait par le biais de la loi fondatrice cette égalité originaire qui
caractérisait l’homme naturel, mais cette fois animée par la raison consciente
d’elle-même qui élabore son corps politique et sa Loi. Il faut entendre
ceci comme le retour moralisé ou moralisateur à l’égalité ontologique naturelle
originaire.
Au risque de choquer certains, j’avancerai que Rousseau a
bien été le grand théoricien du contrat politique que d’aucuns connaissent,
mais d’un contrat politique idéal dans le style de ce que Nietzsche appelait
l’idéalisme de rêve, d’un contrat qui légitimait théoriquement la fondation de
la bourgeoisie en tant que classe universelle, celle où l’enracinement et la
langue son secondaires par rapport au corps politique et à la loi sensée
défendre la propriété privée. C’est cela que prouvèrent ses thuriféraires de la
révolution française, lesquels s’empressèrent d’interdirent tout regroupement
ouvrier mettant en danger cette même propriété dont aujourd’hui le déploiement
planétaire en confirme la vérité en sa totalité.
Quant à sa version des sauvages, nécessaire à justifier
l’égalité ontologique et originaire retrouvées pour garantir le contrat social,
elle a nourri les illusions de toute une cohorte d’anthropologues humanistes et
socialisants qui faisaient d’un sauvage tout aussi imaginaire que les hommes
sociaux du contrat, l’alternative heureuse aux malheurs de la civilisation
moderne. Ces anthropologues ont pour nom Mauss, Lévi-Strauss, Clastres,
Marshall Shalins[30]
et d’autres moins célèbres…[31] Chacun portant à sa
manière les traumatismes des grandes catastrophes humaines du XXe siècle, Mauss
la boucherie de la Première Guerre mondiale, Lévi-Strauss celle la seconde et
le génocide des juifs, Clastres les crimes de la guerre d’Algérie, Marshall
Shallins ceux la guerre américaine au Vietnam[32], il leur a semblé qu’avec
leur petit nombre, leurs armes primitives, leur mode de délibération, l’absence
de sens de la propriété individuelle, la vie matérielle réglée par des besoins très
réduits par rapport à notre confort, les sauvages représentaient un havre de paix
relative que les mœurs criminelles des colonisateurs blancs avaient bouleversé
au point de les entrainer vers la violence guerrière. Ceci n’est certes point
faux, mais n’a rien affaire avec le postulat d’un prétendu pacifisme des
sauvages antérieur à la colonisation. Et si guerres il y avait guerres chez les
sauvages, aussi violentes fussent-elles,
elles n’eussent eu, « théoriquement », rien de comparable à nos
modernes boucheries humaines. Ces anthropologues avaient oublié, comme Rousseau
et les penseurs de l’Aufklärung avant
eux, qu’il n’y a pas de contrat pacifique qui fonde un peuple – fût-ce dans les
socialisations archaïques –, sans que cependant ce peuple se soit
auparavant constitué en tant que communauté linguistico-organique et se soit imposé
sur un territoire avec un acte quelconque de violence initial. En effet, pour
vivre et survivre ce peuple doit impérativement en imposer à lui-même et aux
autres par la violence interne et/ou externe, engendrant ainsi par le forceps
de la violence extrême, la guerre, la décision toujours politique d’être ce
qu’il est comme il l’est et non autrement : chez les sauvages dans une socialisation
parentale et totémique ou chez les moins sauvages dans un nouveau contrat. Il
est vrai que sur ce point cardinal de la politique et du droit, j’appartiens à ceux qui pensent que la
loi et le droit ne s’établissent comme tel qu’après la victoire militaire
interne ou externe, c’est-à-dire après la victoire du plus fort. De fait, et en
dernière instance, le contrat de Rousseau dissimule le fait que c’est toujours la
loi du plus fort qui impose le contrat, et donc le droit par le fait accompli,
même si, comme l’affirme Rousseau, en
droit, la raison du plus fort n’est pas la meilleure[33]. Mais ne serait-il
là que du wishful thinking ? Parce
que la réalité politique, la seule qui intéresse l’analyste, est toujours toute
autre. Ou, si l’on préfère, en termes machiavéliens : celui qui confronté
à la fortuna (Moïra)
ou appelé à elle, sait la capter à son profit, saisir dans les
événements et les comportements des hommes le moment opportun (Kairos) pour imposer sa volonté,
autrement dit sa virtú, c’est-à-dire,
simultanément son courage et son intelligence politiques, c’est lui et lui seul
qui fondera le contrat. Ainsi se crée un État légitimé par une loi organique quelle
qu’elle soit, aussi bien celle de la monarchie absolue après la monarchie féodale que celle de la République après la
Monarchie absolue, qui, au bout du compte, fondera un peuple-nation politique à
un moment historique donné avec le droit positif de l’État de ce peuple-nation :
dans la modernité ce fondement possède un nom, charte ou constitution. Or, cette
légitimation est bien le résultat de ce que Carl Schmitt perçu dans
l’hostilité, la possibilité du politique[34] et donc du contrat, mais
aussi celle du souverain, interprétée selon deux concepts : décision et
exception souveraines, autrement dit, le droit d’exception comme marque suprême
de la souveraineté transcendante.
Au-delà de ce constat, il n’est que le rêve offert par l’idéalisme
transcendantal d’un monde pacifié et pacifique comme l’osa imaginer Kant dans
l’un des textes les plus cocasses de la philosophie politique, celui qui a pour
titre : Projet pour une paix perpétuelle…
Claude Karnoouh
Bucarest novembre 2012
* Il s’agit des Amérindiens du Canada… Algonquins,
Hurons, Mohicans, Iroquois…
[1]
Theorie des kommunikativen Handelns
et Moralbewusstsein und Kommunikatives
Handeln.
[2]
Et comment pourrais-je l’être saint ? Eduqué comme Rousseau dans la
Réforme calviniste je ne connais de saints que les évangélistes et Paul de
Tarse : les initiateurs, l’innovateurs…
[3]
Il faut souligner combien était moderne Pufendorf face de Rousseau sur ce
thème, en ce qu’il souligne que l’« égalité n’est pas une loi de la
nature, la nature n’a rien fait d’égal, seulement la souveraine subordination
et dépendance » cité par Victor Goldschmidt, Anthropologie et Politique.
Les principes du système de Rousseau, Vrin, Paris, 1974. Aussi c’est la
subordination qui engendre une égalité de droit.
[4]
Goldschmidt, op.cit., pp. 227-228.
* C’est moi qui souligne.
[5]
Ibid., p. 228.
[6] Le
contrôle chimique des naissances est une possibilité technique de l’extrême
modernité que je n’envisage pas dans ce texte.
[7]
Goldschmidt, op. cit., p. 233.
[8]
Le Discours sur l’origine et les
fondements de l’Inégalité paraît en 1755, et Du Contrat social, 1762, et Rousseau meurt en 1778.
[9]
Abbé Raynal, op. cit., paraît en
1772. Voir aussi dans cet esprit rousseauiste, Pierre Poivre, Voyages d'un philosophe ou observations sur
les mœurs et les arts des peuples de l’Asie, de l’Afrique & de l’Amérique,
1769.
[10]
C’est moi qui souligne.
[11]
Abbé Raynal, op. cit., p. 322.
* Précisé par moi.
[12]
Rousseau, L’Origine de l’inégalité…,
p. 144.
[13]
Publié en 1542, à coup sûr l’une des plus fascinantes descriptions des tribus
amérindiennes les plus primitives de Floride, du Sud, du Sud-Ouest des
États-Unis actuel et de l’Ouest du Mexique.
[14]
Cf. les publications de Jacques Cartier et
Jean-François de La Rocque de Roberval au milieu du XVIe, puis celles
Samuel Champlain durant le premier tiers du XVIIe siècle pour ce qui concerne
la découverte et la colonisation du Canada. Pour le lecteur curieux, je
recommande le film, Black Robe, reconstitution minutieuse d’après les documents
d’époques des missions jésuites d’évangélisation vers le haut Saint Laurent, au
milieu du XVIIe siècle.
[15]
Lawrence Keeley, War Before Civilization,
Oxford University Press, 1996.
[16]
Ibid., p. 71.
[17]
Ibid., p. 71
[18] Sur la
socialisation de Homo Erectus, cf., Paul Salanville, « Berceau de l’homme
au Proche-Orient », in chap. 38, « L’archéologie
palestinienne », Le Monde de la
Bible, textes présentés par André Lemaire, Gallimard, col. Folio histoire,
p. 377. « Ainsi le fossé du Jourdain serait une des premières régions
colonisées, en Asie, par l’Homo erectus,
venu d’Afrique Orientale. »
[19] Rousseau,
Discours sur l’inégalité…, p. 160.
[20] Homo hominis lupu est chez Hobbes le
rappel de la formule de Plaute, Asinaria,
II, 4, 86, vers 495, dans la traduction d’Alfred Ernout, Paris, 2001, p. 113.
Comme le signale Jacques Derrida, dans La
Bête et le Souverain, Vol. I, (séminaire 2001-2002), Paris, 2008, le thème
de l’homme loup pour l’homme est thématisé par Rabelais, Montaigne, Bacon,
Hobbes, Grotius, etc.…
[21]
Johan Gottfried Herder, Abhandlung über
den Ursprung der Sprache, Berlin, 1772. « Der Mann ist nicht der einsame Mann Wald Rousseau: er hat eine Sprache.
Er ist nicht der Wolf Hobbes: er hat eine Sprachfamilie.» Il s’agissait de
répondre à la question posée par l’académie de Berlin :
« En supposant les hommes abandonnés à leur
facultés naturelles, sont-ils en état d'inventer le langage? Et par quels
moyens parviendront-ils à cette invention? On demande une hypothèse qui
explique la chose clairement et qui satisfasse à toutes les difficultés. »
[22]
Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social,
édit Garnier-Flammarion, p. 42.
[23] Louis Antoine de Bougainville, Voyage
autour du monde par la frégate du Roi La Boudeuse et la flute l'Etoile en 1766,
1767, 1768, et 1769, Paris, vol. I, 1771, vol. 2, 1772.
[24]
Cf. Cicéron, La République,
« Par peuple, il faut entendre, non tout un assemblage d'hommes groupés en
un troupeau d'une manière quelconque, mais un groupe nombreux d'hommes associés
les uns aux autres par leur adhésion à une même loi et par une certaine
communauté d'intérêt"
[25]
Hannah Arendt avait perçu cette modernité politique des Romains dans ces
réflexions sur le changement du politique remarqué dans le « tout est
possible » du totalitarisme et du déploiement de la technique.
[26]
Rousseau, Du contrat social, op.
cit., chap. VI, « Du pacte social », p. 50.
* C’est moi qui souligne.
[27]
Rousseau, ibid., p. 51.
[28]
Karl August Wittfogel, Oriental
Despotism: A Comparative Study of Total Power, New Haven, Connecticut, Yale
University Press.
[29]
André Tosel, « La fondation de la catégorie juridique chez Kant », in
Démocratie et libéralisme, Edit.
Kimé, Paris, 1995, pp. 91-119, cf. p. 119.
[30]
Marshall Shallins, Stone Age Economics,
Aldine, 1972. Cf., le premier chapitre, « The Original Affluent
Society ».
[31]
Lire les critiques de Remo Guidieri in L’Abondance
des pauvres, édit. du Seuil, Paris, 1984, cf., le chapitre intitulé
« Essai sur le prêt » ; lire encore du même auteur, Après Bougainville, Carnet-Livres, Le
Puy-en-Velay, 2010.
[32] Il faut
rendre hommage à Marshall Shallins qui se rendit au Vietnam pendant la guerre
américaine pour y témoigner sa solidarité avec les Vietnamiens napalmisés et
empoisonnés par la Yellow Rain, le
défoliant massivement utiliser contre le Vietminh (et qui produit aujourd’hui
encore des ravages génétiques)… De retour au États-Unis il fut emprisonné un
temps et son passeport confisqué pendant deux ans.
[33] Voir le
commentaire appréciatif de Rousseau qu’en donne Derrida en quête sémantique du
mot « raison », in Séminaire…,
op.cit., p. 34.
[34] Ce qui
veut aussi dire qu’il y a du politique même non-thématisé dans la nature
belliqueuse de toutes les sociétés humaines y compris les plus primitives
telles qu’elles sont décrites par les premiers voyageurs, explorateurs et
missionnaires.