mercredi 27 février 2019

Les gilets jaunes ou le renouveau de l’histoire inscrit dans une tradition

Les gilets jaunes ou le renouveau de l’histoire inscrit dans une tradition


En ce début de l’an de grâce 2019 il semble qu’un flot d’interprétations du mouvement des gilets jaunes soient publiées ici et là, à droite, au centre, à gauche, à l’extrême gauche. On a lu aussi bien sûr les choix contrastés des divers acteurs économiques et politiques de la société française, que sur les déclarations d’intellectuels publics dont une minorité approuve, tandis qu’une majorité désapprouve selon des arguties plus captieuses et spécieuses les unes que les autres, mais, faut-il le souligner toujours enveloppées d’une rhétorique conceptuelle plus méprisante ou pis d’insultes contre ces gueux, les « sans dents » de François Hollande, « gurele strâmbe » de Liiceanu. Enfin les partis politiques ont eux-aussi tenté soit de s’y opposer soit de s’y raccrocher au nom de la bonne ou mauvaise gouvernance. Bref, il semblerait que tout ait été dit. Fermer le banc et attendons le verdict de l’histoire !
Cependant ce mouvement soulève une interrogation bien plus générale que ne le montre sa dynamique locale. D’abord il convient d’avancer une remarque préliminaire et rappeler ô combien d’intellectuels surdiplômés peuvent parfois être de fieffés imbéciles lorsque l’idéologie les aveugles. Toutes les époques ont connu ces figures au verbe péremptoire, devins désertés de la subtilité énigmatique de la Pythie qui annoncent en à leur manière non-poétique la fin des temps. Notre devin moderne au très grand succès mondial a pour nom Fukuyama, lequel, au lendemain de la chute du bloc soviétique, proclama rien moins que « la fin de l’histoire », c’est-à-dire la fin du politique remplacé par la gérance des choses figées dans leur destinalité immuable de gestion capitaliste. Je crois qu’il eût dit la fin du monde cela eût été plus plausible ou réaliste tant la Technique comme Gestell(Arraisonnement ou dispositif) – en tant que manifestation de l’ultime métaphysique du nihilisme consubstantiel à la modernité sous la forme du Der Arbeiter[1] – est en train en effet de détruire notre planète. Mais c’est là un très long moment de l’histoire de l’Être Geschichteavec ses manifestations de l’être-là en sa présence Historichte.[2]Plus encore, comment peut-on avancer une telle affirmation sans douter un seul instant de cette énormité quand la philosophie grecque depuis Aristote, mais aussi Platon avait souligné la nature ou l’essence éminemment politique de l’homme dans la cité, c’est-à-dire en société. Ainsi l’homme réel et non l’individu idéal et théorique des métaphysiciens eût changé au point que son essence de zoon politicons’en fut atrophié comme un gène devenu inutile dans le cours de l’évolution pour être remplacé par un zoon oekonomicon ? Faut-il voir là les ravages des sciences de la nature (l’application du darwinisme aux phénomènes sociaux) sur ce que Dilthey nommait les sciences de l’esprit, ou plus trivialement les affirmations d’un idéologue pour qui la chute du régime communiste accomplissait pleinement ses rêves secrets sans qu’il entrevît déjà toutes les contradictions qu’entraînait à l’échelle globale cet événement inédit, inouï, la fin d’un empire scellée par une implosion due à ses élites politiques. Or l’inédit et l’inouï ne sont pas la fin de l’histoire générale, ni même celle d’une histoire particulière inscrite dans l’histoire du monde, ils en sont au contraire l’étincelle initiale, les prémices, l’éclair d’un jaillissement annonçant un a-venir sans que l’on sache de quoi il sera fait : « l’avenir n’appartient à personne avait déclaré le général de Gaulle lors d’une conférence presse au mois de janvier 1968 ! ». L’avenir proche le lui prouva ! Pour Fukuyama aussi le démentit ne traina pas, au point que ce brave homme dut, comme un chien penaud la queue basse entre les jambes, réviser drastiquement son jugement : l’histoire ne s’était pas achevée avec la chute du régime communiste écrivait-il en substance quelque dix ans plus tard après les guerres des Balkans et dans l’ex-URSS. Mais cela ne peut excuser son énorme bévue au succès planétaire. Comme quoi le succès initial d’une idée, eût-il été planétaire, n’est jamais garant de la pensée juste, tout-au-plus met-il en scène la pensée du moment idéologiquement à la mode, aujourd’hui on dit « politiquement correct » ! Ainsi l’histoire continua, et comment : démembrement partiel de l’ex-URSS, démembrement total de la Yougoslavie, remodelage partiel et raté au Moyen-Orient avec ses centaines de milliers de morts, retour majeur de la Russie sur la scène géopolitique grâce à son intervention militaire en Syrie et au renouvellement de ses armements, crise de l’économie américaine et donc mondiale, crise migratoire présentement généralisée et… last but not leastl’inexorable montée en puissance de la Chine devenue la seconde économie mondiale et bientôt une force militaire de premier plan. De tout cela l’Union européenne semble exclue, limitée à des gesticulations et des coups de menton sous la houlette d’un conseil européen préoccupé au premier chef de coupes budgétaires dans les programmes sociaux des États, de règlementations tatillonnes pires que celles de l’ancienne URSS, et parfois sommée par l’OTAN de fournir des supplétifs aux armées étasuniennes en campagnes néocoloniales. Bref, une Europe inexistante dans le grand jeu géopolitique. Cependant ici et là des bouillonnements montraient que sous un calme agité de quelques manifestations dûment encadrées par des syndicats prêts à toutes les concessions afin que leur direction conserve pouvoir et revenus, des forces refusaient le carcan politique et économique qui avaient été tracé pour toujours, où l’essentiel de l’indépendance démocratique échappait aux citoyens par une perte presque totale de souveraineté telle qu’elle est conçue par les traités européens, lesquels présupposent qu’il existerait déjà un peuple unique européen auquel on peut appliquer des lois décidées par les deux pôles de la réelle puissance de l’UE, l’Allemagne et la France (la Grande Bretagne est instance de départ, Brexit oblige !). Or le peuple européen est une chimère de bureaucrates, de businessmen et d’intellectuels qui passent d’un aéroport à l’autre répéter la même antienne, à servir la même messe. De fait, partout un vent de révolte défini péjorativement comme « populiste » par une majorité des élites commença lentement à s’élever contre les politiciens majoritaires de droite et de gauche, mais aussi contre les administrateurs des États et de l’UE (la haute fonction publique non-élue), les structures financières et bancaires, la presse et nombre d’intellectuels qui servilement les soutiennent. Ce vent de révolte est parfois sanctionné par un vote comme en Hongrie avec, malgré de fortes manifestations à Budapest, le succès toujours présent d’Orbán auprès de la jeunesse, en Italie avec l’émergence d’un parti inédit (cinque stele), en Allemagne avec l’arrivée sur la scène politique de l’Afp (droite nationale) et d’un courant critique chez Die Linkequi conteste la politique migratoire de Madame Merkel. Toutefois, le plus révélateur me semble exprimé par la crise de légitimité de l’État français en la personne de son chef, Monsieur Macron, qui semble commencer à ployer sous les coups de l’inédit mouvement des gilets jaunes sans véritable équivalent en Europe. Ainsi, sous l’apathie apparente des syndicalistes français se préparait un véritable soulèvement qui surpris en premier lieu le Président de la république, son gouvernement et l’ensemble du personnel politique depuis les Insoumis de Mélenchon à la droite conservatrice de Marine Le Pen. En effet, quelque chose de tout-à-fait nouveau apparu au mois de novembre sur la scène politique française.
Si l’on regarde de près le mouvement sans a prioripolitiques et les clichés habituels du prêt-à-penser qu’apprécient tant journalistes et politiciens, ce mouvement recèle des traits jamais vu depuis la Première révolution française, une diversité de groupes socio-professionnels et une diversité de catégories sociales qui rassemblent aussi bien le chauffeur routier que la secrétaire ou l’étudiant, le petit commerçant de quartier que la mère de famille sans emploi, l’institutrice que l’ouvrier au travail ou au chômage, et partout des retraités. Plus surprenant encore la présence massive de la France périphérique, celle des campagnes, des bourgs, des petites villes et des banlieues semi-rurales des grandes villes de province, une France qui traditionnellement était vue comme moins révolutionnaire que les habitants de la capitale. Puis aux côtés des premiers gilets jaunes on trouva très vite la base des syndicalistes révoltés contre les directions confédérales de FO, SUD et la CGT. En bref tout un monde qui dans les classifications sociologiques habituelles apparaît surtout comme les petites classes moyennes, lower middle class, dût-on y rencontrer comme toujours aujourd’hui la lumpen intelligentsia. Autant de gens que la mondialisation économique et culturelle ont marginalisé et précarisé, et qui subjectivement se sentent délaissés par l’État, les médias et les cultureux du main stream, tandis que simultanément ils perçoivent dans leur expérience existentielle quotidienne la croissance exponentielle de la paupérisation. En bref, ce qu’il faudrait désigner d’un terme aujourd’hui désuet, le peuple dans sa diversité et sa multiplicité. C’est pourquoi le mouvement des gilets jaunes ne ressemble à aucun des modèles fantasmatiques que les révoltes françaises de la seconde moitié du XXe siècle s’étaient données. Les gilets jaunes ne sont ni la Commune de Paris, ni la guerre d’Espagne, ni 1936 et le Front populaire, ni la Révolution bolchevique, ni 1848 ni 1830, et encore moins 1968. Par le retour d’un sentiment national longtemps combattu par toutes les instances politiques et culturelles françaises puis européennes depuis un demi-siècle, comme le retour du refoulé le modèle de ce mouvement fait référence, mutatis mutandis, au tout début de la première révolution française, à 1788-89 avec les cahiers de doléances de l’ensemble de ma nation et l’exigence d’une assemblée commune rassemblant tous les États, la noblesse, le clergé et le Tiers. Ainsi refusant la séparation des États telle qu’elle était ordonnée par le Roi lors des États-Généraux de mai-juin 1789, le Tiers-État rejoint par des nobles libéraux et une partie du clergé décida, par le Serment du jeu de Paume du 25 juin 1789, imposa le vote par tête et non plus par ordre dans le cadre d’une assemblée constituante. La première révolution légale était consommée, la monarchie absolue de droit divin était abolie remplacée par une monarchie constitutionnelle. Or ce qui y ressemble aujourd’hui c’est la mise entre parenthèses des partis et des syndicats à la fois historiques et nouveaux comme LREM de Macron, autant de manifestations de l’Ancien régime, pour la promotion d’une exigence comme équivalent postmoderne du suffrage par tête (universel), le Référendum d’initiative citoyenne (RIC) qui permet justement de passer outre les combinaisons politiciennes de l’Assemblée nationale et du Sénat et d’établir une démocratie directe à laquelle une majorité de politiciens (sauf la France Insoumise), d’intellectuels et d’universitaires en renom médiatique se sont violemment opposés prétextant des dérives totalitaires, racistes, antisémites ou homophobes possibles ! Ce qui choque ce monde de la bien-pensance politique où chacun est assuré d’une sinécure bien rémunérée, c’est l’émergence d’un corps social en fusion qui dépasserait les clivages politiques traditionnels avec lesquels joue une démocratie représentative vidée depuis longtemps de son contenu véritable politique, une coquille vide où la gestion des vraies affaires de l’État est de facto(et non de jureafin d’en garder les apparences) confisquée par une technocratie et une kleptocratie bancaire non-élue issue de la grande école d’administration l’ENA, pour laquelle le social se réduit à la gestion économique d’une « start-up » comme l’a proclamé un jour le président Macron.[3]Or de longue date nous savons qu’une société même dans le système capitaliste avancé ne se peut réduire au marché et aux jeux spéculatifs des sphères économiques, à la fantasmatique main invisible. Ou, à l’inverse, le marché ne crée pas une société, le marché crée des marchés. En effet, une société ne peut être réduite à un marché, aux recouvrement des impôts et des taxes diverses, en bref, une société n’est pas une entreprise commerciale ni une machinerie productive. Il est vrai qu’en apparence le mouvement des gilets jaunes a explosé après l’annonce faite par le gouvernement d’une nouvelle taxe sur le diesel, dite « taxe carbone » qui touchait les gens les plus modestes, ceux possédant souvent des voitures diesel plus anciennes et plus solides. Mais ce ne fut là que la toute petite goutte d’eau qui fit déborder le vase. On sentait frémir la révolte depuis longtemps, depuis le quinquennat de François Hollande lorsqu’il décida (avec Macron au ministère des finances) une profonde modification du code du travail (dite loi El-Khomri) qui entraîna d’imposantes manifestations syndicales, très dures, fortement réprimées, mais sans lendemain, à l’époque l’Assemblée nationale majoritairement au main du PS et des LR associés, vota ces modifications régressives, applaudies bruyamment par le patronat. Or cette loi touchait tous les salariés, aussi bien les ouvriers, que les cols blancs, les petits cadres que les ingénieurs. A cela il faut ajouter les augmentations de diverses taxes qui appauvrissent les artisans et le tout petit patronat, des entreprises de cinq ou dix ouvriers et employés. En bref, une collection de citoyens qui dans leur diversité socio-professionnelle représentent assez fidèlement le peuple en ses multiples opinions, puisque l’on trouve parmi les gilets jaunes aussi bien des hommes et des femmes qui ont voté LREM que la France insoumise, le RN de Marine Le Pen, le PS, les communistes PCF, aussi bien des membres des syndicats FO, SUD et CGT, que ceux du syndicat anarchiste la CNT, voire des cadres. En ce sens et n’en déplaise à Jean-Luc Nancy[4]les gilets jaunes donnent le sens très concret de peuple souverain à la notion de populisme employée par ailleurs avec un mépris de classe avilissant et infâmant par les élites politiques, médiatiques, et une majorité d’intellectuels. Dans ce cas on mesure combien ces élites cherchent, par la stigmatisation du populisme, à maintenir le statu quopolitique et social historiquement classique de droite/gauche parce qu’il arrange tout le monde, tout en maintenant le spectacle de la pseudo-démocratie. Ainsi les privilégiés du système peuvent se présenter sans effort comme des parangons de justice et d’équité, par exemple en prônant l’arrivée massive d’émigrés dont précisément le peuple des gilets jaunes supporte les conséquences économiques et sociales les plus dures, ou en prônant des mesures écologiques qui pèsent en premier lieu sur les personnes les plus économiquement faibles.
Révolte populiste certes, au sens le plus respectable en ce que le peuple demande en premier lieu à être respecté et non traité comme un moins que rien. Mais peut-être plus encore, il est là une révolte profondément politique en ce qu’il ne s’agit plus de contester une gestion plus ou moins maladroite du pouvoir. Le programme des gilets jaunes est inscrit dans une charte dont les buts sont formulés dans le cadre d’une critique radicale de la conception politique globale du pouvoir en place depuis trente ans. En d’autres mots, les gilets jaunes en contestent les choix essentiels. Que ce soit l’annulation de la dette dont d’aucuns savent qu’elle a été remboursée déjà plusieurs fois ; que ce soit l’instauration d’États généraux sur la fiscalité, la mise en place d’une assemblée constituante (retour à 1789) pour une VIe république, le Frexit, le retrait de l’OTAN ou l’arrêt de la politique néocoloniale française en Afrique et ses effets néfastes sur la ruine des peuples du continent noir et, en conséquence, sur l’émigration massive qu’elle engendre. La charte des gilets jaune va très au-delà d’une simple révolte contre l’augmentation du carburant diesel, elle vise rien moins que la politique mondiale. Dans ce programme aucune référence à la politique de la droite, voire de l’extrême droite. C’est un programme que n’eût pas renié le PCF des années 1960. Aussi est-ce pour la première fois en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’une très large fraction d’un peuple agit de manière éminemment politique, sans leader, hors des cadres des partis et des syndicats de gauche.
Il demeure cependant une question essentielle : quelles seraient les conditions pour qu’une partie de ce changement advienne puisque la Constitution française protège le Président et la chambre des députés jusqu’à la fin de la législature ? En d’autres mots, nous en sommes arrivés à un point de la crise où certes le Président est légal, mais après deux mois de manifestions de plus en plus violentes et une répression de plus en plus impitoyable (avec morts et blessés très graves), le pouvoir n’offre au peuple des gilets jaunes et des syndicats que des broutilles, des miettes, sans jamais proposer de véritables négociations au moins sur une partie des bases proposées par les manifestants ! Dans son discours des vœux 2019 le président Macron affirme qu’il a entendu la colère populaire, mais simultanément il prévient qu’il ne changera pas de cap. Traduit en langage simple cela veut dire : cause toujours mon bonhomme cela n’a aucune importance ! Aussi que reste-t-il au peuple pour imposer autant que faire se peut ses intérêts si ce n’est en usant de la violence[5], seule pratique à même de contraindre le pouvoir à céder pour commencer une véritable négociation, car ne l’oublions point, le refus systématique du pouvoir est aussi la manifestation d’une très grande violence ! Autant de preuves, s’il en fallait une fois encore, pour montrer que la politique en son essence s’articule sur des rapports de forces, et que le droit sanctionne un équilibre momentané et partiel entre des forces s’affrontant en permanence. Tant et si bien que lorsqu’il s’agit d’intérêts fondamentaux, le fameux mottode la démocratie représentative dans sa version anglo-saxonne, check and balances[6]ne fonctionne point, c’est l’idéologie des possédants que nourrit la rhétorique des séminaires universitaires et des discours lénifiants et trompeurs des politiciens ; à coup sûr ce motto ne traduit en rien la réalité des enjeux et des combats que se livrent possédants et exploités. Aussi est-ce toujours l’imposition des lois par le plus puissant qui légifère.
J’ai rappelé que les référents de ce mouvement à la fois social et politique n’était autre que la Première révolution française, celle d’abord de la monarchie constitutionnelle, puis de la Première république. Plusieurs indices le suggèrent tels la notion d’États-généraux, celle de cahiers de doléances, celle d’une assemblée constituante, mais encore des énoncés plus métaphoriques comme ceux qui conçoivent Macron comme une synthèse entre Louis XVI et Marie-Antoinette et assimilent Mélenchon à Mirabeau, celui qui imposa la rupture du Jeu de Paume (une révolution constitutionnelle, le vote par tête et non plus par ordre) et la Déclaration des droits de l’homme (qui serait aujourd’hui la VIe république que Mélenchon appelle de ses vœux). En l’état actuel des rapports de forces personne ne peut prédire la figure que prendra la révolte des gilets jaunes, s’éteindra-t-elle par lassitude et surtout par la peur justifiée à la vue des manifestants gravement blessés par des forces de l’ordre auxquelles le pouvoir politique a donné toute licence de tirer avec des armes quasi létales comme les nouvelles balles en caoutchouc dites « flash balls » ou les grenades de désencerclement au TNT.[7]Ou bien cette criminalité étatique rendra les gens plus vindicatifs, plus agressifs encore, déchaînant des cycles de violences bien plus forts ?
Cependant une chose me paraît bien établie, ce sont les erreurs d’appréciation de nombre de penseurs critiques. Nous avions cru le pays endormi, pis lobotomisé par un enseignement déliquescent servi par des enseignants majoritairement serviles et des médias aux ordres ! Fi donc de cette analyse ; nous nous trompâmes par un manque évident de perspicacité. Quelque chose bouillonnait sous les échecs répétés des actions syndicales et l’apathie qui s’en suivait. Au moment où j’écris l’histoire, dans un sens ou dans un autre, a repris sa marche infinie. Si l’avenir n’appartient à personne, il n’empêche il nous faut déchiffrer à nouveaux frais les arcanes de ce mouvement inédit sans nourrir des espoirs illusoires ni de fausses craintes d’autant plus pusillanimes qu’elles traduisent toujours des réflexes de classe. Voilà, une fois encore le mouvement social obligeant les penseurs critiques à une vigilance accrue…
De ce manque de perspicacité général on peut tirer trois conclusions. Il nous faut d’abord rejeter une majorité de soi-disant marxistes qui, depuis leur confort douillet d’universitaires ou leur arrogance de bonimenteurs de bistrots intellectuels, passent leur temps à répéter des commentaires marxistes déjà connus et digérés de longue date. Ils ressassent ces sempiternelles antiennes, à savoir que les grands mouvements politiques n’adviennent qu’une fois réunies les conditions objectives de l’exploitation. Or les conditions objectives de l’exploitation des hommes ainsi que la violence d’État sont toujours présentes, toujours réunies, en revanche ce sont très souvent les conditions subjectives qui sont absentes, et elles seules sont à même de mettre les hommes en mouvement pour le meilleur ou pour le pire. On pourrait dire contre Marx qu’en dernière instance ce sont les superstructures en tant que conscience de l’insupportabilité de l’infrastructure qui déterminent l’energeiade la révolte des masses. En d’autres mots, ce serait bien l’idéologie qui mettrait les hommes en mouvement. Le nouvel exemple fournit par les gilets j’aunes l’illustre parfaitement. En vérité ces superstructures furent radicalement conscientisées au mois de novembre 2018 en France… comme en Belgique… et elles le sont toujours semble-t-il ! Puis, il faudrait en finir avec les accusations d’impureté du mouvement lancées par tant d’intellectuels et de journalistes stipendiés ou apeurés qui se réfugient derrière la théorie ou la calomnie pour promouvoir l’immobilité. Ce n’est pas le bon moment répètent-ils à qui veut l’entendre. Qu’ils relisent une célèbre lettre de Lénine de 1916 où il écrivait :

« Quiconque attend une révolution sociale ’pure’ ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une révolution[…]La révolution (...) ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoise et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement : sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible. Et tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité d’unelutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienterconquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes) et réaliser d’autres mesures […].

Je ne vois rien à ajouter à de diagnostique d’un fort réalisme.

Enfin, et comme l’une de ces cruelles ironies que l’histoire parfois nous offre, soyons sûr qu’au bout du compte les gilets jaunes, qui sont loin d’être des universitaires hyper-diplômés, ont administré un nouveau démenti aux pompeuses vérités « intangibles » assénées il y a bientôt trente ans par Monsieur Fukuyama sur la fin de l’histoire en réactualisant certains souvenirs de la première révolution populaire et bourgeoise mondiale, celle de 1789.
Claude Karnoouh
Paris le 7 janvier 2019, jour de Noël dans le calendrier Julien.


[1]Il d’agit de la figure de la modernité dégagée par Ernst Jünger dans son ouvrage, Der Arbeiter, traduit de manière restrictive en français Le Travailleur, mais pour l’auteur, le terme à un sens beaucoup plus large. Ce travailleur peut être aussi bien l’ouvrier que l’ingénieur ou le simple soldat que le général. C’est la figure prométhéenne de la modernité.
[2]Geschichte, chez Heidegger l’histoire de l’être opposé à Historichte, l’histoire racontée comme suite d’événements, on trouve chez Aristote une opposition parallèle entre Poiésis, les rapports de logicité intelligible entre événements et Istoria, la chronique événementielle de la vie des hommes.
[3]Emmanuel Macron ne vient-il pas de la gestion financière d’une banque !
[4]Jean-Luc Nancy, https://www.liberation.fr/debats/2018/11/04/populisme-et-democratie-par-jean-luc-nancy_1689861
Où il écrit que ni l’identité du peuple ni la démocratie n’ont existé : « Mais l’erreur est de croire qu’il est celui d’une démocratie qui aurait existé. » Il fut des moments où la démocratie exista, certes brefs, mais réels. Quant à l’identité si comme le dit Nancy elle est de raison et non un donné immédiat, il se trompe au moins sur un point, celui de la langue inscrite dans un espace, y compris dans les pays où plusieurs langues sont parlées. Toute identité d’un peuple passe en premier lieu par la langue et ses variations dialectales ainsi que par l’énonciation de la foi à laquelle la langue donne sens. C’est ce qu’avaient compris et Luther et Calvin, et bien plus tard Vatican II.

[5]Rappelons pour mémoire que le droit à l’insurrection était inscrit dans la constitution de la Première république (1792-1804).
[6]Selon l’encyclopédie Britannica, https://www.britannica.com/topic/checks-and-balances:Checks and balances, principle of government under which separate branches are empowered to prevent actions by other branches and are induced to share power.

[7]Nous sommes ici devant une problématique classique de la philosophie politique, à savoir l’opposition entre légalité et légitimité. Si comme l’a réaffirmé le syndicat de police « Police-solidarité » les policiers ne peuvent être tenus individuellement pour responsables de leurs actes car ils obéissent aux ordres du ministre de l’intérieur, des préfets et des commissaires de police, alors il eût fallu absoudre Eichmann de sa responsabilité puisqu’il réaffirma sans cesse qu’il n’avait fait qu’appliquer les lois du Reich sous le commandement d’Himmler et d’Hitler. Il en va de même pour les officiers et soldats français qui torturèrent les Algériens entre 1954 et 1962 ou des soldats et officiers étasuniens les Vietnamiens entre 1958 et 1972 ! A travers la tragédie d’Antigone nous avions appris des Grecs qu’il y a des lois morales supérieures à celles de l’État. Il semble donc que les doctes et les semi-doctes se moquent de nous lorsque sans cesse ils mettent en avant la culture et les leçons de morales qu’elle porterait. Aux résultats que nous constatons au fil du temps, il semble qu’il n’est là que spectacle, décors d’opérette, autant de friandises intellectuelles pour conférences universitaires. Car, dès lors qu’il s’agit des événements propres à la politique réelle et non à des fantasmes purement imaginaires, et la violence générique de toute société où l’exploitation économique est la règle, les belles leçons de morales sont oubliées pour des odes où dégouline une moraline sentimentaliste insipide.

73 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  6. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  7. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  8. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  9. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  10. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  11. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  12. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  13. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  14. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  15. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  16. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  17. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  18. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  19. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  20. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  21. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  22. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  23. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  24. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  25. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  26. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  27. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  28. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  29. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  30. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  31. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  32. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  33. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  34. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  35. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  36. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  37. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  38. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  39. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  40. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  41. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  42. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  43. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  44. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  45. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  46. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  47. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  48. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  49. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  50. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  51. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  52. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  53. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  54. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  55. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  56. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  57. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  58. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  59. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  60. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  61. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  62. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  63. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  64. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  65. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  66. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  67. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  68. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  69. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  70. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  71. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  72. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  73. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer