samedi 14 janvier 2012

Heidegger penseur de la politique ou l’histoire comme Ereignis

Heidegger penseur de la politique ou l’histoire comme Ereignis

L’engagement de Heidegger dans la politique a fait l’objet de gloses et de commentaires nombreux, pour l’essentiel rédigés par de médiocres et besogneux plumitifs[1], auxquels ont répondu, avec les mises au point nécessaires, quelques-uns parmi les bons esprits de ce siècle.[2] En fin de compte, pour résumer cette « grosse bêtise » comme l’a dit Heidegger de lui-même dans l’entretien publié, selon ses vœux, post mortem dans le Spiegel[3], on peut choisir ce qu’en a dit plus tardivement Sloterdijk dans une conférence donnée à Paris, au centre Pompidou, au mois de mars 2000 sous le titre Die Domestikation des Seins. Für eine Verdeutlichtung der Lichtung[4] : une « illusion d’optique » qui lui a fait accroire[5] la « révolution nationale et socialiste » comme retour vers le « spécifique » (l’enracinement) et le « véritable » (l’authentique)[6], vers le Heimat spirituel enfin retrouvé ou plutôt reconquis après des siècles d’errance métaphysique, puis techno-scientifique. Sa démission après le bref épisode du Rectorat (huit mois), et la republication en France du texte programmatique de son entrée en fonction[7], aurait dû mettre un point final à cette polémique, si l’enjeu n’avait pas été et n’est toujours pas, sous prétexte d’anathématiser le « fautif » Heidegger, d’écarter tout développement portant une réflexion critique sur le destin propre au Dasein de l’Occident. Quelques uns passent outre les oukases des commissaires à la conformité du prêt-à-penser, et s’essaient encore à poursuivre ce travail de la pensée comme l’a si parfaitement démontré Gérard Granel dans un texte magistral… « Les années trente sont devant nous… ».[8]
Ce n’est donc pas de ces épisodes dont je vous entretiendrai, il me semble clos, et ce d’autant plus que la récente publication des lettres échangées entre Heidegger et Hannah Arendt[9] devrait mettre un point final à cette polémique devenue à présent aussi vaine que stupide. Ce que je souhaiterais rapidement ressaisir ici, ce n’est donc pas Heidegger et la politique, mais quelques uns parmi les moments de ce qui fait politique dans la pensée et la posture du second Heidegger, chez celui qui, après la Kehre, abandonnera à jamais la rédaction de la seconde partie de Sein und Zeit, pour méditer simultanément sur la Technique comme destin de la modernité et la poétique de la langue, ou en d’autres mots, sur le dévoilement terminal de la vérité de la métaphysique et sur ce qui demeurerait l’abri premier et ultime du parler l’Être.
Si l’on regarde les définitions classiques de la politique telles qu’on peut les lire dans le Grand Robert (ou dans n’importe quel dictionnaire contemporain) on ne trouvera aucun de ces domaines thématisés comme tels, (comme chapitre par exemple), dans l’œuvre de Heidegger.[10] Rien comme par exemple, de « l’art de gouverner les hommes », n’apparaît, en revanche, une longue méditation commence sur le sens et l’essence de la technique moderne qui sera nommée Gestell, et qu’il faut entendre comme ce que le sujet, l’ego, pose devant soi pour le mettre à disposition de la volonté de savoir (expression nietzchéenne) ou d’homologation (formule de Vattimo) et du produire. Dès lors le Gestell  peut être envisagé comme déploiement du destin historial d’une époque de l’Être, celle de la métaphysique moderne, la nôtre. Dans ces textes, on trouve certes des résonances politiques directes et immédiates, mais jamais ne se manifeste l’intention de reconstruire un quelconque système politique procédant de conceptions a priori articulées autour d’une métaphysique et d’un idéal transcendant à accomplir, servant à la fois de principe et de fin. Donc point de système théorique et apodictique du politique, point d’« idéalisme de rêve » (Nietzsche) ou de wishful thinking  dont les philosophes furent et sont encore les meilleurs bonimenteurs et qui, de manière générale, n’ont fait que légitimer l’état des choses du moment. Chez Aristote c’est le naturalisme (élément de la physis) de la Polis qui justifie l’esclavage nécessaire au mode de fonctionnement « démocratique » d’une cité grecque en crise et proche de sa fin. Chez Saint Thomas, dans le De Regno[11], la divinisation du naturel, et donc de la Cité (fidélité logique à Aristote oblige), ordonne et légitime, par mimétisme, le système de la royauté féodale comme pouvoir temporel d’une part, celui de la prééminence papale comme pouvoir spirituel de l’autre. Chez Kant, comme le remarque André Tosel avec beaucoup de finesse, « la mauvaise conscience de la catégorie juridique »[12] fait qu’en dernière instance l’ordre juridique ne peut défendre que la propriété privée « comme rapport essentiel à la nature ». C’est donc cette propriété privée comme organisatrice du social et du politique en sa totalité que le juridique dissimule : « Sans la norme de droit la paradoxale naturalité de l’économique ne peut valoir comme norme »[13], ainsi « s’épuise la réserve éthique que possède le droit publique »[14] en justifiant toutes les politiques qui déploient le libéralisme économique et qui outrepassent sans cesse les limites éthiques que cette même « réserve éthique » avait elle-même tracées au politique.[15] Enfin chez Hegel, l’identification de l’Etat-nation à accomplissement de l’Esprit du monde, légitime pleinement, comme conscience d’un destin historique singulier, la volonté prussienne d’abord, allemande ensuite, d’émancipation puis de domination culturelle et politique, le Kulturkampf.
Chez Nietzsche, la critique politique et la critique du politique sont permanentes tout au long de l’œuvre et visent même la refondation de l’ordre spirituel par un socius renouvelé grâce au retour vers l’héroïsme grec. Il s’agit là, me semble-t-il, d’une version déjà postmoderne de la restauration en ce que l’antique vient s’offrir parmi les éléments d’une simultanéité multiple et multiforme du présent : ce que l’allemand désigne par Gleichzeitligkeit, ce qui simultanément vient à l’existence. Lorsque Nietzsche identifiait le moderne au magasin d’accessoires d’un théâtre, le retour qu’il nous propose de réaliser n’échappe point à cette situation ; en effet, comment restaurer des comportements, un état d’esprit, une disposition de l’âme (Stimmung) d’une époque totalement révolue sans que cette restauration se place, de facto, dans un jeux de multiples choix possibles offerts simultanément. Même animée de la volonté de puissance du surhomme, le penseur-héros, l’histoire, ou mieux, ce qui fait histoire ne ressert jamais le même plat, sinon sous forme de caricature eût écrit Marx, sinon sous forme de simulacres eût remarqué Baudrillard, sinon sous forme de marchandises intégrées au système du commerce-monde, dirais-je. À preuve, dans les jeux politiques jamais cet héroïsme nietzschéen (authentiquement recherché par l’auteur) n’a pu servir à autre chose qu’à forger les poses des imposteurs de l’héroïsme. Le seul lieu où l’héroïsme moderne put se déployer librement et puissamment (et à quel prix !) se cantonna à la vie et à l’œuvre de certains artistes, par exemple à celles de Rimbaud, de Van Gogh, d’Antonin Arthaud, d’Ezra Pound ou de Beuys.
Il y a dans l’œuvre de Nietzsche une critique, parfois énoncée avec une extrême violence, à l’encontre de ce qu’il nomme « une société d’épiciers » et qui doit diriger notre investigation. En effet, dès lors que l’on comprend la société industrielle de la fin du XIXe siècle comme « une société d’épiciers », la critique qui en ressort se doit, en premier lieu, d’envisager ce qui la fonde. Or, qu’est-ce qui peut fonder une « société d’épiciers » si ce n’est le commerce et ce qui l’engendre, la production pour la seule valeur d’échange, comme pensée-action organisatrice générale de la socialisation, des relations qui établissent la communauté et des institutions qui règlent et garantissent cet en-commun sous tous ses aspects : politique, organisation du travail, de la productivité, de la distribution, de l’enseignement, l’organisation des savoirs et des connaissances (de la recherche et de la collation des diplômes dans une université-business)[16], de l’organisation des loisirs, des arts, ce que l’on nomme aujourd’hui les activités culturelles ou, plus précisément, une Bildung, avec toute la polysémie que porte de mot. Avec Nietzsche (dont on peut penser qu’il ne lut pas Marx), on entrevoit déjà, d’une manière certes non systématique, mais déjà précise, le rôle « fétichiste » de l’infrastructure technico-économique et techno-scientifique, ou dit d’une manière plus psychanalytique, on perçoit combien l’organisation systématique de la convoitise des marchandises par la publicité travaille comme une machinerie organisant et limitant simultanément le désir (la « machine désirante » selon l’expression de Deleuze et Guattari). C’est cette machinerie dont Marx, à la suite de Ricardo, élabora la phénoménologie, mettant en évidence la nature sociale de tout travail salarié, son équivalence monétaire générale, c’est-à-dire étendue à tous les faires et les échanges humains impliquant consubstantiellement un quelconque capital et un quelconque profit, et donc à toutes les marchandises, dévoilant ainsi la nature « fétichiste » de la marchandise.[17] Le monde, ou mieux, ce qui fait monde n’est plus que la « somme des marchandises produites dans le monde » (Marx) ; ou, dans une formulation heideggerienne, le monde est devenue en sa totalité monde-marchandise comme la physis de la modernité.
Toutefois, aussi bien chez Nietzsche que chez Marx la solution ultime pour « sauver » l’homme de la déshumanisation due à la modernité, reconnue comme réduite à la seule logicité de la pensée (Nietzsche contre Hegel), ou comme aliénation ou réification due au travail salarié mis au service du seul profit (Marx contre Hegel), apparaît dans le recours messianique à un idéal qu’il conviendrait d’accomplir à l’encontre du déterminisme économique (peut-être plus logico-technique chez Nietzsche que chez Marx) : celui de l’héroïsme et des valeurs éthico-spirituelles antiques chez le premier[18] ; et, chez le second, celui de la quête du salut au cœur même de l’agir du prolétariat en lequel s’incarne la véritable conscience historique se libérant de l’aliénation, et accomplissant ainsi le véritable Esprit du monde, la fin de la nécessité et l’harmonie des rapports humains, en bref, l’advenue d’une nouvelle cité idéale qui clôt l’histoire. De fait, l’un et l’autre proposaient un nouvel engagement politique qui se donnait comme une nouvelle version de l’onto-théo-téléologie de l’histoire de l’Occident, c’est-à-dire comme histoire du monde, mais cette fois sans plus de Dieu ; ou, si l’on préfère, comme politique d’une société où Dieu, auteur des choses dont la connaissance scientifique doit découvrir les lois, s’étant de plus en plus éloigné de l’homme et de sa vie terrestre (cf. Koyré), serait redescendu sur terre sous un autre nom que celui du Fils, cette fois comme promesse d’une spiritualité vitale reconquise sur le logico-conceptuel et l’empire de l’esprit (Nietzsche), ou comme espoir d’élimination de l’éternelle nécessité et de l’aliénation qu’elle implique (Marx).[19] Il est là de beaux idéaux, et surtout un retour à la métaphysique : jetée dehors par la porte, elle revient par la fenêtre avec les tentations totalitaires qu’elle suscite chez des esprits simples qui des promesses n’ont retenu que les leçons de sociologie (ainsi, la manière dont les théoriciens du national-socialisme ont compris le surhomme pour le premier ; ou la conception d’une dialectique simpliste ente l’infra- et la superstructure chez Lénine et les théoriciens russes du début du XXe siècle, de Plekhanov à Préobajenski, de Trotski à Boukharine, pour le second ; mais, dans les deux cas, il s’agissait de construire la figure du Travailleur moderne, fût-il teutonique ou soviétique).[20]
A l’origine de son œuvre Heidegger ne paraît pas se préparer à élaborer une critique radicale de la modernité. La déconstruction de la pensée de l’Être pour et dans le temps, prépare une sorte de renouveau de la métaphysique, en y faisant intervenir la détermination historique dans la nomination de l’Être (la finitude), en rapportant la métaphysique à une histoire, et au monde qu’elle engendre, l’Occident, c’est-à-dire à ce qui tombe, (du latin occidere, qui donne aussi en français occire, tuer) et que l’allemand, comme le vieux français, le roumain ou le hongrois nomment respectivement Abenland, couchant ou ponant, apus, nyugat, c’est-à-dire, le déclin, le crépuscule, le vieillissement,  mais aussi ce qui devrait être aussi pensé comme la fin dans l’accomplissement en sa totalité, l’acmé. Cependant, ceux qui aujourd’hui ne veulent pas abandonner la métaphysique — peut-être par peur d’un crépuscule majestueux, cette fois non plus celui des dieux, mais celui  de la philosophie —  tout en se croyant capable de dominer le sens de la modernité, ou, à tout le moins, d’y avancer avec clairvoyance, se gardent bien d’outrepasser le commentaire de Sein und Zeit, d’aller au-delà, précisément là où Heidegger, après avoir éprouvé l’expérience présente de l’histoire en sa totalité comme tragédie, s’est engagé lui-même, dans la critique la plus radicale de la modernité technique et économique, c’est-à-dire à partir de sa très ancienne origine. En effet, s’engager au-delà de Sein und Zeit, c’est obligatoirement faire face à ce qui se présente comme l’horizon indépassable de la démocratie de masse occidentale : rien moins, et c’est cependant beaucoup, que l’essence du capitalisme et ce qui le rend possible, c’est-à-dire, le phantasme réel de l’infinité de l’objectivation des possibles et de leur mise à feu comme produire …[21]. Mais pour y atteindre, encore fallait-il faire le pas d’une rétro-généalogie qui nous projette vers le futur. « Le commencement est encore. Il ne gît pas derrière nous, comme ce qui a eu lieu il y a bien longtemps, mais il se dresse devant nous. »[22]
Et c’est bien l’expérience de l’histoire comme tragédie (ce que Nietzsche affirmait ressortir à l’essence même, Wesen, de ce qui produit l’histoire humaine) que Heidegger éprouve avant et pendant le Rectorat. Mais qu’est-ce que l’expérience de l’histoire, c’est-à-dire de ce qui fait histoire, sinon le politique dès lors qu’il manifeste la violence d’une société devenue incapable d’assumer (sa crise) l’en-commun qui fait d’elle une communauté  — c’est-à-dire le copartage d’une identité avec l’acceptation de différences, fussent-ils conflictuels, et cependant réglés? Heidegger a fait l’épreuve du politique en son essence, à savoir l’épreuve de la pensée confrontée aux événements fondateurs de l’histoire, de la « grande » histoire, de celle qui transforme un monde, qui accomplit l’ancien et prépare le nouveau. Cela eût dû être compris si certains esprits, aveuglés par les paradis artificiels de la métaphysique (le double de la réalité), n’avaient point oublié la vieille leçon administrée par Machiavel : à savoir que l’essence du politique n’est point l’idéal métaphysique d’une cité antique ou chrétienne posée à la fois comme principe et fin vers laquelle devrait tendre toutes les actions humaines, mais un ensemble dynamique de rapports de force, de groupes socio-économiques réels dans leur présence conflictuelle, qui déterminent des relations de puissance. Mais voilà, trop nombreux furent ceux qui, au début du XXe siècle, préférèrent encore rêver de l’impossible du politique, la « Paix perpétuelle », plutôt que d’affronter la factualité de la modernité en sa simple présence. Au tournant des années ’30 du XXe siècle, la crise en Europe occidentale était générale, l’ancien monde, l’Europe des Lumières s’était définitivement achevé sur les champs des batailles industrielles de la Première Guerre mondiale, tandis que le nouveau, malgré une longue préparation, balbutiait encore dans la violence de sa préhistoire.[23] Cependant, c’est en Allemagne que la crise se manifesta avec la plus forte violence, une violence inouïe, qui, touchant l’ensemble de la société, n’épargna personne, et mis en question la survie même de la société comme société politique.[24]
Or ce n’est ni la lecture de Husserl ni celle de la philosophie médiévale que Heidegger affectionnait tant qui provoqua en lui ce choc, puis le dirigea vers le tournant ou le retournement. C’est d’abord l’échec du Rectorat, pendant la rapide découverte que, malgré la « grandeur interne du mouvement »[25] (avec l’idée heideggerienne d’un possible réalisable parmi de nombreux possibles en attente, à condition de se tenir dans le pré-voir et la pré-caution, Vorsicht), le national-socialisme n’engageait aucun renouvellement de l’Université allemande, mais que, bien au contraire, sa dynamique réelle entraînait une intensification et la valorisation des tares d’une Université que Nietzsche, en son temps, avait déjà dénoncées et critiquées sans ménagement.[26] À la fin des années ’30, c’est donc, en toute logique, sur l’œuvre de Nietzsche, premier penseur critique de la modernité, que s’exerça et se concentra la déconstruction de la métaphysique déjà commencée par Heidegger. Toutefois, ce n’est pas seulement l’échec du Rectorat qui a déterminé ce grand penseur — avec Wittgenstein,  et dans une moindre mesure Benjamin et Adorno —, le plus exceptionnel du XXe siècle, à reconnaître ce qui rendait impossible une quelconque renaissance, restauration ou renouveau de la Bildung allemande, et, par-delà, de la Bildung occidentale. La rencontre avec l’analyse de Jünger de l’homme moderne en sa totalité comme Travailleur a joué un rôle déterminant.[27]
On a répété à satiété ce que Jünger a dit et écrit, à savoir que l’expérience de la Première Guerre mondiale fut décisive pour son intelligence de la métamorphose de l’homme moderne : de soldat il est devenu militaire, de civil accomplissant telle ou telle tâche il s’est changé en rouage d’une machinerie mue par la dynamique d’une mobilisation totale et générale (Total Mobilmachung).[28] En revanche, ce que l’on sait moins c’est que Jünger et Heidegger ont été marqué par la lecture de deux ouvrages écrits par l’un des plus grands capitalistes allemands, Walther Rathenau, propriétaire des célèbres usines AEG. Théoricien de l’économie de guerre, nommé ministre de l’industrie pendant la Première Guerre mondiale, puis assassiné en 1924 par un groupe de jeunes officiers de la Reichwer[29], Walther Rathenau est l’auteur de deux ouvrages très importants en ce qu’ils forgent les arguments politiques, économiques et législatifs justifiant la mobilisation générale et totale des peuples que ce soit pendant la guerre ou en temps de paix, au nom de la rationalité de la production, de l’investissement, du profit, de la répartition des fruits du travail et du maintien de l’ordre social.[30] Ainsi, l’analyse jüngerrienne du Travailleur (Der Arbeiter) conduisit Heidegger à penser en direction de l’essence de cette modernité à travers une factualité toujours écartées par les philosophes de la dignité philosophique, c’est-à-dire, non pas en direction de la science (objet de toute leur attention), mais des techniques de production des objets en leur multiplicité, et donc du travail. De cela, il en déterminera l’essence comme essence de la Technique telle qu’il l’énonce dans un texte magistral publié après la défaite totale de l’Allemagne, en 1946, dans la fameuse Briefe über Humanismus, adressée à Jean Beaufret, où il s’ex-pose pleinement ce qu’aujourd’hui la tradition nomme le second Heidegger. Le passage était franchi, et le penseur de l’Être dans et pour la temporalité (celui qui relève la temporalité de l’énonciation de l’ontologie), était devenu le penseur du dévoilement ultime de la vérité de la métaphysique dans et grâce à la Technique…
Ce qui constitue l’apport original et décisif de Heidegger pour la compréhension de la modernité en tant que système social, politique et économique, c’est que le déploiement co-dépendant des technologies, de la science, de la programmatique productive et consumériste (la nouvelle Sainte Trinité, capital-production-profit), qu’il rassemble sous le nom de Technique, n’est pas d’essence technique. La Technique telle que la saisit Heidegger, plonge ses racines au cœur même de l’histoire de la métaphysique, et plus précisément de la métaphysique moderne, celle qui trouve la première énonciation de son Dasein chez Descartes — la mise à disposition totale de la Nature par l’objectivation infinie d’un sujet plongé la certitude de son ego[31] — même si, selon ses interprétations d’Aristote et de Platon[32], cette énonciation était préparée de longue date par l’émergence même du questionnement philosophique compris comme logique des propositions énoncées sur la nature des étants et non plus, comme chez les présocratiques, dans l’émerveillement poétique devant la présence comme présence en tant que telle, devant l’aléthéia, le descellé, le dévoilement du hors-retrait. Il n’empêche, c’est chez Descartes que l’énoncé du subjectum moderne, de l’ego cogitans dans la certitude de l’adequatio res ad intellectum, trouve et manifeste sa vérité totale et permanente dans la recherche de lois physiques données sous la représentation de lois mathématiques générales. Là est l’essence et l’origine, non pas des techniques, mais, au sens que lui attribue Heidegger, de la Technique, ou si l’on préfère de la création du monde en la guise de la programmatique mathématique des objectivations. C’est de cette représentation, accouplée au commerce-monde déjà à l’œuvre avant Descartes[33], mais auquel il manquait les instruments intellectuels et techniques unificateurs des multiples sphères d’activité[34], qu’émergeront des résultats matériels proprement inouïs faisant de la somme des produits du monde, de la science et de la production la physis de la modernité, et, de la convoitise la psyché du travailleur déraciné de la mobilisation totale, celui qui s’autodésigne comme l’homme moderne.
Si tel est le fondement du monde moderne, s’il se tient ainsi, dans la réalisation totale de la métaphysique comme Technique, alors, il nous faut renverser le rapport essentiel relevé par Marx, entre l’infra- et la superstructure, et pour lors admettre que c’est le produit du travail conceptuel de la logique des énoncés tenus sur les étants — la représentation comme superstructure — qui engendrent, déploie et réalise ce monde de la technique et du produire, c’est-à-dire l’infrastructure, laquelle, ensuite, implique une organisation sociale et politique qui réponde à ses besoins, ses fonctions, ses injonctions, ainsi que les agents produisant les arguments de légitimations. Il s’agirait donc non plus d’une dialectique entre deux pôles, mais d’un jeu bien plus complexe impliquant au moins trois pôles qui interfèrent en permanence, et substituent leur position réciproque selon les états du développement et les situations de blocage, les dysfonctions, en bref, ce que l’on a l’habitude nommer les crises, et qui composent l’histoire même de l’Occident. On comprend donc que l’on a utilisé tous les arguments de Marx quant à la détermination économique et sociale du travail, mais en les replaçant dans l’analytique historiale du produire, dont la provenance comme ad-venir se tient dans le Dasein de la métaphysique moderne de la subjectivité, dans son mode et son régime de représentation.
De fait, un esprit naïf pourrait nous dire que l’on a remis Marx sur ses pieds. S’il s’agissait de cela, nous n’aurions fait que retrouver Hegel. Or, ce n’est pas Hegel que l’on retrouve, mais le devenir-monde du monde dans la techno-économie entendue comme réalisation-accomplissement de la métaphysique. Car, il n’est guère hégélien — en ce qu’il n’y a pas de dépassement (Aufhebung), mais accélération exponentielle du déjà-présent-comme-possible — de constater que si Esprit du monde il y a (cela reste à voir ?), celui-ci s’achemine vers la technicisation totale du monde en la guise du commerce : vérité que nous administre aujourd’hui la conquête technico-économique des cartes génétiques de tous les êtres vivants. Il n’est pas non plus hégélien de constater combien l’accomplissement de la métaphysique a fini par supprimer l’autonomie du politique qu’elle avait cependant constitué comme activité séparée et spécifique de l’homme, au point que, pour définir cet homme en sa vie sociale Aristote avait choisi l’expression zoon politikon ![35] Même si les pratiques le contredisaient parfois, les Grecs pouvaient croire à la réalité de cet énoncé, parce que leur idéal visait à expulser de la Polis les marchants dont ils considéraient l’activité comme ressortissant au domaine privé, c’est-à-dire au domaine de la nécessité, et donc étranger à toute activité politique, laquelle devait être du seul ressort de la sphère publique d’où était banni tout référent au besoin, au produire, au reproduire, au consommable, au vendable, etc. Dès lors, l’animal qui se dévoile au sein de l’analytique heideggerrienne du Dasein de la métaphysique du sujet pourrait se nommer zoon œkonomicon.
Ici, je me trouve en partiel désaccord avec l’analyse que donne Philippe Lacoue-Labarthe du nazisme dans « La fiction du politique ».[36] Il voit dans Auschwitz « la révélation à lui-même de l’Occident » — certes oui, j’acquiesce — mais du fait que la politique nazie n’eût été, en fin de compte, que la configuration esthétique — la forme, Gestall — d’un Gensamtkunswerke sous l’égide de la techné, mise en œuvre par un national-socialisme devenu un national-esthétisme : Hitler eût pensé la politique comme la mise en forme d’un peuple d’une part (certes oui, d’où le rôle dévolue à l’in-formation, nommée ici propagande), et, de l’autre, réalisé cette politique en une action engendrant la « mise en scène du plus grand film de guerre jamais réalisé ». Il me semble que Lacoue-Labarthe confonde ici les décisions réelles, les effets réels de l’État nazi, le sang réel des batailles, la torture réelle des prisons, la morts bureaucratiquement administrée des camps, avec les fictions hollywoodiennes : Le siège de Leningrad, la chute de Berlin ou Bergen Belsen ne sont pas, loin s’en faut, ni Le Jour le plus long ni La Liste de Schindler ! Certes, si la mise en forme du peuple comme « art nouveau » de la politique tient bien de la politique moderne, aussi bien de la radicalisation soviétique que nazie, il s’agit, me semble-t-il, d’un usage métaphorique de l’art en politique, comme l’on parlait au XVIe siècle de l’« art de gouverner les hommes ». Certes, les Nazis ont esthétisé le politique (Brecht et Benjamin ayant répondu à cette injonction en proclamant qu’il fallait « politiser l’art »), toutefois ils ne sont pas les premiers, non seulement les Soviétiques l’avait fait avant eux, (cf. les affiches, les trains décorés, les sculptures, les tableaux, les diverses installations de propagandes révolutionnaires réalisés par les plus grand artistes d’avant-garde russes)[37], mais ce jeu de vérité et de dissimulation entre l’art et le politique est à l’origine même de la naissance du politique : de la polis grecque aux entrées royales du XVIIe siècle jusqu’aux aux mise en scène de la révolution française, sculptures, peintures, arcs de triomphes, spectacles théâtraux et musicaux exposèrent, tantôt le destin tragique des hommes dans leurs rapports aux dieux, tantôt la punition divine à l’encontre de leurs péchés, tantôt les volontés et les espoirs du Prince en direction du peuple, ou, enfin, les rêves que l’on attribuait au peuple lui-même. Et ces représentations (Darstellungen) furent l’œuvre de grands, de très grands artistes… de Sophocle à l’Arioste, de Botticelli à Monteverdi, de Lully à Haendel, de David à Rodchenko, etc… Ce qu’achemine la politique nazi y compris dans sa pratique hautement mortifère, car incapable de compromis, et, plus précisément, ce qu’elle expose dans sa fin apocalyptique, c’est la mort du politique comme théologie sécularisée et sa subversion par le techno-économique ; ou, si on l’ose dire, la condamnation de la politique nazie ne s’est pas véritablement jouée à Nuremberg, haut lieu de ses représentations esthético-politiques, mais, en définitive, par le fait que l’irrationalité économique de sa politique (son transcendantalisme raciste absolu) menaçait, à terme, le déploiement du techno-monde de la modernité. Or, si Auschwitz comme industrie de la mort est le « révélateur de l’Occident à lui-même », selon le mot de Lacoue-Labarthe, il n’y a là rien d’autre que la paraphrase de ce que, après la Seconde Guerre mondiale, Heidegger a écrit à propos de l’univers concentrationnaire et de l’extermination industrielle des hommes : il s’agissait d’une des formes prise par le déchaînement de la Technique. Mais si l’Occident s’est ainsi révélé à lui-même, que je sache, il n’est pas encore aujourd’hui sorti de lui-même, il n’est même qu’à l’aurore de cet accomplissement qui signe aussi une fin. Dès lors, l’affirmation de Gérard Granel est totalement justifiée, à savoir que les « années trente sont devant nous ». Pour lors, si l’on veut garder la formulation de Lacoue-Labarthe, il faudrait préciser et dire que l’esthético-politique dans la version du national-esthétisme est l’une des ultimes versions de la théologisation du politique (l’autre, le soviétisme, s’est autodissout par son incapacité à maîtriser le développement de la technique)[38] qui a été violemment et définitivement éliminé de la scène du monde. Car, dorénavant, plus rien ne doit échapper à la représentation « normale » du monde, celle, présentement triomphante de l’économico-esthétisme, de la publicité qui vante et met sur un même plan aussi bien les « mérites » des marchandises que « ceux » des hommes politiques en quêtes de mandats électoraux.[39]

En relisant aujourd’hui les grands textes de Heidegger où est développée l’analytique de la Technique[40], on comprend combien ses interprétations à la fois prémonitoires et attentives (au sens de mesurées, Vorsicht) de l’essence de la Technique impliquaient, en retrait, une réflexion permanente sur le politique, plus exactement sur la fin de l’autonomie du politique et de sa domination par la sphère techno-économique. On trouvera dans ces textes majeurs des jugements redoutables, comme celui-ci, développé dans Die Zeit des Weltbildes  « Le repli sur la tradition, frelaté d'humilité et de présomption, n'est capable de rien par lui-même, sinon de fuite et d'aveuglement devant l'instant historial. »[41] Or cette fuite aveugle c’est, en l’espèce, le nationalisme exacerbé qui, croyant lutter pour reconquérir une identité et une authenticité perdues, ne fait que participer au mouvement général de déracinement, de mise sous la coupe technico-économique des peuples, devenus des nations réclamant chacune leur État productif et leur implication de plus en plus intense dans le commerce-monde : en bref, quand la lutte pour une prétendue différence d’essence nationale s’intensifie, c’est, de fait, l’inexorable marche en avant de la modernisation, et donc de l’uniformisation du monde qui agit en cette guise.[42] C’est pourquoi Heidegger voit dans le nationalisme l’une des formes les plus accomplies de la subjectivité. En cela, et avec un autre vocabulaire, parce que venu d’une démarche critique plus ancrée dans l’origine de la métaphysique, Heidegger partage le même jugement négatif et pessimiste qu’Adorno et Horkheimer sur la modernité tardive, toutefois, pour ces derniers, il s’agit d’une dialectique négative de la Raison, où, implicitement il est suggéré qu’elle pourrait, sous certaines conditions, être renversée par une sorte double retournement lui permettant de retrouver le droit chemin… Ce à quoi Heidegger ne croit pas un seul instant, comme il l’a écrit avec force dans sa réponse à Jünger : « Zur Seins Frage ». Nul ne peut nourrir un quelconque espoir de renouvellement de la spiritualité moderne, voire un sauvetage, tant que la Technique n’aura pas achevé d’accomplir son déploiement : en d’autres mots, tant que la Technique ne se sera point ex-posé dans sa totale vérité. Or, ajoute-t-il, ce moment est encore lointain, voire indéchiffrable en ses incarnations présentes, parce que nous ne sommes qu’à l’aurore d’une telle époque… Tant et si bien que dans notre présent, toute révolte, toute révolution, n’est, pour la Technique, qu’une autre manière, non seulement de manifester sa domination, mais encore de la renforcer en la radicalisant. Nul ne peut, me semble-t-il, ne pas saisir la force interprétative d’une telle analyse lorsqu’on regarde, sans préjugé ni ressentiment, l’événement faisant histoire dans sa provenance, l’Ereignis, l’événement-avènement-appropriation, qui a pour nom Révolution bolchevique et histoire de l’URSS jusqu’à la chute par implosion. C’est aussi pourquoi, Heidegger comme Jünger, interprétaient les deux guerres mondiales dont l’Europe fut le centre théorique et pratique comme des guerres civiles à l’échelle d’un continent, des guerres où la violence déchaînée de la production avait pour tâche de résoudre de précédentes et apparemment insolubles contradictions.[43]
Être sourd à la méditation politique que nous administre Heidegger tout au long de sa déconstruction de la métaphysique[44], c’est se couper d’une compréhension de la modernité qui se déploie sous nos yeux ; c’est refuser d’admettre que la techno-science, en la guise du capital, de la production industrielle et du commerce-monde est le seul horizon des hommes de la postmodernité ; c’est enfin être aveugle devant le défi le plus dangereux qui attend les hommes de demain… celui du nouvel anthropoïde biologiquement « parfait » - c’est-à-dire, génétiquement correct - que prépare l’ingénierie génétique alliée à la pharmaco-chimie des nootropes, à la micro-informatique, à l’intelligence artificielle et à la nano-mécanique. Cependant, par–delà l’enjeu thérapeutique, à la lecture des programmes de recherche des laboratoires se tenant à la pointe de cette nouvelle course à la connaissance, on constatera, à peine dissimulé sous un jargon véritablement médico-scientifique et pseudo humaniste, la mise en place d’un racisme génétique et d’un eugénisme fondés sur la seule rationalité économique et l’idée que le progrès est justement la totale maîtrise du stock génétique de tous les êtres vivants. Il y a là une synergie qui prépare le totalitarisme politique d’un réel Brave New World, vérité incarnée du roman prophétique qu’Aldous Huxley publia en 1932 ! Nouvelle et saisissante confirmation que les « années trente sont devant nous ». Ayant mis la vie biologique sous un contrôle total (i.e. totalitaire)[45], l’homme aura perdu les aléas de la vie et ceux de la mort, qui sont les gages d’une liberté à venir toujours possible.[46] Il y a là le résultat d’une tâche prométhéenne que n’avaient pu accomplir, jusqu’à présent, les plus sanglants des totalitarismes du XXe siècle. C’est en lisant, en relisant et en méditant Heidegger qu’on en saisit le murmure des origines.
Claude Karnoouh
Cluj, mai-juin 2001 (bibliographie réactualisée en 2011)


[1] Dans ce genre de littérature anti-heideggerienne fondée sur la plus grande bassesse, la mauvaise foi et la technique de l’amalgame le plus vulgaire, il faut lire, comme il convient, le livre de Victor Farias, Heidegger et le nazisme, Verdier, Paris, 1987.
[2] Jacques Derrida, interview dans le Nouvel Observateur, 6-10 novembre 1987.
  Gérard Granel, « La guerre de Sécession ou Tout ce que Farias ne vous a pas dit et que vous auriez préféré ne pas savoir », in Le Débat, N° 148, janvier-février 1988, pp. 142-168, Cf., p. 152. Réédité in Écrits logiques et politiques, Paris, 1990.
 Pierre Aubenque, « Encore Heidegger et le nazisme », in Le Débat, N° 48, janvier-février 1988, pp. 113-123.
 Henri Cretella, « Le procès de la liberté », in Le Croquant, N°3, été 1988.
 Leo Strauss,  « Introduction à l’existentialisme de Heidegger », in Commentaire, N° 52, 1990-91, pp 767-778.
 François Fédier, Heidegger-anatomie d’un scandale, Fayard, Paris, 1990.
[3] « Gesprächt mit Martin Heidegger », in Der Spiegel, pp. 193-219. Entretien réalisé le 23 septembre 1966, et publié immédiatement après la mort de Heidegger, au mois de mars 1976.
[4] Publication en français, Peter Sloterdijk, La Domestication de l’Être, Mille et une nuits, Paris, 2000.
[5] Je n’aurai pas la cruauté de rappeler ici les noms des universitaires, philosophes, écrivains, peintres et poètes occidentaux qui vouèrent pendant quelques trop longues décennies un culte idolâtre à Joseph Staline. Certains d’entre eux, sûrement pour faire oublier leur « bévue » par une attitude politiquement correcte, ou, pour les plus pitoyables, afin d’acquérir une gloire que la médiocrité de leurs travaux ne leur offrait guère, furent parmi les plus féroces accusateurs de l’erreur de Heidegger… Sic transit gloria mundi !
[6] Dans cette phrase, les mots entre guillemets sont de Sloterdijk, j’ai mis entre parenthèse les termes habituellement utilisés dans les meilleures traductions françaises de Heidegger.
[7] Martin Heidegger, Die Selbstbehauptung der deutschen Universität, Breslau, 1933. En français, L’auto-affirmation de l’Université allemande, bilingue, T.E.R., Mauvezin, 1988, dans la traduction de Gérard Granel.
[8] Gérard Granel, « Les années trente sont devant nous… », in Etudes, Galilée, Paris, 1995.
[9] Hannah Arendt, Martin Heidegger, Briefe, Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main, 1999, (Traduction française, Gallimard, Paris, 2001).
Toutes ces mises au point n’ont pas empêché un médiocre d’en remettre une couche. Ainsi Emmanuel Faye, pratiquant le comble de l’hypocrisie et de la mauvaise foi avec des traductions fausses ou controuvées, donnant foi à de fausses informations sur les relations de Heidegger avec l’église catholique dès sa décision de renoncer à la théologie, puis renonçant à regarder les textes de son rapport au pouvoir politique après le Rectorat, intitule son pénible amphigouri : Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie. Autour des séminaires inédits de 1933-1935, Albin Michel, Paris, 2005.
Pour une critique de qualité d’Emmanuel Faye cf. sous l’incitation de François Fédier, Heidegger à plus forte raison (Massimo Amato, Philippe Arjakovsky, Marcel Conche, Henri Cretella, Françoise Dastur, Pascal David, François Fédier, Hadrien France-Lanord, Matthieu Gallou, Gérard Guest, Alexandre Schild), Fayard, Paris, 2007; voir encore l'excellent et roboratif essai de Maximilien Lehugeur, « Heidegger » : objet politique non identifié, La Pensée Libre, n°4, Avril-mai 2005, http://lapenseelibre.fr/lapenseelibre04.aspx.
[10] Grand Robert, version électronique, 1994, « article politique ». « Art et pratique du gouvernement des sociétés humaines (État, nation). Dès les premiers emplois, la politique est entendue à la fois comme une technique, un art, une théorie et comme une pratique (la plus noble et haute science et le plus noble office qui soit en terre ». Br. Latini). Aux XVIIe et XVIIIe s., la politique fait partie de la morale (cf. Furetière, Trévoux). Dans les emplois modernes, au contraire, l'accent est mis sur la pratique et l’on oppose souvent morale et politique. »
[11] Saint Thomas d'Aquin, “ De Regno ”, in Sancti Thomae de Aquino Opera omnia, t. 42, Rome, 1979, pp. 417-471.
[12] André Tosel, « La fondation de la catégorie juridique chez Kant », in Démocratie et libéralisme, Edit. Kimé, Paris, 1995, pp. 91-119, cf. p. 119.
[13] Ibidem, p. 119.
[14] Ibidem.
[15] Cette remarque vaut pour notre présent. On pourrait faire exactement la même critique à l’encontre de John Rawls et touts les néo-kantiens.
[16] Gérard Granel, « Les années trente… », op. cit.
[17] K. Marx, « Le caractère fétiche de la marchandise et son secret », in Le Capital, quatrième partie de la première section du livre I, Paris, 1875.
[18] F. Nietzsche, “ La philosophie à l’époque tragique des Grecs ”, in Écrits posthumes (1870-1873), (Nachgelassene Schriften 1870-1873), Gallimard, œuvres philosophiques complètes, Paris, 1975, dans la traduction de Michel Haar et Marc B. De Launay.
[19] Kostas Axelos, Marx penseur de la technique, Minuit, Paris 1961.
[20] Gérard Granel, « Les années trente … », op. cit.
[21] Gérard Granel, « Les années trente … », op. cit.
[22] Martin Heidegger, L’auto-affirmation de l’Université allemande, op. cit, allemand p. 10, français, p. 11.
[23] Gérard Granel, « Les années trente … », op. cit.
[24] Cette crise est aussi à l’origine de la pensée de Carl Schmitt, et en particulier de son paradigme fondateur de toute politique, le rapport ami/ennemi. Cf. Carl Schmitt, Begriff des Politischen, Hamburg, Hanseatische Verlaganstalt, 1936 (traduction française, La Notion du politique. Théorie du partisan, Calman-Lévy, Paris, 1972)
[25] L’expression est formulée pendant le Rectorat et après la démission (cf. Einführung in die Metaphysik, 1935) et maintenue dans l’interview donnée au Spiegel, art. cit.
[26] F. Nietzsche, Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement (“Die Zukunft unserer Bildungsanstalten”), Gallimard, collection Idées, Paris, 1980.
[27] Ernst Jünger, Der Arbeiter, Stuttgart, 1932.
[28] Les méditations de Jünger sur le Travailleur et la mobilisation générale sont contemporaines d’un remarquable film de Fritz Lang consacré à ce même thème, Métropolis (1926) et d’une série tableaux réalisés par les peintres expressionnistes allemands de la Nouvelle objectivité, Die neue Sachlichkeit, Otto Dix, Georges Grosz et Max Beckman.
[29] L’un d’entre eux, Ernst von Salomon, durant son emprisonnement pour complicité, fit de cet attentat et de sa préparation le sujet d’un roman sociographique de grande qualité, Les Réprouvés, où l’on découvre toutes les apories, les contradictions, les antinomies qui traversaient laa vie politique, sociale et culturelle de la république de Weimar.
[30] On lira donc avec profit, Walther Rathenau, Die Mechanisierung der Welt (La mécanisation du monde), München, 1912 ; et, Die Neue Wirtschaft (La nouvelle économie) München,1918.
Il est bon de rappeler que ces ouvrages eurent, d’une autre manière certes, une influence décisive sur la conception de l’économie de guerre formulée en 1919-1920 par Trotski pendant la guerre civile.
[31] Descartes, Le Discours de la méthode, éd. Gilson, Vrin, Paris, 1979, p. 128. Voici le texte dans son intégralité : “ Les notions générales touchant la physique m'ont fait savoir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinc­tement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.”
[32] Martin Heidegger, Vom Wesen der Warheit, tome 34 Gesamtausgabe ; « La Doctrine de Platon de la vérité », in Wegmarken, tome 9 de la Gesamtausgabe.
[33] Fernand Braudel, La Dynamique du capitalisme, Arthaud, Paris, 1985.
[34] Par exemple, dès le milieu du XVIIe siècle en Hollande, on assiste à l’application des statistiques au calcul des assurances des bateaux et des marchandises non plus en fonction de la seule valeur de la cargaison, mais du temps mis à la transporter ; ou, encore à la même époque, la naissance en Angleterre des statistiques appliquées aux populations, c’est-à-dire la naissance de la démographie formulée par John Grawl, ami et confident de Hobbes, premier théoricien de l’Etat totalitaire.
[35] Il faut considérer les zones de notre planète où des hommes luttent encore pour des motifs strictement politiques, comme des zones attardées, comme des lieux où survit encore la vision archaïsante de l’animal politique.
[36] Philippe Lacoue-Labarthe, « La fiction du politique », in Heidegger, Questions ouvertes, Collègue international de Philosophie, Osiris, Paris, 1998. Traduction en roumain s’il y a.
[37] Cf. Claude Karnoouh, « Le réalisme socialiste ou la victoire de la bourgeoisie », in Postcommunisme fin de siècle, L’Harmattan, Paris, 2000. Traduit en roumain, Comunism, postcomunism si modernitatea tîrzie, Polirom, 2000.
[38] Claude Karnoouh, ibidem.
[39] Cf. Claude Karnoouh, « Sfirsitul avantgarzilor si triumful pietii. Valorile estetice si valorile sociale in epoca modernitàtii târzii » in Adio diferentiei, deuxième édition, Idea, Cluj, 2001.
[40] Martin Heidegger, Brief über Humanismus, Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main, 1946.
« Die Frage dem Technik » in Vorträge und Aufsätze, Vittorio Klostermann, Francfort am Main, 1953 et « Die Zeit des Weltbildes ”, in Holzwege, Vittorio Klostermann, Francfort am Main, 1956.
Zur Seinsfrage, Vittorio Klostermann, Franfurt am Main, 1956.
Beiträge zur Philosophie, Gesamtausgabe, t. 65, Vittorio Klostermann, Francfort am M., 1989, et le commentaire magistral qu'en donne Reiner Schürmann dans son ouvrage posthume : Des hégémonies brisées, T.E.R., Mauvezin, 1996. Cf. t. II, Troisième partie, chap. II, “ Des doubles prescriptions sans nom commun (Heidegger) ”.
[41] M. Heidegger, Holzwege, op. cit., « Die Zeit des Weltbildes », en français, « L'époque des ‘conceptions du monde’ » in Chemins qui ne mènent nulle part, traduction de Wolfgang Brokmeier, Paris, Gallimard, 1962, p. 125.
[42] Claude Karnoouh, « Dupà o tàcere apàsàtoare. Referitor la articolul lui George Soros : ‘amenitarea capitalistà’ », in Comunism/postcommunis… op. cit.
[43] Eric Hobsbawm souligne dans le premier chapitre de son ouvrage, Age of Extreme. The Short Twentieth Century, 1914-1989 (Abacus, London, 1994), combien la guerre moderne est un facteur d’accélération de la production et de la consommation. Hannah Arendt remarque dans le dernier chapitre de Condition de l'homme moderne, (Calmann-Lévy, Paris, 1983, p. 370) “ La vita activa et l'âge moderne ”, combien les destructions massives de la Seconde Guerre mondiale ont engendré un développement centuplé de la reconstruction, de l’urbanisation, de la production exigée par le déracinement de plus en plus intenses des masses humaines. Enfin, il convient de rappeler que l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1941 a contribué à sortir définitivement le pays de la crise économique de 1929.
[44] Voir aussi la méditation sur le sens de l’Imperium romain dans le cours sur le Parmenide, tome 54 de la Gesamtausgabe, Klostermann, Frankfurt am Main. (en roumain, Humanitas, 2001).
[45] Pour une analyse détaillée de cette alliance qui se présente aujourd’hui comme l’avancée la plus prometteuse de l’ingénierie génétique, cf. Jeremy Rifkin, The Biotech Century : Harnessing the Gene and Remaking the World, G.P. Putnam’s Sons, New York, 1998.
[46] Claude Karnoouh, « Technique et destin », in Krisis, n. 34, automne 2000, Paris. En roumain, « Technicà si destin », in Adio difentiei, Idea, Cluj, 2001. 

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