De la pensée à l’action et retour ou quand dire c’est
faire, et faire c’est dire : exercices critiques
Ἡ βιωτικὴ τῇ παλαιστικῇ ὁμοιοτέρα ἤπερ τῇ ὀρχηστικῇ
κατὰ τὸ πρὸς τὰ ἐμπίπτοντα καὶ οὐ προεγνωσμένα ἕτοιμος καὶ ἀπτὼς ἑστάναι.
Marc Aurèle, Pensées, Livre VI, §. LXII.[1]
Voilà encore un nouveau
volume que je commets et qui rassemble quelques essais traitant aussi bien de
philosophie politique que d’anthropologie politique, mais aussi d’esthétique
dans son rapport au Politique et, tout aussi important, de ce furent les
soubassements des engagements politiques de penseurs et d’artistes pendant les
moments les plus tragiques du XXe siècle en Europe. Ce regroupement traduit
certes un éclectisme que me reprochent souvent les tenants d’un académisme plus
dirigé par l’esprit de sérieux que par l’angoisse nécessaire devant les
interrogations portées par les apories de nos temps enténébrés qui, pour être
entr’aperçues, exigent que s’entrecroisent diverses démarches propres aux
humanités. C’est pourquoi il convient de temps à autre d’accoler des textes
éparts dans le temps, afin de montrer l’unité certaine de la pensée de
l’auteur. Tous ces textes sauf un, dans leur version roumaine, ont été publiés
dans une revue en ligne, Argumente si
fapte dont je remercie présentement le directeur, le professeur Adrian-Paul
Iliescu, pour la généreuse hospitalité qu’il m’a offerte. Au travers de tous
ces essais rassemblés et organisés en une seule publication, le lecteur
attentif y découvrira le fil rouge, certes ténu, qui les lie et parfois les
unit en dépit de sujets disparates. En effet, cette unité subtile recouvre plus
qu’une direction de pensée, elle affirme un style pour parler comme Nietzsche,
le style critique à coups de « marteau », modulé en diverses modes et
tonalités comme le thème de l’Art de la
fugue où se perçoit, du moins je le souhaite, une grande liberté intérieur.
Non pas tant qu’il s’agisse de mettre cette liberté sous la bannière du célèbre
slogan anarchiste « Ni Dieu, ni maîtres », mais de manifester, autant
que faire se peut et sans ostentation spectaculaire, un absence de soumission à
une quelconque doxa de la bienséance
universitaire ou du prêt-à-penser médiatique. Affirmant ce style de liberté, je
suis tout à fait conscient de mes limites, à savoir qu’elles tiennent des
censures de l’impensé qui animent simultanément tout exercice de réflexion et
toutes les pratiques humaines en un temps et en un lieu ! J’ai trop lu
Freud, Lacan, Heidegger et même Wittgenstein et ses jeux de langage pour ne pas
savoir combien nous sommes pensés par notre temps, notre inconscient, le poids
de la métaphysique et celui de notre langue bien plus que nous ne pouvons les
penser. C’est pourquoi nous ne pouvons plus mener la réflexion comme à la belle
époque des systèmes philosophiques métaphysiques quand, à chaque époque de
« l’Être », l’ontologie s’identifiait à la Philosophiae perennis. Déjà, et en dépit de sa téléologie quant à l’accomplissement
inéluctable de l’Histoire comme Esprit universel, Hegel nous engageait à
comprendre notre temps. Je dirais quant à moi, en laissant en suspend ce qui
ressortit à l’impensé, que j’ai toujours tenté de penser au-delà de mon temps, ou
plutôt contre mon temps, c’est-à-dire contre la doxa qui donne comme naturelles et normales les assertions du moment
ayant été laissées en friches de questionnements fondamentaux. C’est pourquoi
elles se présentent comme autant de vérités éternelles, ontologiques. Lorsque j’ose
avancer dans ma démarche les censures de l’impensé, je sais que je m’expose
sans réserve à la critique sans pour autant asséner au lecteur quelques vérités
pérennes qui demeureraient sans réplique. En lui laissant toute liberté
d’appréciation, je le laisse exercer sa propre pensée critique et l’engage à
déconstruire l’architecture des interprétations de l’histoire, de la culture et
du politique que j’ai faites miennes s’il pense qu’elles méritent l’honneur de
sa critique. Sinon, il aura toujours loisir de jeter à la poubelle quelques
dizaines de pages imprimées qui se nomment génériquement un livre.
Dans leur version
française originale ces textes s’étendent sur une période d’environ vingt ans. Pour
la traduction en roumain certains ont été repris tel quel, d’autres ont subi non
pas des modifications de fond, car je ne change jamais de discours selon
l’auditeur, mais une actualisation et, pour tous, j’ai procédé à une toilette stylistique,
je les ai corrigés comme la mère de famille attentive à l’économie domestique corrige
un bouillon trop salé ou trop clair. L’idée directrice que j’ai nommée le fil
rouge appartient à la permanence d’une quête, c’est-à-dire aux raisons
intellectuelles et pratiques qui engagent les hommes dans ce que le savoir
académique nomme l’histoire, et qui se présente bien plus comme un discours
savant politique sur le passé arc-bouté sur des archives. Ce discours nommé
histoire est, de fait, la politique du passé, ce que Jean-Luc Nancy avait
nommé les conditions de l’en-commun, mutatis
mutandis une sorte de traduction dans la modernité de la notion de πόλις. Or qui dit « en-commun » renvoie autrement à la
nature ou à l’essence de l’homme social moderne, à savoir son origine depuis la
très ancienne civilisation urbaine grecque, celle où s’affairait l’ Άνθρωπος φύσει
πολιτικών ζώον[2]. Certes
le fondement de notre histoire moderne et contemporaine a changé, ce n’est plus
la φύσις
(union de la nature sauvage, de la nature maîtrisée dans la πόλις, du δόμος
et des dieux qui les habitent) qui en est l’essence, pas plus que le royaume
sous l’égide du Dieu trinitaire fondateur incréé et de la nature et de la cité
simultanément agencées comme l’argumente Saint Thomas dans le De Regno ; aujourd’hui c’est ce que
l’on pourrait appeler selon les sociologues le socius, précisément ce qui diffère le plus de la nature où
s’élabore ce qui mène le monde et lui donne sens : les sphères imbriquées de
la politique et de l’économique ainsi que leurs pratiques spectaculaires dans
l’esthétisation simultanée du politique et de la marchandise. C’est précisément
quelques uns des aspects de cet « en-commun » dont j’ai tenté de
démonter les ressorts réciproques ou dialectiques des constructions
intellectuels et des pratiques dans la formation de la conscience postmoderne.
Les marxistes les plus fidèles
à la doxa me reprocheront de
confondre infrastructure et superstructure. Dès longtemps je me suis habitué à
ce genre de critiques arc-boutées sur un anachronisme, à savoir que le monde
d’aujourd’hui serait immuablement le monde à partir duquel Marx et Engels avaient
élaboré leurs analyses. En général ces accusations d’idéalisme ou pis de
trahison, viennent de ceux qui, après avoir certes médité Marx, n’ont pas médité
simultanément Nietzsche, Heidegger, Simone Weil, Hannah Arendt, Adorno,
Benjamin, Carl Schmitt. Je pense avoir compris, en me rappelant les leçons de
l’un de mes maîtres le philosophe Gérard Granel (les autres furent Lévi-Strauss
et Rodneey Needham en anthropologie, Henri Lefèbvre dans sa période situationniste
en sociologie) que, depuis la naissance du capitalisme, (avant et après le XVIe
siècle et lors de la naissance du marché mondial des esclaves, donc dès les
révoltes médiévales des Jacques en France, des tisserands dans les Pays-Bas
bourguignons puis espagnols, lors de la Guerre des paysans en Allemagne[3] ou lors de celles des Levellers en Angleterre au début du
XVIIe siècle), les conditions objectives de la révolte sont toujours là, omniprésentes.
Mais souvent le peuple dort. Dès lors, il faut en convenir, ce qui manque c’est
la prise de conscience en l’homme de l’insupportabilité de son état dans la vie
quotidienne, de sa déchéance morale et spirituelle, de la dégradation non
seulement physique, mais tout autant spirituelle de son état d’homme réduit à
celui d’une bête de somme. L’homme se doit donc de reconstruire une utopie révolutionnaire,
ce qu’Ernst Bloch définissait comme la tâche d’une philosophie,
« der Konkreten Utopie ».[4] Dans la doxa marxiste, ces conditions-là se
nomment superstructures, représentations dans la conscience, Vorstellungen. Or l’expérience
historique à laquelle il convient de ne jamais échapper, c’est-à-dire la
politique du passé, nous a appris que c’était justement au moment que
l’individu au sein de l’« en-commun » prenait conscience de cet état
d’esclave où il était forcé de vivre, qu’il commençait à être lucidement disposé
à agir pour un télos à la fois
concret et idéal. Or, en ce cas, l’agir n’est rien moins que l’irruption de la
guerre civile, et donc de la mise en jeu de sa vie, son bien le plus cher comme
l’avait déjà souligné Hegel parlant du patriotisme. Il s’agissait donc, de
fait, de la primauté de la subjectivité comme déterminant de l’action, ce que
d’autres ont nommé la « conscience de classe ». On n’entrera pas ici
dans le dédale pesant et laborieux de l’analyse de la théorie du reflet vue par
Lukács dans Histoire et conscience de
classe, (récemment traduit en roumain aux éditions Tact, 2015). C’est un texte
très inégal, révélant parfois une intuition fulgurante quant à description de
l’aliénation des hommes dans le décours empirique de leurs pratiques réelles,
mais dépassé et inadéquat pour ce qui concerne le don d’un sens essentiel propre
à la modernité tardive par le refus de Lukács d’intégrer dans son analyse la notion
de nihilisme élaborée par Nietzsche, la critique de la culture classique et de
sa marchandisation élaborée par Adorno et Benjamin comme crise de la
représentation, et last but nos least
celle de la technique comme ultime métaphysique développée par le second Heidegger.
On l’a souvent remarqué,
les grandes actions humaines qui émergent en bouleversant la forme-substance capital
du politique ou du culturel nous surprennent souvent, car n’étant pas objectivement
perceptibles dans leur immédiateté, c’est-à-dire dans la mouvance de la
subjectivité des acteurs sociaux agissant – car souvent ils ne savent pas
comment et vers quoi ils se dirigent – elles surviennent le plus souvent de
manière spontanée, et donc imprévisible. Le meilleur exemple contemporain nous
est offert par la manière dont l’URSS a implosé et pris de court tous les
spécialistes patentés (y compris des philosophes aussi subtils que Castoriadis
ou Lefort, des sociologues comme Touraine ou Manent, lesquels ne s’attendaient
à rien moins qu’une guerre mondiale pour en finir avec la puissance de l’URSS !).
C’est pourquoi nombre d’entre eux ont dû se reconvertir du jour au lendemain,
de spécialistes en « communistologie et kremnologie » en spécialistes
du postcommunisme sans jamais, bien entendu, faire amende honorable pour leurs
bévues passées. Dont acte ! Cela se sait, l’intellectuel n’est jamais en
mal de mutations parfois surprenantes dans le décours d’une longue carrière où
il faut bien survivre aux vicissitudes de l’histoire : en Roumanie, par
exemple, combien de serviteurs zélés P.C.R et de son secrétaire général se
sont-ils découverts un certains soir du 23 décembre 1989 posséder les vertus
des nouveaux thuriféraires du libéralisme économique et politique le plus radical
avec ses thérapies de choc. Or, l’imprévisibilité de l’histoire, (les hommes la
font certes, mais le plus souvent sans le savoir paraît-il !), n’est,
au bout du compte, que l’essence même de la liberté humaine. Aussi, lorsqu’on
aborde une analyse du devenir humain dans cette optique, celle de l’essence de
la liberté, ne peut-il être question de morale parce que cette liberté de
l’histoire en permanent devenir se donne a
priori comme la potentialité de tous les possibles de la vie humaine en
société (une qualité ontologique propre à cette liberté), car ce qui surgit peut
être tantôt le bien, tantôt le mal, tantôt le beau, tantôt le laid, tantôt le
vrai, tantôt le faux, tantôt le réel, tantôt son simulacre, tantôt la paix, tantôt
la guerre, tantôt la compassion, tantôt le crime. Le penseur ne peut que
constater, s’essayer à commenter les principes à l’œuvre et, dans une
perception esthétique pour les plus nietzschéens, contempler le désastre.
Reste une question essentielle
toujours en suspend. Si l’intellectuel veut agir, il se doit de plonger les mains
dans la boue de la politique, pis, parfois dans le sang de victimes innocentes
pour des desseins qui se prétendent grandioses ou qui le sont
véritablement ! De fait, dans le peu de choix qui s’offre à la praxis selon chaque conjoncture
empirique, ce peu de choix se révèle toujours tragiques ; en bref comme
l’a exposé Sartres dans l’une de ses meilleures pièces de théâtre, Les Mains sales, l’intellectuel réellement
militant ne peut jamais être innocent. Dès lors qu’il s’engage véritablement
au-delà des beaux discours académiques et des symposia universitaires, l’intellectuel ne peut être un chevalier
blanc porteur d’une morale immaculée. S’il veut véritablement agir et non
radoter du whisful thinking
inconsistant, il lui faut repousser les confortables assertions de l’idéalisme
de rêve dont parlait Nietzsche quand il opposait morale et moralisme, je dirais
même « moraline » avec toute la pesanteur négative que porte ce mot. En
vérité, les intellectuels donneurs de conseils humanistes, distributeurs de théories
politiques idéales et d’envolées lyriques dans les séminaires académiques se
présentent toujours comme des humanistes aux mains propres, mais à y regarder
de plus près on s’aperçoit bien vite que leurs mains sont propres parce qu’ils
n’ont pas de mains. Et c’est cela que j’ai voulu exposer dans la reprise du
thème antique de la servante de Thrace, seul essai de ce recueil publié dans
revue de Iași, Timpul.[5]
Pour montrer cette prégnance
de la pratique dans la détermination première de la théorie (Aristote n’avait-il
pas écrit Politéia en raison de la
crise politique athénienne ; Saint Thomas De Regno parce que la théologie morale de la Cité terrestre
chrétienne du Moyen-âge finissant se trouvait soumise à la pression de plus en
plus accrue du capitalisme sur la gestion des hommes et Machiavel Le Prince pour répondre au défit
politique engendré par la puissance inédite de l’envahisseur français en Italie)
et simultanément pour illustrer l’erreur théorique quand elle s’évade de la
confrontation des concepts interprétatifs avec la réalité si banale fût-elle
(ici il ne s’agit de faire de l’analyse logique ou de la ratiocination conceptuelle
comme le faisait jadis la scolastique médiévale et dans sa version moderne la
plupart des thèses universitaires), j’ai tenu à publier deux essais de
déconstruction historique. Le premier aborde le thème des origines de la guerre
moderne et tout ce qui les accompagnerait par la suite comme la nouvelle
théorie balistique, la nouvelle théorie de l’architecture militaire capable de
résister aux boulets (la fin du château-fort et les places fortes
angulaires ; les mousquets placés sur trois rangs comme lignes de feu
continue) et, enfin les mutations évidentes de la tactique militaire sur le
champ de bataille. Pour ce faire, je me suis plu à réexaminer la célébrissime
victoire de François Ier à la bataille de Marignan du stricte point de vue de
l’usage des armes à feu et plus précisément de l’artillerie à une époque où les
canons étaient encore fabriqués de manière artisanale en ce que la théorie de
la résistance des alliages métalliques à la pression de l’explosion et celle de
la stabilité des poudres n’étaient pas encore nées. En bref, lors de cette
bataille nous avons eu affaire à la naissance d’une véritable révolution qui va
très au-delà de l’aspect proprement militaire de l’événement, puisqu’il
engendra aussi une nouvelle théorie politique de la puissance basée sur l’industrie
d’armement sur laquelle faut-il le dire Machiavel est demeuré aveugle. Ce qui
entraîna l’abandon progressif de la notion de guerrier fondée sur le courage et
la détermination individuels pour, au fur et à mesure du progrès technique des
armes à feu et de leur puissance de projection, être substituée par celle du soldat
compris comme l’un des maillons de la programmatique de la guerre entendue
comme le travail productif de la destruction industrielle (Die totale Mobilmachung) qu’interprèterait Ernst Jünger dans Der Arbeiter en termes de mise en forme
(Geschtalt) de la discipline politique
et de soumission totale à la technologie. L’autre essai se rapportant aussi à cette
relation entre théorie et pratique a pour thème la réévaluation de la notion de
« bon sauvage » et de « nature humaine » chez
Rousseau, lequel prit comme hypothèse quant à l’origine du contrat social l’homme
seul, donc l’individu au sens déjà moderne qui, à un moment donné, était venu à
imposer la propriété comme base de l’organisation politico-sociale. Or cette hypothèse
me paraît totalement illusoire, sauf à être avancée comme hypothèse théorique
formelle pour jeux logiques ou jeux de langage. Déjà au moment où écrivait
Rousseau on savait que les plus anciens sauvages du globe, les Australiens, les
Andamans ou certaines tribus d’Amérique du Sud, véritables survivants du
Paléolithique moyen, vivaient en société sans aucun sens de la propriété
individuelle (sauf leurs armes) et qu’ils étaient cependant liés par un contrat
implicite bien qu’il fut non énoncé comme tel. Or ces hommes étaient unis par une
socialisation forte et souvent complexe : les réseaux de parenté,
l’infrastructure des sociétés primitives.[6] Qui plus est, lorsque
cette hypothèse est reprise plus récemment par certains anthropologues ou
philosophes, elle apparaît à la lumière des dernières recherches
paléontologiques comme totalement erronées, car on ne voit pas les hominidés
antérieurs à l’homo neanderthalensis
ou à homo
heidelbergensis, l’homo erectus ou l’homo ergaster
se présenter comme cet Être de raison solitaire pour fonder le contrat d’une
société. Rousseau a confondu la socialisation primitive, c’est-à-dire la
solidarité interne propre aux bandes des premiers hominidés qui sortirent du
Rif d’Afrique de l’Est, aux homo néanderthaliens puis sapiens paléolithiques avec
le contrat social, lien éminemment moderne caractérisant des sociétés complexes
déjà hautement différentiées où la propriété du sol et des biens divers doit
être garantie. Déjà au milieu du XVIIIe siècle le nombre des compte rendus de
voyageurs, d’explorateurs, de marins, de soldats, de missionnaires aurait dû
rendre Rousseau plus prudent dans son hypothèse, laquelle a eu le succès que
l’on connaît en anthropologie, transformant le primitif en une personne irénique
et tolérante, et la vie sauvage en une sorte de Parousie dont la civilisation
moderne représenterait l’antithèse mortifère en quelque sorte barbare. Or loin
de moi de nier la barbarie moderne, mais tout aussi loin de moi une quelconque idéalisation
du monde primitif en tant que Paradis terrestre. Les hommes des sociétés
primitives, premiers « objets-sujets » de l’analyse anthropologique, sont
plongés dans une vie extrêmement précaire où le danger est permanent, où la
violence, sauf rarissimes exceptions, est quotidienne, que ce soit le climat,
l’espace de la sauvagine, la redoutable quête de la nourriture, l’hygiène, les
maladies, et last but not least la
guerre sans merci que se livrent en eux les tribus, les clans et sous-clans pour
la conquête des femmes seules garantes de la reproduction de la société et de
son infrastructure parentale. Une fois encore, le fait de repousser le réel au
profit d’une illusion théorique, fût-elle une solution logique élégante,
entraîne la construction de mondes fantasmatiques qui sont ceux de nos rêves humanistes
et pacifiques d’hommes de la modernité tardive.
Voilà en quelques mots les
défis auxquels je me suis trouvé confronté. Je ne sais si, au bout du compte,
j’ai réussi à suggérer quelques solutions théoriques et pratiques. L’avenir le
dira. En attendant je pense ne pas avoir trop failli en m’essayant, une fois
encore, à cet exercice hautement périlleux : la pensée critique.
[1]
« L’art de
vivre est plus proche de celui de la lutte que de celui de la danse, en ce
qu’il faut se tenir prêt et sans broncher à parer aux coups directs et non
prévus. »
[3]
Cf., Ernst Bloch, Thomas
Münster als Theologe der Revolution, München, 1er
edit . 1921, 2è édit, 1962.
[5]
Publié le 16 mars
2015 dans la traduction de l’original en anglais réalisée par Emil Copilaș.
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