1984 de la libido ou un monde sans fantasme ni classe
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Mars 2018
« Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache
les voiles et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture. »
Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre, Fasquelle, Paris, 1900.
« 1. Vrut-am sà mà làs de rele J'ai voulu renoncer aux péchés
2. Vrut-am ieu Și n-o vrut ele Moi j'ai voulu mais elles n'ont pas voulu
3. Vrut-am sà mà làs de ràu J'ai voulu abandonner le Mal
4. Vrut-o iel da n-am vrut ieu » Il l’a voulu lui mais moi je n'ai pas voulu.[1]
Strigaturà de feciori auzit în februarie 1976 la o nuntà la Breb (Maramures).
Claude Karnoouh
Les effets de l’affaire Weinstein et de la vague déferlante de dénonciations #Metoofondées et non-fondées d’abus sexuels dans le monde du showbizont largement dépassé le cadre de la société corrompue hollywoodienne pour, au bout du compte, y revenir, et ce de la manière peut-être la plus hypocrite, mais peut-être aussi la plus révélatrice de l’enjeu de ce phénomène quand, après le spectacle des « veuves des Grammy awards », quelques jours plus tard, un rassemblement à San Francisco organisé par une des associations féministes radicales, avait réuni quelque dix mille femmes pour dénoncer les abus sexuels, gestuels ou langagiers dont sont victimes les jeunes actrices de cinéma (j’ajouterai que les oratrices avaient omis, comme c’est trop souvent le cas, de parler des abus commis par des pédophiles notoires sur les acteurs-enfants). À cette occasion, l’une des jeunes stars hollywoodiennes les plus en renom, Madame Nathalie Portman, – laquelle avait commencé sa carrière très jeune, à douze ans, dans le film de Luc Besson Léon, avec pour partenaire Jean Reno –, se plaignit des lettres salaces qu’elle reçût après la projection du film de la part d’hommes adultes qui y exposaient leurs fantasmes de viol d’une toute jeune fille aux seins à peine naissant. Voilà qui est sûrement plus que désagréable pour une jeune adolescente, mais qui soulève dans un premier temps la question du rôle des parents qui apparemment n’ont rien fait pour bloquer ces courriers. Même pour conserver l’aura du succès obtenu par leur fille, il me semble qu’ils eussent dû détruire ces lettres ordurières avant que leur enfant ne les lût. Ces lettres eurent un effet sur les comportements de l’adolescence qui raconta comment elle choisit dès lors le profil de jeune-fille sérieuse, studieuse, habillée de la manière la plus sobre possible jusqu’à ce qu’elle devienne adulte.
Cependant, dans le discours de Madame Portman qui, à présent, est une adulte avec déjà une belle carrière derrière elle, ce ne sont pas ces lettres concupiscentes, aussi condamnables fussent-elles, qui a appelé mon attention, c’est sa conclusion. Elle y appelait de ses vœux « un monde sans fantasme » (sic !). Voilà qui est, sinon surprenant, à tout le moins des plus étranges pour quelqu’un qui vit, travaille et gagne beaucoup d’argent précisément dans l’industrie cinématographique hollywoodienne dont nous savons, depuis sa fondation, qu’elle n’est, pour l’essentiel et hormis quelques célèbres exceptions, rien moins qu’une machine à fabriquer du rêve, du fantasme, de l’idéal à trois sous, du glamour, de la propagande patriotarde plus ou moins habile et tous les poncifs sentimentalistes du moment ? Faut-il qu’elle soit ignorante, naïve ou hypocrite pour oser avancer une telle assertion. Tous les fantasmes masculins et féminins, psychologiques, politiques, sociaux et sexuels y ont été portés à l’écran plus ou moins explicitement. Tous les acteurs et les actrices, sauf exceptions notables, sont des personnes belles, désirables, sexy, élégantes, glamours, hyper féminines ou hyper viriles et, last but not least, des machines à faire de l’argent précisément parce qu’elles font rêver spectateurs et spectatrices se projetant en elles, et offrant des images d’identifications fantasmatiques à autant de héros et d’héroïnes positifs, triomphant du mal, éliminant les méchants pour installer le bien et la justice, en bref une société juste et bienheureuse.
Voilà un discours d’une totale hypocrisie parce que Madame Portman participe à ces mises-en-scène de la vie fantasmatique qui font accroire les foules esbaudies qu’elles aussi pourraient participer à ce monde de luxe, d’amour romantique, de courage exceptionnel et de gloire, de passions amoureuses fulgurantes où l’argent ne compte guère, de rencontres inattendues, de miracles soudains, de méchants qui meurent ou se repentent, d’un monde où les politiciens véreux et corrompus sont bannis par une justice qui toujours finit par triompher du mal… Ita missa est ! Sur ce thème le remarquable film de Woody Allen, The Purple Rose of Cairo (1986) mérite d’être apprécié à la grande valeur de son pertinent commentaire de l’esprit du temps ; en effet, il traite précisément, en pleine crise des années 1929-32, de la mécanique de cette machine à fabriquer du rêve pour les masses paupérisées. Certes, il faut le reconnaître franchement, Hollywood produit parfois des films sombres et lugubres, mais même ceux-là finissent, sauf rarissimes exceptions, avec la happy-endexigée par les producteurs. En revanche, rappelons-nous qu’Hollywood ne pardonne jamais à ceux qui ont bravé le tabou du beau, du bien et du vrai, quand ils narrent, au plus près d’une réalité historique sanglante, la violence extrême qui a présidé à la construction de la Nation américaine. Ainsi la véritable guerre de classe qui a fondé les USA lors de la conquête de l’Ouest, mise-en-scène sans fantasmes idéalistes du bon et du bien social, du moral ou de l’immoral sexuel comme cela est exposé dans le chef-d’œuvre de Michael Cimino,Heaven’s gate, a prouvé, par la mutilation du montage voulu par le metteur en scène et le boycott général dont il fit l’objet à sa sortie aux États-Unis, qu’Hollywood ne plaisante jamais quand il s’agit précisément de dénoncer les fantasmes de démocratie et de bons sentiments qui finissent toujours par triompher dans les Westerns, les films policiers et les films de guerre.[2]Même Orson Wells au sommet de sa gloire ne put conserver le montage original deTouch of Evilavec sa fin sinistre, il fut obligé de transiger avec les producteurs.
Devenir adulte
Si nous restons au sein des civilisations occidentales prémodernes, celles qui ont évolué vers la modernité depuis la Grèce (sans nous aventurer chez les sauvages qui soulèvent des problématiques différentes), il semble que le fantasme y fasse partie intégrante de l’imaginaire humain, nourrissant tant la politique, l’utopie, l’art, la littérature, la peinture et la sculpture, que la déviance sociale et sexuelle. J. Laplanche et J.B. Pontalis[3]définissent le fantasme comme un « scénario imaginaire où le sujet est présent et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, visant l'accomplissement d'un désir et, en dernier ressort, d'un désir inconscient ». En bref, le fantasme vise à vivre dans l’imaginaire plus ou moins consciemment, et pour les artistes à représenter, un désir inaccompli ou impossible à accomplir dans la réalité en ce que le surmoi (les normes socio-culturelles) en pose les bornes de l’interdit. Et si, comme cela arrive quand la formation de la personnalité dans l’enfance a été perturbée pour diverses raisons familiales ou sociales, le surmoi est impuissant à bloquer une pulsion construite dans l’imaginaire convoitant l’appropriation sans réserve de l’objet du désir par ailleurs interdit, nous avons affaire à ce qu’il est convenu de nommer un état pathologique qui n’est pas uniquement l’apanage du sexuel, mais qui peut se fixer sur la religion à une époque (le blasphème[4]), sur la marchandise à une autre (le vol compulsif[5]). Quant aux sauvages, ils conjurent leurs fantasmes qu’ils comprennent souvent, croit-on savoir, comme des réalités immédiatement possibles et souvent dangereuses, avec des rituels, et des rituels parfois fort cruels, ou les thérapies parfois violentes du shamanisme ou de la sorcellerie/contre-sorcellerie.
Chez Lacan, « le fantasme est un montage grammatical où s'ordonne suivant divers renversements le destin de la pulsion, de telle sorte qu'il n'y a plus autre moyen de faire fonctionner le « je » dans sa relation au monde qu'à le faire passer par cette structure grammaticale ». En d’autres mots, le fantasme est la frustration tendue vers « cet étrange objet du désir » (le sexe) qui stimule les images du possible et construit un discours détourné, parfois violent ou simplement irréel (illusoire) de l’appropriation du sexe de l’autre ou de tous ses substituts. C’est cette dialectique de la frustration de l’objet sexuel désiré par le « je » qui engendre le fantasme du sexe avec ses substituts métaphoriquement infinis comme, par exemple, la bottine de la servante dans Le Journal d’une femme de chambrequi est évidemment le substitut du sexe et du viol. D’autre substituts peuvent se fixer sur le pouvoir économique ou politique. En effet, faut-il le rappeler, Freud et ses divers héritiers soulignent que la structuration de la personnalité humaine se construit autour des rapports de sexes simultanément conscientisés, rêvés (d’où le rôle central de l’analyse des rêves) et détournés de leurs rapports initiaux. En parlant de « montage grammatical » Lacan nous indique comment comprendre la voix du verbe des frustrés et des obsédés du sexe sans plus la contrainte du surmoi. Or l’intelligence de cette parole à interpréter et comprendre (ce qui ne veut pas dire y acquiescer !), est repoussée férocement par ce néo-féminisme. Ainsi tout écart de langage proféré par des hommes usant d’expressions qualifiées d’inappropriées, de grossières voire d’humiliantes, devient source de prohibition, d’interdiction, de répression policière. Cependant, faut-il le rappeler, les fantasmes qui restent au niveau du langage, de l’expression visuelle, de la peinture, de la poétique, de la danse, manifestent précisément le non-accomplissement pratique du fantasme, par le fait qu’il se substitue à l’action en la métaphorisant et la métonymisant, en bref, en la subsumant sous divers fards. En d’autres mots, beaucoup d’hommes et de femmes ont des fantasmes de pédophilie, de viols ou de crimes qu’ils n’énoncent pas même, et qui cependant nourrissent leurs rêves, voire chez certains artistes leurs œuvres, mais dans la praxis, dans la réalité explicite de la vie quotidienne, ils ne violent ni ne tuent.[6]Or cette barrière, le surmoi qui bloque la libido dans le passage du fantasme comme discours à l’acte lui-même métaphorique ou direct tiennent ensemble, ajointés, du propre de l’homme ou si l’on préfère de la nature humaine déjà moderne. Si donc, pour une raison quelconque, la barrière se révèle fragile, dysfonctionnelle, pis impuissante, nous savons, au moins depuis les Grecs, qu’elle engendre l’hybris, le dérèglement, la dysharmonie, l’excès. Dans le cas emblématique et originel d’Œdipe la non-structuration du fantasme mène directement au meurtre réel du père, à l’inceste, à l’automutilation comme refus du réel (Œdipe se crève les yeux pour ne plus le voir) et, last but not least, au suicide de la femme-mère objet du désir sexuel (Jocaste). En d’autres termes, quand la norme sociale ne fonctionne plus en tant que censure, i.e comme castration, le « je » du désir joue avec son objet sur un mode perçu et interprété par le sociuscomme pathologique. Aussi ses diverses manifestations explicites entendues comme violence du désir sont-elles comprises comme perversions ou paraphilies inadmissibles par le sociuset n’ont d’autres solutions que l’enfermement en hôpital psychiatrique (c.f., pour les multiples exemples l’ouvrage séminal de Richard Freiherr von Krafft-Ebing, Psychopatia sexualis, 1886).
Si l’on accepte cette approche systématiquement pathologique et répressive du fantasme qui eût fait frémir Marie Bonaparte, Deleuze et Guattari, Foucault et Lacan, il eût fallu alors, dès les premiers symptômes, enfermer et soigner Weinstein : c’était un malade ainsi que d’autres dénoncés depuis (et certains souvent sans preuves) pour leur passage à l’acte. Mais voilà, l’homme habile et puissant dont la pathologie faisait la gloire de certaines était protégé par un silence jusque-là totalement complice, et d’aucuns savent que l’on ne tue pas la poule aux œufs d’or ![7]Ainsi, suite à ce scandale, c’est peut-être le tiers des producteurs et des acteurs d’Hollywood dont la place normale eût été en hôpital psychiatrique ou en prison. Sans entrer à présent dans le débat soulevé par Foucault dans Histoire de la folie à l’âge classiqueet dans Surveiller et punir, la seule question qu’il eût fallu poser et bien sûr qui n’a pas été posée, eût été de savoir quelles sont les conditions psychosociales et psycho-économiques qui engendrent un tel désordre du comportement dans une société où le spectacle cinématographique des rapports homme/femme, exposés souvent au-delà de la limite de l’exhibitionnisme érotique par de célèbres metteurs-en-scène avec nombre de jeunes et moins jeunes actrices, est omniprésent aussi bien sur les écrans (voir pour les plus explicites Basic Instinctavec Sharon Stone, Harcèlement, avec Demi Moore, 9 semaines et ½, avec Kim Basinger, Pulp Fictionavec Urma Thulman, ou Briget Fonda dans Jackie Brown, etc…) que dans la vie publique des stars. Hollywood est toujours le haut lieu de l’exposition des charmes féminins, mais aussi masculins si l’on regarde les partenaires de ces beautés, Michey Rourke, Mickael Douglas, Bruce Willis ou Samuel L. Jackson comme objet central du désir positif ou négatif…
Ce n’est pas l’effet du hasard si Freud fonde le concept de « complexe d’Œdipe » autour duquel se joue l’accession à l’âge adulte sur le mythe d’Œdipe, en effet, dans ce récit grec sont rassemblés et les fantasmes et le passage à l’acte. Aussi devenir homme et femme adulte, c’est-à-dire un être humain qui sait contrôler les pulsions de sa libido par rapport à l’autre reconnu comme tel par le « je », et n’en vivre l’hybrisqu’en rêve, en peinture ou en littérature, cet homme et cette femme doivent-ils, pour se faire, tuer fantasmatiquement le père pour le premier, la mère pour la seconde, c’est-à-dire accepter ce que Lacan nomme la « castration », en d’autres mots, accepter le réel des structures exogamiques élémentaires de la parenté. Il faut donc que ces adultes aient intériorisé la frustration du désir initial pour le cantonner dans fantasme rêvé[8], afin de trouver les modalités d’une vie sexuelle socialement acceptable où mère et père ne sont jamais des partenaires sexuellement partageables. Or pour que le fantasme demeure dans le seul champ de l’imagination personnelle, il faut que celui ou celle qui est un (une) adulte en devenir sache peu à peu dominer et maîtriser ce désir premier (désir inaugural) pour, au bout du compte, accepter de ne jamais se substituer à l’un des partenaires de la scène primitive dont il eût pu être parfois le témoin oculaire ou auditif, voire livresque. C’est ce qu’illustre parfaitement Leopold von Sacher-Masoch dans ses souvenirs d’enfance qui sont marqués par une scène primitive qui va conditionner toute sa vie d’écrivain, voire de très grand écrivain. Caché dans un cagibi chez des parents, il surprend sa tante qu’il nomme Zénobie en train d’humilier son mari. Elle le frappe à grands coups de fouet pendant qu’il jouit, mais lorsque la tante découvre l’enfant caché contemplant la scène, elle attrape le jeune garçon et le fouette de même pour le punir (?) ou peut-être pour le faire jouir (?) pour avoir osé partager ce moment qui lui était interdit.[9]Ici, punir et jouir, les deux interprétations sont plausibles et, chez certains adultes, voulues comme pratiques recherchées.
Il y a aussi la frayeur intense au moment de la découverte de la scène primitive par l’enfant comme la décrit Maurice Sachs dans son roman autobiographique Le Sabbat[10], lorsqu’il est réveillé en pleine nuit par les cris sauvages de sa mère faisant l’amour avec un amant. La croyant agressée, il entrouvre la porte de la chambre et la voit en train de chevaucher sauvagement un homme. Souvenir qui le hantera toute sa vie faite de désordre et d’errance. La vie « normale »[11]serait donc fondée à partir de cet encadrement psychologique et social, la « castration symbolique », où l’apprentissage de la sexualité « normale » bloquerait l’usage de la force qu’elle soit physique, bureaucratique ou financière afin de posséder sexuellement l’autre avec violence. Or cela ne semble pas fonctionner parmi des fractions importantes des populations européennes et étasuniennes.
Le néo-féminisme et le mâle
Cependant, pour Madame Portman une chose est sûre, le bonheur, voire la pureté éthique, seraient indubitablement gagnés par la société si elle était débarrassée des fantasmes masculins. On devine aisément la structure imaginaire d’une telle société où l’individu dans le sociusaurait sa libido sous le total et permanent contrôle d’un surmoi « sain » identifié à un législatif-répressif « juste ». De cette manière, nos sociétés seraient dépourvues de tout mal puisque le fantasme sexuel masculin est devenu le mal absolu incarné. On a aussi remarqué que dans cette vision angélique dirais-je, seul le mâle aurait une sexualité négative et agressive, irrespectueuse de l’autre en mettant en œuvre ses fantasmes mortifères comme l’affirme l’hyper néo-féministe française Madame Caroline de Hass. La femme n’aurait-elle pas aussi sa part maudite de sexualité[12] ? Chez ces djihadistes féministes il semble que non. La femme incarnerait le bien et le mâle le mal. C’est là oublier la froideur des chiffres des enquêtes sur la sexualité. Il y a presque autant de femmes que d’hommes qui regardent des films pornos les plus violents afin de mettre en mouvement leur désir. Dans le deuxième chapitre de l’ouvrage de Steh Stephens-Davidowitz intitulé, Google :Big Data, New Data, and what the Internet Can Tell Us About Who we really are, on trouve cette description qui surprendra à coup sûr les bonnes âmes du féminisme : « Parmi les recherches les plus populaires sur PornHubfaites par des internautes femmes, il y a un genre pornographique qui, je vous préviens, va troubler de nombreux lecteurs : le sexe avec violence contre les femmes. Au total, 25% des femmes qui cherchent du porno hétérosexuel mettent l’accent sur la douleur et/ou l’humiliation de la femme – « anal douloureux », « humiliation publique » et « gangbang extrême brutal » par exemple. Cinq pour cent cherchent des rapports sexuels non-consentis – « viols » ou « contraints » – même si ces vidéos sont interdites sur PornHub. Et les taux de recherche pour tous ces termes sont au moins deux fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. » Plus encore, si les hommes sont très souvent portés au frotteurisme[13]qui était considéré au XIXe siècle comme l’une des paraphilies menant ses adeptes à l’hôpital psychiatrique, en revanche une majorité de femmes sont attirées par les tueurs en série. Ainsi le tueur norvégien Breivik reçoit plusieurs centaines de lettre d’amour par an, l’une de ses fans l’a même récemment demandé en mariage, là nous sommes en face d’une perversion sexuelle qui pour nom l’hybristophilia.[14]En masquant les formes spécifiques de violence sexuelles réelles ou potentielles féminines on détermine a priorila femme comme dénuée d’une partie de la part « maudite » du sexe tout en faisant de l’homme l’incarnation même du mal défini malencontreusement par le syntagme « société patriarcale », ce qui voudrait dire que les systèmes de parenté matrilinéaires ne seraient pas « patriarcaux ». C’est mal connaître le monde archaïque, ce qui ne m’étonne pas de la part de consciences post-historiques. En effet, dans les sociétés archaïques à système de parenté matrilinéaire les rapports hommes/femmes étaient tout aussi archaïques que dans les sociétés patrilinéaires, la seule différence (certes elle est fondamentale pour la reproduction de l’organisation sociale) tenait à l’attribution des enfants à une lignée ou à un clan féminins et non masculins selon le cas ! Par exemple, l’enfant d’un couple appartenait à la lignée ou au clan de l’oncle maternel de la mère, ce que l’on appelle d’un terme technique issu du latin « avonculat ».
De fait, tous les discours théoriques des néo-féministes et leurs mises en œuvre pratique visent l’instauration d’un nouveau puritanisme sous la forme d’une inversion de celui qui dominait jadis l’époque victorienne, et dont le but explicite serait la volonté d’éliminer le mal, incarné par l’homme seul, être libidineux qu’il faut castrer parce que le moindre de ses gestes ou de ses regards réaliseraient ses fantasmes sexuels mortifères. A l’époque victorienne c’était la femme dont la sexualité « maléfique » devait être contrainte, aujourd’hui c’est celle de l’homme…[15]Une fraction de la société pense avoir résolu le problème en l’inversant ! J’en doute ! Mais l’explicite masque aussi l’implicite. Il s’agit pour les femmes de la bourgeoisie de prendre un pouvoir identique à celui des hommes de la bourgeoisie, pour le meilleur des mondes possibles de l’exploitation en faisant accroire à une plus grande sensibilité des femmes au malheur de l’humanité ! Il y a là tout le simulacre propre aux faux combats de la modernité tardive. La récente nomination à la tête de la CIA d’une dame qui avait organisé et surveillé la torture dans les prisons clandestines étasuniennes est certes un petit événement, mais très révélateur de l’hypocrisie du mouvement #Metoo. Aussi, quand l’État profond veut faire accroire une nouvelle légitimité de ses actions répressives, il désigne une femme, Condoleezza Rice, Madeleine Albright, Hillary Clinton, Margaret Thatcher, Theresa May, El Khomri, Vallaud-Belkacem, etc… Comme le déclarait avec un solide bon sens l’actrice américaine Susan Sarandon, (membre du parti démocrate et soutien de Bernie Sanders), qui resta sourde aux appels de Hillary pour un vote féminin : « je ne vote pas avec mon clitoris proclama-t-elle ! » Par ailleurs, ces hyper féministes veulent se couvrir à gauche, aussi prétendent-elles invoquer les leçons des grandes féministes socialistes du début du XXe siècle telle celles administrées par Rosa Luxemburg, mais elles en censurent l’essentiel, à savoir la dénonciation de toute collusion entre les visées politiques des femmes de la bourgeoisie et celles des luttes des femmes prolétariennes :
« Le devoir de protester contre l’oppression nationale et de mener la lutte, ce qui correspond à l’orientation de classe du prolétariat, trouve son fondement dans le « droit des nations », mais l’égalité politique et sociale des sexes ne découle d’aucun « droit des femmes »auquel se réfère le mouvement féministe bourgeois. Ces droits ne peuvent être obtenus que d’une opposition généralisée au système d’exploitation de classes,à toutes les formes d’inégalité sociale et à tout pouvoir de domination. En un mot, ces droits ne peuvent être déduits que des principes fondamentaux du socialisme ».[16]
Ayant remplacé les uns par les unes comme discours du sexuellement correct, a-t-on pour autant résolu le problème du pouvoir général d’exploitation, pas du tout, car un patron femme ça exploite de la même manière qu’un patron mâle. Si la dynamique du capital n’a pas de sexe, celle de la grande politique non plus ! Plus encore, a-t-on modifié le soubassement ontologique constitué par la permanence du fantasme sexuel ? La force du désir inhérent à l’espèce quand le regard se pose sur le principal objet du désir sexuel se serait-il atténué par les risques répressifs ? Certes non, c’est comme les résultats donnés par la peine de mort, celle-ci n’a jamais ralenti la criminalité. La lutte contre la pauvreté oui ! Ce nouveau discours du conformisme puritain propre aux nouvelles superclasses moyennes masquerait-il de sournoises et féroces luttes pour la défense de privilèges en un temps où, dans une civilisation de l’hyper-individualisme, les crises successives du capitalisme et le chômage rendent la manne plus limitée ? Plus encore, ce discours fonctionne comme si le mal dû à la sexualité des mâles en ses diverses modalités n’était pas fondamentalement inhérent à la condition humaine moderne ! Car la question demeure. Si l’homme, et donc le mâle, est bon par nature comme la majorité de ces néo-illumistes le pensent (à tort diré-je !), alors quelles seraient les conditions économiques et sociales qui engendreraient la psychédu mal dans le mâle ? On le voit clairement, Nathalie Portman et ses émules occidentales sur fond d’oubli des fondements techno-économiques de notre monde, cherchent à reconstruire une société épurée, une société transparente à elle-même, pure et puritaine, une société asexuée ou dé-sexuée où le désir des femmes tiendrait de l’angélisme et les fantasmes sexuels des mâles porterait le mal-pour-soi, une société non seulement sans fantasme, et, comme effet, elle ajoute avec candeur, « sans jalousie », oubliant que la jalousie est l’une des preuves les plus fortes de l’amour, certes parfois violente, mais preuve que la littérature à cent fois développé ! Mais l’amour n’est-il pas aussi violence ?
À ce sujet, le discours d’ouverture de la cérémonie des Oscars de cette année 2018 nous offre la démonstration que cet espoir d’un monde asexué travaille les élites du showbiz et du féminisme mondain. Au moment où le présentateur vantait les qualités esthétiques de la statue de l’Oscar, au moment où il notait ses mains apparentes, il ajoutait : « elle est dénuée de pénis ! » (sic!). Même sous forme de blague, il y a là, sous-jacent, l’horizon d’un modèle sociétal.[17]Il semble donc que Madame Portman et ses semblables en viennent à souhaiter une sorte de 1984 de la libido. Or il n’est pas de sexualité sans sa part d’ombre, sans sa part maudite[18]… L’idéal de pureté auquel aspirent les néo-féministes se trouve décrit dans le roman antitotalitaire d’Huxley Brave New World, dans la description d’une société qui serait totalement transparente à elle-même, univoque, sans ambiguïté ni polysémie, bref, le rêve de toute société totalitaire idéale que n’ont jamais pu mettre en œuvre, et ce malgré la violence de leur ingénierie sociale, les totalitarismes du XXe siècle.
Pour accomplir leur espoir d’une liquidation du fantasme sexuel masculin (il faudrait ajouter du féminin, mais les néo-féministes n’en parlent jamais) les néo-féministes ne proposent pas d’autre mesure que la répression policière et juridique, le vieux système de surveillance et de punition que des philosophes, des historiens et des psychanalystes à l’aube des années ‘60 avaient réussi à faire lentement abolir (sauf, ce qui est normal, pour le viol essentiellement suivi de meurtre). Si, comme il semble, la lutte pour un monde sans fantasme, un monde où le mal n’étant plus pratiqué il ne peut même plus être énoncé, alors se prépare les routes vers des goulags psychologiques et psychosexuels encore plus durs que ceux de l’Union soviétique ; des goulags où serait aménagées des cellules où des instruments hyper techniques permettraient d’interdire de rêver et de fantasmer ; et si, derechef il arrivait que des individus rêvassent, des systèmes d’enregistrement dénonceraient immédiatement les fautifs pour les punir sur le champ. Si cet espoir du nouveau puritanisme féminin arrivait un jour à se réaliser, il signerait la fin de toute société humaine fondée sur le rapport symbolique des jeux de langage pacifiques ou violents entre le « je » mâle et l’autre différent, la femme, entre le « je » femme et l’autre différent mâle. Alors le « je » ne serait plus simultanément un autre, mais un clone de moi-même. On arriverait ainsi à l’acceptation d’un état d’indifférenciation tant sexuelle que sociale de la masse, tandis qu’une minorité d’ingénieurs, élu.e.s d’entre les élu.e.s serait dispensé.e.s[19]du nouveau nomos, de la nouvelle loi de la normalité, à la fois celle du sexe et celle de la domination économique. L’écrasante majorité serait dressée à la vie asexuée des producteurs-exploités dans le nouveau « parc humain » où l’interdiction du fantasme irait bien évidemment de pair avec celle de la séduction, de l’amour, des écarts de langage, des gestes parfois déplacés, finissant d’accomplir l’ultime pas vers le contrôle absolu de toute représentation symbolique liée au sexe, voire même à la critique sexuée du sexe. Comme l’avait déjà formulé avec force Baudrillard : « La séduction représente la maîtrise de l'univers symbolique, alors que le pouvoir ne représente que la maîtrise de l'univers réel. »[20]Toutefois, dans la figure dessinée et souhaitée par les néo-féministes on aboutirait bien plus loin en ce que pourvoir symbolique et pourvoir réel ne serait plus qu’une seule et même praxis. L’espoir que nourrissent Madame Portman et de nombreuses néo-féministes radicales comme Madame Caroline de Hass en France, dessine une société qui nous déprendrait tous autant que nous sommes de la possible maîtrise du monde symbolique sexuel avec tous ses dérapages possibles, en appelant de leurs vœux un monde totalement lisse, sans ambiguïté aucune, sans rêves, sans fantasmes, sans jalousie, sans amour, un monde de la totale « transparence du mal », c’est-à-dire un monde sans repentir, sans chemin de Damas, et sans pardon. Une société « propre » où la libido ne pourrait plus exsuder ses fantasmes, un monde où, au bout du compte, la libido serait réduite à l’autosatisfaction sans reconnaissance de l’autre : le monde de l’onanisme schizoïde, celui des sexe toys, des poupées gonflables, de la contemplation des films pornos devant lesquels chacun se masturbe.
Plus encore, derrière le discours de Madame Portman, se précise simultanément le rejet de toutes les stratégies de la séduction au profit d’une relation purement contractuelle, donc juridique, où le partenaire est réduit à n’être qu’un sex toyutilisable selon les articles d’un contrat de vente avec son mode d’emploi et peut-être son service après-vente en cas de panne de désir quand le contrat l’exige. Quelque chose comme : tu me donnes accès à telle partie de ton corps, mais il te faut signer ici au bas de cette page de contrat pour que je ne sois pas accusé de harcèlement ou pis de viol. Or hormis les harcèlements grossiers d’individus ayant un surmoi affaibli pour diverses raisons psycho-sociales qui ont été déjà en partie analysées par Wilhelm Reich, Erich Fromm, Herbert Marcuse[21], les plus authentiques rapports amoureux et passionnels entre hommes et femmes, entre hommes et hommes, et femmes et femmes sont élaborés sur les jeux toujours ambiguës de la séduction, sur les jeux de l’« amour et du hasard » et du marivaudage qui ne sont pas, loin s’en faut, exempts de violence. Pour ceux qui auraient la curiosité de relire quelques célèbres exemples littéraires je les renvoie àLa Duchesse de Langeais, à La Recherche du temps perduavec les amours de Swan et d’Odette, de Charlus et de Jupien, à Venus Eroticad’Anaïs Nin, au splendide poème de Baudelaire, Madrigal triste, etlast but not least, auxOnze milles verges de Guillaume Apollinaire, etc…[22]Ces relations passionnées, complexes, souvent violentes, toujours ambiguës, à la limite de l’extase et de la mort (ne dit-on pas de l’extrême jouissance sexuelle qu’elle est la « petite mort »), sont absentes quand les relations de couples hétérosexuels ou homosexuels ne sont, las ! que des réunions de solitudes apeurées, ou pis et terrifiant, de sinistres arrangements financiers entre bourgeois ou petit-bourgeois, de lugubres et sordides transactions financières ou carriéristes dites et plus souvent non-dites qu’on maquille de manière obscène du nom d’amour et que j’ai pu tant de fois constaterparmi les couples rencontrés dans ma vie professionnelle ou mes loisirs.
A la lecture de témoignages et de romans réalistes il semble évident que la séduction qui est justement la mise en œuvre d’un fantasme en ce que l’étant désiré (la personne autre réelle) n’est jamais autre chose que l’incarnation particulière du désir général projeté par le « je », lequel, en théorie, ayant une fois obtenu satisfaction retrouve le vide existentiel préalable qui l’entraîne à réitérer le jeu de la séduction, ce qui le conduit parfois à substituer à l’autre humain un objet, voire de multiples objets dans une frénésie consommatrice de marchandises. L’exemple parfait de cette dynamique de la séduction comme désir ad infinitumd’une libido insatiable – comme le serait aussi tout désir qui se fixe sur la marchandise –, est décrit d’une manière quasientomologique dans le roman épistolaire de Laclos, Les Liaisons dangereuses.[23]Cependant, et faut-il simultanément le rappeler, la revanche de la vie sentimentale réelle – c’est-à-dire les frustrations, les lâchetés, les trahisons, les incompréhensions –, est souvent terrible. Dans les fictions, les séducteurs et les séductrices finissent tragiquement (Valmont, la Merteuil, Don Juan, la duchesse de Langeais parmi d’autres) et dans la réalité, lorsque l’âge vient, les séducteurs en série plongent lentement, mais irrémédiablement dans la déchéance dépressive comme Casanova à Prague ou le marquis de Sade, lequel à sa libération de la Bastille en 1789 après treize ans de prison (et avant d’y retourner pendant la Terreur, en être libéré après Thermidor et retourner en prison-asile quelques années plus tard à Charenton où il mourut en 1814), cessa de mettre en pratique ses fantasmes de séduction érotico-criminels pour en faire l’inspiration d’une des œuvres majeures de la littérature française que nombre d’auteurs français aussi importants que Apollinaire, Georges Bataille, André Breton, Paul Eluard, Simone de Beauvoir, Lacan ou Deleuze, ont commenté, adulé ou critiqué.[24]
Peut-être serait-ce le moment de rappeler aux bonnes âmes et aux dames patronnesses du néo-féminisme bourgeois que tous ces libertins obsédés de conquêtes féminines (et masculines) obtenues souvent avec des moyens dépassant les simples jeux d’une séduction verbale pour la perfidie, étaient desathées violemment anticléricaux, des hommes (et des femmes) pour qui les jeux souvent mortels du sexe et de l’érotisme sadomasochiste étaient un défi à la bienséance formelle et hypocrite prônée par l’Eglise catholique, apostolique et romaine et son parti de calotins dévots. On peut même affirmer sans détour que l’anticléricalisme radical est le fond même de l’œuvre de Sade, tout autant que celle de Laclos. À ces libertins comme on les nommait à cette époque, il faudrait ajouter la grande figure du féminisme intellectuel français du XVIIIème siècle, Madame Dupin, femme des Lumières, défendant le droit pour les femmes de gérer leurs biens et leurs œuvres librement, sans pour autant censurer ceux des hommes.[25]
Or, à présent, nous sommes à nouveau entrés dans l’ère de la censure morale, après la politique réduite à la moraline des droits-de-l’homme à géométrie variable, c’est-à-dire à la politique réduite aux émotions d’une sensiblerie superficielle diffusée massivement par la presse et les réseaux sociaux, l’heure est à la moraline sexuelle du nouveau puritanisme, c’est-à-dire aux dénonciations hypocrites au sein des classes supérieures. Ainsi, un groupe de harpies anglaises a réussi à faire ôter des cimaises du musée de la ville de Manchester (Manchester Arts Gallery) le tableau Hylas and the Nymphsde Waterhouse (1896)représentant de jolies nymphes la poitrine dénudée (haut lieu des fantasmes sexuels non seulement masculins, mais aussi féminins) contemplées par un jeune homme, le tout dans un décors de vérisme naturaliste symbolique.[26]Elles réactualisent un puritanisme que l’on croyait être disparu avec la révolution sexuelle des années ’60-‘70 et qui semblait avoir définitivement mis fin à l’hypocrisie du puritanisme victorien… Comme quoi, sous prétexte de liberté et d’égalité, et de lutte contre les abus et les fantasmes sexuels, le néo-féminisme nous réchauffe la potion du plus vulgaire puritanisme anglo-saxon. L’histoire se répète mais toujours sous forme de mauvais pastiches. Parce que l’hypocrisie patente de ce néo-féminisme se lit dans cette information très récente toujours venue d’Angleterre, celle du scandale de Teldfor, ville moyenne du centre-nord du pays, où à l’heure du « #balancetonporc » les groupements féministes, les médias et les autorités n’ont, jusqu’à très récemment, rien dit ni fait quand depuis 1980 près de mille jeunes filles anglaises ont été abusées sexuellement, torturés, avortées, voire prostituées par des gangs dont les membres étaient d’origine pakistanaise ou bangladaise. Les autorités pour se disculper affirmant qu’elles ne voulaient pas créer une atmosphère de racisme ![27]On croit rêver !
Fantasme et gender
Ayant très rapidement rappelé les antécédents littéraires et psycho-politiques qui illustraient les pratiques et l’imaginaire d’une culture où le fantasme sexuel créateur du sens symbolique, mais encore de violences réelles, avait fini par créer le réel (la vie de Sade, de Sacher-Masoch, de Nietzsche, de Lou Andrea Salomé, par exemple pour les plus célèbres ; de meurtres passionnels et de tueurs en série pour les plus sinistres) et engendrer, avec la naissance de la monarchie absolue puis celle de l’État républicain centralisé, sa répression par les pouvoirs de police et la science médicale, revenons, derechef, sur l’intention de Madame Portman et de l’hyper féminisme contemporain de vouloir mettre en œuvre « un monde sans fantasme sexuel ». Dans l’esprit de la star, le fantasme sexuel masculin et les représentations qu’il engendre se présente comme le mal absolu, c’est pourquoi il convient donc de l’éradiquer afin de bâtir un nouveau monde, une nouvelle Jérusalem terrestre où le mal incarné dans le mâle et par le mâle serait l’objet de la plus violente et féroce répression. En bref, elles visent le monde du bien permanent.[28]Or, sans le savoir peut-être, elle revient sur une bien vieille interrogation : comment peut-on concevoir le bien si le mal n’existe pas ? Le christianisme a proposé un lieu du bien absolu, mais c’était dans le monde céruléen, au-delà de la vie terrestre, celui de la Résurrection des âmes et du corps (nous ne sommes pas gnostiques, il s’agit bien d’une double résurrection) et du Jugement dernier. On affirme que celui qui incarne le mal dans le Nouveau testament, Judas, doit être d’une certaine façon révéré, en effet, sans sa trahison cupide il n’y eût pas eu la preuve de la divinité du Christ. Or le monde du bien dans l’au-delà s’obtient justement grâce à ce qui fonde l’originalité du christianisme (du moins dans ses versions d’où la prédestination est évacuée, donc partiellement anti-pauliniennes), rien de moins que la liberté humaine. L’homme peut donc faire le mal comme le bien, soit gagner les joies ineffables des cieux soit plonger dans les tourments infinis des flammes de l’enfer.[29]Et selon les théologiens chrétiens catholiques et orthodoxes il serait même naturellement enclin au bien si le péché originel n’avait pas corrompu son âme, aussi doit-il se racheter tout au long de sa vie terrestre. Or le monde sécularisé venu des Lumières n’est pas exempt, loin s’en faut, comme le christianisme, d’une foi solide en la naturelle bonté humaine en tant que qualité inhérente à l’espèce, c’est même cela, après Rousseau et contre Hobbes, la profession de foi et le soubassement ontologique de toutes les philosophies politiques des Lumières, de Kant à Marx, et de toutes les sciences humaines de Durkheim à Lévi-Strauss, de Boas à Marshall Shallins.
Revenons une fois encore aux souhaits de Madame Portman et regardons-les comme symptômes d’« un monde sans fantasmes sexuels masculins » qu’il faut nécessairement et logiquement mettre en rapport avec la théorie de genre. À diriger le regard au-delà des pleurnicheries compassionnelles propres aux interprétations politiques du présent, la théorie du genre fonctionne comme une désexualisation de l’espèce humaine, comme une volonté de contredire ce qui a fait l’essence même de l’évolution de presque toutes les espèces, le rapport procréatif mâle/femelle qui n’est autre que le rapport ontologique à la vie, le das Daseinde toute vie. Ainsi selon cette théorie qui semble sortie de la tête d’un.e mutant.e le garçon ou la fille ne naissent pas mâle ou femelle, ils sont, dirait-on, fabriqués ainsi par les mœurs et les codes sociaux. C’est en partie indéniable et personne ne l’a sérieusement dénié puisqu’il y a divers comportements et jeux de rôles mâles et femelles propres à chaque culture et qu’elle enseigne à leurs enfants. Cet ensemble de mœurs contrastées les Grecs l’appelaient Paideia, les Allemands, Bildung, en français on dirait au plus près éducation. Nonobstant, ce n’est qu’en partie vrai, parce que jusqu’à présent c’est la différence sexuelle agencée culturellement et simultanément propre à zoéqui assurait la reproduction de l’espèce et qui, dans la majorité des cas, l’assure encore, posant aujourd’hui à l’humanité le problème gravissime de l’explosion démographique du tiers-monde, et plus précisément celle de l’Afrique noire. Cependant, si l’on en croit les informations fournies par la presse des sociétés les plus modernes, c’est-à-dire les plus scientifiquement avancées, nous apprenons qu’ici ou là un homme a été enceint, qu’il est devenu femme et qu’une femme est devenue homme. Déjà la maîtrise de la procréation par divers procédés chimiques ou matériels avait montré que l’indépendance des femmes, c’est-à-dire la séparation de la jouissance sexuelle et de la procréation, l’avait emporté sur la nature grâce aux progrès des sciences (chimie, physique, biologie, médecine et chirurgie) : la liberté physiologique de la femme et la maîtrise totale de sa sexualité étant exactement le produit de la technoscience, du Gestell, du « dispositif ». Il n’est donc pas éloigné le pas qui prépare la fabrication d’êtres vivants par fécondationin vitro, et mieux encore le moment de la copie à l’identique par clonage : on a déjà cloné des cellules souches, une brebis et des chiens beagles, rien n’empêchera demain de cloner des êtres humains, fabriquant hommes et femmes à la demande selon des caractères physiques et psychiques prédéterminés à la demande (de qui ?) par intervention directe sur l’ADN, car l’expérience du siècle précédent nous a appris qu’aucun code éthique ne résiste à la dynamique de l’infinie objectivation de la technoscience, laquelle, grâce à l’innovation permanente engendre simultanément les énormes plus-values du capital. Aujourd’hui nous sommes prêts à réaliser la fiction littéraire d’Huxley,Brave New World ! Et ce qui est en jeu tant dans le monde sans fantasme que dans la théorie du genre ce n’est pas, comme certains l’ont affirmé à tort, la création d’un monde androgyne pensé comme le commencement du monde avant que Zeus, selon Platon[30], ne mît des organes sexuels pour distinguer les hommes des femmes et construire ainsi le monde, thème qui fut repris au XIIIe par les kabbalistes de Provence.[31]Ce qui est en jeu aujourd’hui c’est la transsexualité et le transgenre qui précisément ne se peuvent matérialiser sans l’aide des progrès inouïs de la technoscience. Il ne s’agit ni de travestissements ni d’homosexualité, mais d’un monde du permanent turn overdu sexe par apophase ou, à tout le moins, par le discrédit dans lequel est tenu la « loi naturelle moderne ». De ce point de vue, il n’est pas sans intérêt de souligner une contradiction de poids propre à cette orientation radicalement confuse de la postmodernité, à savoir que les mêmes personnes qui plaident pour le transgenre et la transsexualité, c’est-à-dire pour une domination totale des lois de la nature et leur soumission totale à la volonté humaine du moment (au Zeitsgeist), s’affirment simultanément les avocats de la théorie des droits-de-l’homme comme essence de la « loi naturelle ». Il faudrait savoir où l’on en est ! La loi naturelle est ou n’est pas, ici il n’y a pas d’entre-deux. Or jamais comme aujourd’hui la confusion de la pensée n’a régné avec autant de désinvolture parmi de prétendus intellectuels, acteurs des humanités, et plus particulièrement dans les domaines de la sociologie et de l’anthropologie sexuelles voire aussi dans la philosophie sociale.
Dans l’un de ses meilleurs ouvrages, La Transparence du mal, Baudrillard, note, entre autres remarques que les activités humaines postmodernes sont caractérisées par un état « trans- » : trans-économie, trans-esthétique, trans-politique. Dans le deuxième chapitre consacré à la transsexualité, il remarque que le « corps sexué est livré aujourd’hui à une sorte de destin artificiel. Et ce destin est la transsexualité ».[32]Entrant dans la transsexualité, nous accédons à l’indifférenciation sexuelle souligne-t-il encore. Or, depuis mai 1968 et pendant les années qui suivirent, la sexualité était rapportée à la jouissance généralisée : « jouir sans entraves » était l’un des slogans qui ornait les murs de l’université de Nanterre, et beaucoup l’appliquèrent.[33]Pourtant, dès le tournant hyper féministe du début des années 2000, le sexe abandonna le discours de la jouissance sans barrière, et celui complémentaire de l’anti-répression, « il est interdit d’interdire », pour un nouvel état d’esprit répressif. Selon une sorte de mutation anthropologique de l’espèce, le sexe, comme la politique et l’art s’engagea dans un état de prothèse. Il est patent aujourd’hui qu’on oublie trop souvent que le jouir sans limite n’était pas inconnu des sociétés occidentales, ainsi, dès la mort de Louis XIV devenu bigot, dès la Régence, le XVIIIe siècle a été celui de la jouissance tous azimuts pratiquée par la classe aristocratique.[34]Au XIXe et au début du XXe siècles, moins voyante dans un siècle puritain, la jouissance effrénée de la grande bourgeoisie se déployait dans la fréquentation de célèbres bordels de luxe, de prostituées de haut-vol et de fêtes particulièrement dévoyées[35]. Pis, aujourd’hui il est évident que l’on ne pourrait plus montrer ni tourner un film comme celui du japonais Ogisa Noshiga, L’Empire des sens, 1976 (le titre original était littéralement « la corrida de l’amour »). C’est pourquoi les figures les plus emblématiques du show-bizpostmoderne illustrent le transsexuel, n’explicitant ni métaphores de la jouissance et ni fantasmes d’érotisme, mais quelque chose qui ressemble à des prothèses humaines semblables aux poupées mécaniques ou gonflables, plus récemment aux robots électroniques: Michael Jackson en mutant blanchi et reconstruit en zombi à coup de chirurgie qu’on peine à dire esthétique ; Madona l’agitée de l’aérobic au corps plastifié et au regard glacial ; David Bowie précisément au sexe indéterminé, être intersidéral venu des glaciations hyperboréennes ; Marylin Manson, sorte de clown qui semble sortir des oubliettes d’une forteresse médiévale, sans oublier l’inévitable Lady Gaga, sorte d’agitée frénétique, soulevée de soubresauts du bas-ventre dont on ne sait si elle est prise par la danse de Saint-Guy ou si elle s’obstine à contenir une envie pressante de déféquer. Voilà autant d’incarnations (et d’autres que j’oublie que l’on voit et entend sur tous les clips de MTV) de cette transsexualité spectaculaire que l’on peut encore saisir dans la manière contemporaine de danser : fini les tangos érotiques, les paso-doble sensuels, les valses musettes langoureuses, les slows voluptueux ou même le be-bop endiablé, maintenant on s’agite dans un chacun pour soi plongé dans la plus inaudible cacophonie métallique, noyé dans son individualisme onanique. Interrogé par un journaliste pour savoir si une jeune et jolie femme habillée de manière provoquante avait conscience de l’effet érotique provoqué sur les hommes par sa tenue, une militante féministe lui répondit que cela n’était pas son souci car elle s’habillait comme elle le voulait sans tenir compte des autres. Voilà tout est dit ! L’autre ne compte plus dans le transsexualisme, c’est « chacun cherche son look »[36], chacun pour soi dans une existence morne sans autre horizon que le règne absolu de la marchandise qui offre justement tous les simulacres de prothèses, si bien qu’« il ne reste plus qu’à faire acte d’apparence sans se soucier d’être, ni même d’être regardé(e) […] être soi devient une performance éphémère, sanslendemain, un maniérisme désenchanté dans un monde sans manières. »[37]Le paraître éphémère, l’avoir sans fin du consumérisme, la quête effrénée d’un bien-être déjà acquis a remplacé la quête de l’Être. Aussi, être soi dans notre présent n’est-il plus que l’apparence de soi le temps d’un jour, d’une soirée sans lendemain. On passe d’une apparence à l’autre au gré des modes les plus labiles dans une société sans aspérités, lisse, aseptisée, une société où comme l’écrit Baudrillard le mal ne peut plus être énoncé et symbolisé sous peine d’anathème, un monde que l’on ne peut plus amener au langage du fantasme. Si le mal ne peut être énoncé, le désir non plus parce qu’il entraînerait toujours une certaine dose de violence serait-elle métaphorique, métonymique ou imaginaire. Transparence du mal qui n’empêche pas que le mal travaille la praxissociale, mais, il doit être bien dissimulé dans le silence médiatique, et ne doit pas même être verbalisé dans la sphère privée.
Or ce monde-là sans aspérité c’est exactement le monde que souhaite Madame Portman et beaucoup d’autres bien moins célèbres qu’elle. Le monde sans fantasme sexuels masculins (des femmes il n’est jamais question !) ne fait que valider tardivement la fin de la révolution sexuelle et le jouir sans limite qui aux États-Unis avait commencé avec le mouvement hippie, le flower power, centré simultanément sur une politique d’opposition ferme à la guerre du Vietnam par une Amérique jeune et rebelle. Aujourd’hui s’il n’est plus question de jouir, il n’est pas plus question de mouvements de masses contestant les guerres impérialistes menées par les quatre grandes puissances occidentales.
Au contraire, le mouvement néo-féministe fondamentalement bourgeois en son essence, ne recherche que des privilèges pour les femmes de la bourgeoisie, de la petite-bourgeoise, en bref pour ce qu’il est convenu de nommer les upper middle class, dussent-elles pour certaines n’avoir que l’illusion d’y appartenir. On s’occupe beaucoup des stars abusées de Hollywood auxquelles furent promises de grandes carrières avec l’Oscar comme récompense, mais peu de la caissière de supermarché, de l’employée d’une entreprise de nettoyage, des ouvrières agricoles roumaines de Sicile menacées de licenciement si elles ne couchent pas avec le patron. Il est vrai que le supermarché, les seaux et les balais des femmes de ménages, les mains abîmées des ouvrières agricoles sont beaucoup moins glamour que le luxe hollywoodien[38]. Or dans ce bal des minorités cherchant des privilèges contre les majorités exploitées on entend peu parler aujourd’hui des femmes en tant que prolétaires. Ainsi le mouvement féministe étasuniens le plus puissants a, par la bouche de sa présidente, déclaré qu’elle n’organisera aucune manifestation contre la politique américaine et israélienne au Moyen-Orient tant que les femmes américaines ne seraient pas libérées. Aujourd’hui libérée de quoi ? Des fantasmes agressifs des hommes ou de l’exploitation salariale ? Voilà un bel argument qui doit enchanter les néoconservateurs de toutes acabits dans leurs entreprises militaires criminelles de par le monde.
Un monde du droit ou tout se paie, sans fantasmes et sans combat politique
Or justement, le monde sans fantasmes que préconise Madame Portman est précisément un monde du droit et non du combat politique où les rencontres entre les sexes ne sont pas des états fusionnels de sentiments et d’engagements intellectuels, mais des situations provisoirement fonctionnelles où toutes les tentatives d’attouchements et de verbalisation seraient garanties par autant de contrats préalables.[39]Arrivé à ce point de désexualisation, il n’est plus question de séduction, d’érotisme, de sublimation dans le rapport homme/femme, mais de fonctionnalités substituables que la science (médecine et chirurgie) et l’argent (payer des mères porteuses par exemple) peuvent déplacer tant sur le rapport homme/homme que sur celui femme/femme. En effet, dès lors que le mal n’est plus dicible, il n’est plus possible, sans être menacé de procès, voire d’enfermement, de verbaliser ou d’illustrer ses fantasmes dans les jeux de langage de la séduction, et de métaphoriser le désir en diverses manières, même parfois brutales car d’aucuns le savent, ne serait-ce que par des lectures poétiques, romanesques ou par des films, que le désir, la violence et la mort sont sans cesse au travail dans la passion amoureuse. Peut-être que dans notre présent postmoderne, postindustriel et dans une certaine mesure post-historique, l’amour, notion archaïque du rapport du « je » à l’autre, ne serait plus un problème de passion, parfois de passion dévorante, incendiaire, criminelle et mortelle, mais simplement un état contractuel momentané et labile de participants interchangeables. Ce qui serait – ô ironie cruelle de l’histoire ! – l’une des grandes victoires de la bourgeoisie la plus avancée de la modernité tardive.
Claude Karnoouh, Bucarest, mars 2018
[1] J’ai longuement glosé ce distique quasi métaphysique dans un ouvrage intitulé :Vivre et survivre en Roumanie communiste : Rites et discours versifiés chez les paysans du Maramureş, L’Harmattan, Paris, 1998. Paru en roumain dans une traduction d’Adrian T. Sârbu, Cluj, Dacia, 1999.
[2] On pourrait dire la même chose du film de Polanski, The Ghost Writerqui lui a valu la reprise par la justice étasunienne en 2010 de son affaire de viol close juridiquement vingt-cinq ans auparavant (le film avait été produit par Miramax, c’est-à-dire par Weinstein). Film qui dénonçait métaphoriquement la nature criminelle du pouvoir de Blair et sa collusion avec Bush pour déclencher la guerre d’Irak.
[3] Célèbres psychanalystes de l’école de Paris. Cf., Vocabulaire de la Psychanalyse, V° Fantasme, P.U.F., Paris, 1971.
[4] Dans ses mémoires le cinéaste surréaliste Luis Buñuel note que les Jésuites lui avaient fait tant aimer la Vierge que collégien il lui arrivait de se faufiler dans la solitude de l’église du collège pour se masturber devant l’une de ses statues.
[5] Cf., le film de Robert Bresson, Pickpocket, 1959.
[6] Exemples remarquables de Balthus, Thérèse rêvant, fantasme sexuel masculin et La Leçon de guitare, fantasme sexuel féminin. Une association féministe a lancé il y a un mois de cela, dans la foulée du mouvement #Metooune pétition qui a recueilli plus de 10 000 signatures afin de faire enlever des cimaises du MMA le tableau de Balthus Thérèse rêvant, sous prétexte de suggestions sexuelles dangereuses, ce que le musée a refusé fermement.
[7] Je ne traiterai pas ici du pourquoi une dénonciation aussi tardive, qui ressemble bien plus à un règlement de compte entre mogols du business qu’à une opération d’éthique sociale et individuelle.
[8] Jacques Lacan, Écrits, 2 tomes, Edit. du Seuil, Paris, 1971.
[9] Leopold von Sacher-Masoch, La Madonne à la fourrure, Paris, 2009. Original, Venus im Pelz, 1870.
[10] Maurice Sachs, Le Sabbat, Corréa, Paris, 1946.
[11] La question de savoir quelle serait l’essence d’une « vie normale » demeure en suspend et n’est pas débattue dans ce bref essai.
[12] Sur le sujet à voir le très subtil et sinistre film de Luis Buñuel, Belle de Jour, 1967.
[13] Néologisme construit sur le verbe frotter.
[14] Cf., The Strait Times, 19 août 2015, sur www.straitstimes.com.
[15] Cet aspect de la répression masculine comme faux combat souhaitée par les groupes féministes les plus radicaux et certaines vedettes de cinéma les plus en renom, a été parfaitement déconstruit par le metteur-en-scène autrichien Michaël Haneke in : http://www.defenddemocracy.press/controlling-society-a-sexual-counter-revolution/et par l’article : http://www.defenddemocracy.press/the-public-humiliation-and-destruction-of-metropolitan-opera-conductor-james-levine/
On remarque la même attitude chez Angela Davis, seule combattante féministe étasunienne à avoir fait de la prison parce que militante communiste (et universitaire), qui avait placé la lutte de l’émancipation des femmes prolétaires, et plus précisément des femmes noires sous-prolétaires au centre de son combat, ainsi que son opposition radicale à la guerre du Vietnam.
[17] Sur le rôle de la blague et du mot d’esprit, cf., Sigmund Freud, Der Witz und seine Beziehung zum Unbewußten, Vienne, 1905.
[18] Il y a dans le roman de Céline Voyage au bout de la nuit(à l’époque médecin dans un cartier populaire du Nord de Paris) une scène de sadomasochisme d’une violence extrême et d’un rare réalisme psychique où un couple s’apprêtant à faire l’amour attache sur un lit leur enfant, une fille de 8 ans afin qu’elle les voie forniquer, et tout en forniquant ils la battent. On voit ici comment le fantasme sexuel non-contrôlé par le surmoi (ou le phallus selon la terminologie lacanienne) devient praxisdu mal dans le réel quand il se réalise.
[19] Pour garder un style politiquement correct, j’ai mis ces deux mots sous forme de l’écriture inclusive comme le souhaitent les néo-féministes françaises.
[21] Le lecteur averti aura remarqué que j’ai pris l’option théorique freudienne de l’Ecole de Paris, et surtout de Lacan. Je connais fort bien les critiques adressées à Freud par Adler, Jung, Reich, et d’autres sur la conception de la libido et le sexe. Ici n’est pas le lieu d’un tel débat, cependant je tiens à assumer mon choix théorique en ce que le sexe est sa castration sont la dynamique ontologique de la libido. Que Karl Popper affirme que la psychanalyse est une pseudoscience, c’est l’énonciation grotesque d’un matérialisme scientiste, surtout après que Lacan unit Freud et l’herméneutique existentielle heideggerienne. La psychanalyse est l’interprétation d’un discours et non une explication qui chercherait des règles scientifiques intangibles propres à la production d’un état psychique singulier (cela la psychologie le fait !), même si l’on peut généraliser certaines configurations comme le meurtre du père et la castration. En ce sens, je me sens éloigné de Laplanche qui refuse l’analyse phénoménologique à la psychanalyse. Il faudrait par ailleurs développer l’apport très original de Heidegger à la Daseinanalysedéveloppée par Ludwig Binswanger et Medar Boss : cf.,Ludwig Binswanger,Analyse existentielle, psychiatrie clinique et psychanalyse : Discours, parcours et Freud,Gallimard, Paris, 1981.
[22] N’ayant voulu trop alourdir le texte je m’en suis tenu à quelques exemples pris dans la littérature française.
[23] Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereusesou Lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres. Paris, 1792.
[24] D’abord les surréalistes qui manifestent leur admiration littéraire et politique, cf., l’article de Paul Éluard dans le numéro 8 du 1er décembre 1926 de la revue La Révolution surréaliste : « D.A.F. de Sade, écrivain fantastique et révolutionnaire ». Cet aspect révolutionnaire de Sade est illustré par le film de Buñuel en collaboration avec Salvador Dali, l’Âge d’or, 1930, et plus tard avec La Voie lactée, 1969.
Après la Seconde Guerre mondiale, Blanchot, Klossowski, Simone de Beauvoir, Lacan, Foucault, Sollers, Barthes et Deleuze montrèrent l’importance de l’œuvre de Sade dans l’élaboration d’une modernité sécularisée saisie au travers de l’enfermement de la « folie » érotique, sadomasochiste et radicalement anticléricale.
Il faut enfin noter la très importante pièce de Peter Weiss sur le rapport entre révolution, folie et répression : Marat-Sade (Die Verfolgung und Ermordung Jean Paul Marats dargestellt durch die Schauspielgruppe des Hospizes zu Charenton unter Anleitung des Herrn de Sade),1963, pièce traduite en français par Jean Baudrillard, Marat-Sade,(La Persécution et l'Assassinat de Jean-Paul Marat tel que monté par les patients de l'asile de Charenton sous la direction du Marquis de Sade), Seuil, Paris 1965.
[25] Cette grande dame dont le salon était le rendez-vous de tous les écrivains et philosophes les plus critiques de la monarchie absolue dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, fût l’arrière-grand-mère d’une autre femme célèbre pour son indépendance sentimentale et professionnelle, George Sand, née Aurore Dupin, brillante et grande combattante du droit à l’indépendance des femmes, disciple du penseur socialiste Pierre Leroux et fermement opposée au mariage et à l’Eglise catholique tout en étant chrétienne.
[26] Il est vrai qu’après une très vigoureuse protestation du public, le tableau est retourné à sa place au musée.
[27] https://www.mirror.co.uk/news/uk-news/schoolgirl-fell-pregnant-six-times-12171253
[28] Je me suis souvent interrogé pour savoir où pouvait se tenir le bien absolu dans la vie terrestre. Cette interrogation était née quand le Président Reagan avait déclaré que l’URSS était l’empire du Mal. J’avais interrogé le réel pour savoir où était l’empire du Bien ? J’avoue humblement ne l’avoir jamais trouvé !
[29] Les catholiques ont inventé le Purgatoire comme lieu intermédiaire du jugement pour les pécheurs où se déciderait en ultime instance dans quelle direction se dirigera leur âme, vers le Paradis ou vers l’Enfer.
[30] Le Banquet, (189c-193e).
[32] Jean Baudrillard, La Transparence du mal, chap : ‘Transsexuel’, p. 28. Galilée, Paris, 1990.
[33] Je rappelle que les premiers mouvements contestataires à l’Université de Nanterre qui eurent lieu dès la rentrée universitaire en octobre 1967 avaient pour thème la demande des étudiants et des étudiantes de pouvoir rester coucher dans les chambres des garçons ou des filles selon les circonstances, puisque que dans la résidence universitaire les bâtiments des filles et ceux des garçons étaient séparés.
[34] Voir à ce sujet parmi l’immense littérature de la philosophie de boudoir et les illustrations érotico-pornographiques d’époque, Diderot, Les Bijoux indiscrets, 1748 ;Crébillon fils, Le Sopha, 1742 ; Mirabeau, Ma conversion, ou le libertin de qualité, 1783, Laclos et Sade déjà abondamment cités ; enfin, l’excellente synthèse, Romans libertins du xviiiesiècle, éd. P. Wald Lasowski, Paris, 2000. Etsur le mode plus léger les excellentes illustrations dans le film de Bertrand Tavernier, Que la fête commence, 1975, Patrice Lecomte, Ridicule, 1996, Sophia Coppola, Marie Antoinette, 2012.
[35] Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, Paris, 1869 ; Emile Zola, Nana, Paris, 1880.
[36] Jean Baudrillard, Ibid., p. 30.
[37] Ibid., p. 31.
[38] Seul un obsédé comme DSK s’est fait prendre au piège avec une femme de ménage dans un hôtel de New York. Cependant beaucoup pensent que cet incident a été une mise en scène à partir du point faible de l’homme (priapique) pour évincer un directeur général du FMI devenu trop curieux et trop encombrant. Et oui la libido peut aussi servir de règlement de compte sous-terrain et de coups fourrés comme le rappelle l’histoire du ministre Profumo en Grande-Bretagne, piégé par une très belle call-girltravaillant pour l’ambassade soviétique à la fin des années ‘50.
[39] Cette déraison appelée aussi le politiquement correct touche tous les domaines. Ainsi des groupes de noirs veulent présentement retirer la littérature anglaise du cursus de l’enseignement universitaire sous prétexte du racisme des auteurs et n’étudier que les auteurs noirs américains, comme quelques temps auparavant ils avaient voulu, avec la complicité de quelques professeurs blancs démagogues, démontrer que la philosophie grecque était née dans la haute Egypte, parmi les noirs africains de ce qui est aujourd’hui le Soudan. Ces assertions donnèrent lieu aux fameux débats sur Black Athenadont les plus importants hellénistes des années 1980-2000 démontrèrent la grossière imposture.
Cf., Martin Bernal, Black Athena: Afroasiatic Roots of Classical Civilization, III volumes, Rutgers University Press,1987 1991, 2006.
Sa critique par, Mary R. Lefkowitz, Black Athena Revisited, The University of North Carolina Press, 1996.
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