mercredi 29 juillet 2015

La liberté d’expression entre la loi, l’éthique et la vérité

La liberté d’expression entre la loi, l’éthique et la vérité




Mon titre je l’avoue humblement est un peu pompeux pour un court essai sur la liberté d’expression. Pour tenter de démêler quelque peu ce nœud de problèmes il faudrait plusieurs gros volumes rédigés dans la tradition de la philosophie germanique du XIXe siècle avec de très nombreuses notes en bas de page. Cependant, par ce titre je voulais simplement signaler ou rappeler la complexité d’une problématique à laquelle renvoie la notion de liberté d’expression qui ressemble à s’y méprendre à un mot valise, ou plus trivialement à une auberge espagnole, on y met tout ce que d’aucuns apportent.
En effet, il suffit de lire et d’écouter les commentaires sur tel ou tel sujet controversé où chaque protagoniste se jette à la figure « liberté d’expression » pour être submergé immédiatement par les vociférations des gardiens des temples de la vérité et de la bienséance (c’est-à-dire du politiquement, philosophiquement, sociologiquement et historiquement corrects). Leurs cris d’orfraie appellent qui à la décence, qui aux respects des victimes, qui aux années les plus sombres de notre histoire, au respect des croyances, qui d’autre à la mémoire de je ne sais quel massacre, etc… A la limite le Bon, le Beau et le Vrai « absolus »seraient déterminés d’une part par la loi (le vote des représentants du peuple, mais en réalité le pouvoir politique simple) et, de l’autre, par ceux qui s’auto-intitulent les représentants de l’opinion publique et les gardiens de l’éthique publique, les serviteurs des médias. Plus encore, lorsqu’il s’agit d’argumenter au nom de la liberté d’expression on se heurte à divers intellectuels, enseignants et chercheurs, qui s’insurgent de l’usage de telles ou telles paroles, lesquelles seraient contraires à la vérité, soit porteuse d’erreur pour ceux qui prétendent faire des sciences humaines des sciences, soit de mensonges pour ceux qui s’en tiennent aux humanités comme discours, tant et si bien que la liberté d’expression ne se pourrait formuler en public qu’en respectant ce que diverses instances et divers pouvoir (lesquels ?) déterminent et imposent comme la seule et unique vérité. Il en va tout autant dans les articles de journaux commis à cet effet. On éprouve ainsi le sentiment que les affirmations que la presse impose à l’encontre de celles qu’elle repousse avec vigueur, tiennent d’une Vérité absolue transcendante. Comment donc s’orienter dans cette confusion de pensées pour parodier une  célèbre formulation de Kant.
Commençons donc par la loi. Immédiatement nous nous retrouvons confronté au vieux problème fondateur du rapport de la politique et de la morale. Comment concilier la loi politique et la loi morale ? Thème qui est à l’origine de la singularité de la pensée politique exprimée avec une force inégalée par la tragédie avec son effet escompté, la catharsis : scène théâtrale où s’affronte d’un côté la loi politique Créon, et, de l’autre, la loi morale, Antigone. Selon Sophocle la loi morale est donc supérieure à la loi politique, en d’autres mots, la loi morale peut-être illégale, mais elle est légitime, tandis que la loi politique est légale, elle est même la loi par excellence, mais elle peut-être profondément illégitime en ce qu’elle nierait le minima de la loi morale humaine qui, dans ce cas, ordonne d’honorer ses parents morts malgré une ordonnance du Prince. Vieux thème antique réexaminé par Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem où elle n’a pas hésité, contre la solidarité tribale, à  affirmer ce qu’elle considérait comme une vérité supérieur, à savoir la collusion de certaines autorités religieuses juives avec les tortionnaires nazis dans certains ghettos d’Europe orientale (mais aussi en France à Drancy) pour se sauver au mépris de toute solidarité dans l’adversité. Appliqué à la liberté d’expression, la supériorité de la loi morale devrait nous conduire à refuser toute censure, même si, comme l’affirme un proverbe français: « toute vérité n’est pas bonne à dire ». Si bien que vue dans cette optique, la liberté d’expression serait en quelque sorte la plus haute expression de la loi morale quitte à heurter, choquer, offusquer, blesser, scandaliser, offenser, indigner, vexer, dépiter, humilier des gens. En effet, puisque la liberté d’expression est une des parties de la liberté d’opinion, cette liberté placée en principe par la loi morale au-dessus de tout, ne se peut pas diviser et doit donc s’avancer dans sa totalité, sans rien omettre.
Or partout, dans le monde des limites sont imposées par le pouvoir politique à cette liberté d’expression. Ces limites se nomment la loi, et la loi c’est le droit positif. Dès lors la question se posa ainsi: qui établi le droit? Et c’est toujours le pouvoir législatif qui établit le droit. Or dans les pays moderne c’est toujours le pouvoir législatif qui établit le droit, lequel n’est qu’une face du pouvoir politique. Si bien qu’en ultime instance, on peut affirmer sans se tromper que le droit est administré par le pouvoir politique. Ou plus simplement, à un moment donné le droit positif est forgé par la fraction du corps social qui détient la puissante politique, et ce quelle que soit la forme du pouvoir politique. C’est pourquoi la liberté d’expression encadrée dans des limites par le droit positif est de fait une liberté d’expression contrôlée par le pouvoir politique, lequel conçoit la liberté en tant que possibilité théorique réelle, mais à la seule condition qu’elle ne menace point son pouvoir. En conséquence de quoi, c’est le pouvoir politique qui détermine ce qu’il peut être dit « librement » et ce qu’il faut taire « librement ». C’est pourquoi la liberté d’expression fait toujours problème. En effet, pourquoi est-il dangereux d’outrepasser les limites tracées par le droit positif voulu par le pouvoir politique ? Les uns affirment que telle ou telle assertion n’est pas une opinion mais un crime puisque l’énoncer est puni par la loi ou qu’i s’agit d’une opinion criminelle parce que antihumaniste (Qu’est-ce que l’humanisme ? ! D’autres font appel à la science, affirmant que le fait de propager des erreurs entraîne des discours de popularisation dangereusement mensongers. Cependant il y tant d’affirmations mensongères dans la vie politique que l’on se demande en quoi faut-il interdire certaine et en permettre d’autres : par exemple la négation de la Shoah, du génocide arménien, des doutes sur l’absence d’implication des services US dans les attentats du 11 septembre 2001 sont interdits, mais les armes de destruction massive de Saddam Hussein, les nouveau-nés assassinés dans les crèches des hôpitaux koweitiens par les soldats irakiens en 1992, le faux incident du golfe du Tonkin qui déclenché la guerre américaine du Vietnam, le refus de considérer les bombardements de civils à Gaza comme des crimes de guerre ou les soixante mille morts de la répression ceausiste de Timisoara en décembre 89 on été argumentés publiquement et jamais condamnés.
Puisqu’il s’agit donc de discours on a affaire à la notion de mensonge, même si pour les uns et les autres les discours dans un sens ou dans l’autre, pour ou contre, font toujours appel à la science. Or pour la science le mensonge n’existe pas, en science on ne ment pas, on commet que des erreurs, et errare humanum est ! Toutefois, si l’on avait affaire à la science il n’y aurait donc pas besoin de loi pour encadrer la liberté d’expression, puisque les erreurs de la science se corrigent, s’affirment ou s’infirment grâce au doute, moteur du développement et du progrès de la recherche. Aussi faut-il s’interroger pourquoi dans la notion de la liberté d’expression comme forme absolue de la liberté d’opinion n’est pas incluse sans restriction la liberté d’exprimer des mensonges, des fausses et trompeuses assertions présentées comme des vérités. Nous touchons ici au cœur du problème que je formulerai dans un premier temps ainsi: seule la vérité a droit de citer dans le cadre de la liberté d’expression, le mensonge ne pouvant s’identifier jamais à une possible liberté d’énonciation.
On atteint alors le problème philosophique essentiel à savoir que la liberté d’expression pure inclut en sa substance la vérité et le mensonge. C’est pour quoi sommes reconduits à envisager la problématique de la vérité. Une fois encore nous devons nous rétro-projeter vers l’origine de la pensée philosophique qui a esquissé les problèmes soulevés par toutes les pensées qui se sont arrachées aux mythologies fondatrices, par toutes les pensées qui sont à elles-mêmes leur propre objet d’étude : la pensée se pensant elle-même comme sujet se pensant. Du point de vue de la philosophie nous savons qu’au cours du temps, depuis la fondation grecque de la philosophie, nous avons eu affaire à diverses définitions de la vérité qui finiront par se réduire à la conception moderne de la vérité qui certes venue d’Aristote, corrigée par Saint Thomas sera  revue et corrigée par Descartes jusqu’à ce que Hegel y introduise la notion de négativité, c’est-à-dire le faux, le non-vrai.
Si l’on retient comme point de départ la position d’Hermogène dans le Cratyle proche de Protagoras où l’homme est la mesure de toute chose, ce qui veut dire que c’est l’homme qui donne sens au monde et aux choses du monde, si bien que la vérité est ce qui semble vrai à chacun, une vérité relative donc pas très éloignée de ce qu’écrivait Foucault de la vérité historique. Selon ce point de vue, la vérité en soi n’existe pas, il n’y a que des vérités. Contre cela Socrate avance une interprétation linguistique, à savoir que les mots ont une relation avec ce qu’ils nomment, les choses qui de fait ne dépendent pas de nous si bien que les mots qui les désignent ne dépendent pas de nous, ils ont une existence propre, d’où une recherche sur l’origine des mots et une position nominaliste où le mot serait dans une relation de substance avec ce qu’il désigne. On ne débattra pas ici de ce problème qui requière de longs développements, toutefois j’ai tenu à rappeler cette dichotomie afin de montrer que le problème de la vérité est avant toute chose ancré dans l’énonciation du mot dans une langue naturelle, c’est pourquoi il soulève le redoutable problème de la traduction. D’où la différence entre la Veritas en latin et le grec Aléthéia dont il est la traduction, que Heidegger interpréta comme « le dévoilement de l’Être-là-dans-le monde (Dasein) en sa totalité sans retrait », c’est-à-dire la possibilité de toutes les présences données à l’homme sans retrait. Et le maître de Fribourg ajoute, cette possibilité de sens de l’Aléthéia que nous avons oublié depuis Platon et la naissance de la métaphysique en ce qu’elle nomme a priori ce qui est l’Être en tant que transcendant total et totalisant, c’est la « science » de l’ontologie. Développée ainsi par Platon la vérité n’est plus perceptible dans le réel vécu par les sujet du monde, mais seulement dans le domaine des idées (c’est-à-dire dans ce qui s’oppose à la doxa, à l’opinion et aux passions), si bien que cette vérité dépasse toutes les perceptions sensibles pour devenir une catégorie spirituelle transcendante se fondant au bout du compte sur une démonstration logique, de fait dans la suite d’une logique des propositions de son énonciation comme l’a montré le linguiste Emile Benveniste.[1]
Aristote aborde la vérité sous un autre angle en constituant sa démonstration comme une science analytique sur le thème du rapport entre ce que nous percevons et jugeons avec la réalité. Or de cette approche surgit un redoutable problème celui de la réalité. Comment nos sens la perçoivent-ils ; est-elle quelque chose de donnée ou la construction de nos sens incluse dirais-je dans des Weltanschauungen spécifiques, ce que les anthropologues nomment les catégories de la culture ? Or Kant nous a appris que nous percevons seulement des phénomènes inscrits dans les catégories fondamentales de la perception dans le temps et l’espace, mais jamais la chose en soi le noumène. J’ajouterais comme anthropologue que ces catégories fondamentales de l’espace et du temps sont aussi des champs sémantiques divers selon les cultures. Quant au noumène il est non-perceptible. Le noumène, la chose en soi, appartient uniquement à l’ordre du pensable. Or ne percevant que les phénomènes il faut nous interroger sur notre manière de percevoir les phénomènes, et sur les qualités que nous lui attribuons, lesquelles sont déterminée par nos catégories de la connaissance qui, dès lors, comme le nom de l’Être, ne sont pas intemporelles, perennis, mais au contraire changeantes. Aussi comme il y a une historicité de l’Être (Heidegger), y a-t-il une historicité des champs sémantiques des catégories de la connaissance. Donc connaître la vérité implique au préalable une analyse des catégories de la connaissance (cognitive categories), de leurs contenus sémantiques, voire plus complexe, de leur polysémie. C’est seulement après ce travail préalable que nous pourrons  interroger en direction de la vérité en un temps en un lieu.
Pour simplifier, certes outre-mesure, on peut avancer qu’il y a d’une part une position idéaliste où la vérité est conçue comme jaillissant de l’accord de la pensée avec ce qu’elle construit, et elle seule, comme pensable, dont Platon fut le premier maître. De fait il s’agit d’une part, d’une logique des propositions énoncées dans une langue naturelle qui s’affirme comme une métalangue (universelle), et, d’autre part, une position de critique empirique où la connaissance de la réalité métaphysique et d’une vérité absolue transcendantale sont tenues comme impossibles, tant et si bien l’on ne peut s’en remettre qu’à la perception des phénomènes par le sujet pensant qui les envisage comme autant d’objets d’expériences. Ainsi la position empirique nous reconduit à nouveau à conception moderne de la vérité.
On en revient donc à la définition moderne de la vérité qu’avait déjà partiellement énoncée Saint Thomas (qui la tenait d’Aristote via les penseurs arabes et juifs des XIe-XIIe siècles) à savoir que Veritas est adequatio rei et intellectus. Cependant chez Saint Thomas l’intellectus demeure sous le commandement divin même s’il prend sens dans l’expérience sensible et les choses par l’intermédiaire des hommes qui sont eux-mêmes en rapport avec le divin puisque celui-ci a créé l’intellect humain rendant les objets intelligibles au travers de l’expérience. Au bout du compte la vérité est le rapport de la réalité de ce qui est perçue parmi l’omni présence des chose crées par la réalité divine, laquelle accorde la plénitude du sens à l’expérience existentielle et parcellaire des hommes.
Quant à la version de la vérité donnée par la philosophie moderne, on la trouve formulée pour la première fois chez Descartes qui reprenant la formule de Saint Thomas y ajoute un déterminant essentiel, celui du sujet pensant autonome dans sa présence pensante : le célèbre « cogito ergo sum ». C’est donc avec Descartes que l’énoncé du subjectum moderne – l’ego cogitans – administre l’adequatio res ad intellectum où se tient et se manifeste la certitude de la Vérité du phénomène y compris en y intégrant le doute « salutaire » pour le déploiement de la pensée critique. En d’autres termes la vérité n’est plus de longue date le dévoilement sans retrait de l’étant en sa totalité comme il s’énonçait lorsque Parménide avançait qu’« Être et penser ne sont qu'une seule et même chose », c’est-à-dire non pas « je pense donc je suis », mais « je pense et suis simultanément et réciproquement », d’un même mouvement, ni objet ni sujet, objet et sujet entremêlés : je suis ma présence au milieu d’autres présences, dont celle des dieux qui habitent l’espace autour de moi. La vérité moderne quant à elle se présente comme un rapport d’identité entre la perception du phénomène construit par l’entendement comme objet calculable dans l’énonciation de l’ego cogitan, l’homme rationnel en tant que sujet absolu, devenu plus tard l’ego transcendantal de l’intersubjectivité de Husserl où il n’y a jamais une conscience en soi, mais toujours une conscience de quelque chose, de fait l’objet. Autrement formulée on pourrait avancer, la Vérité se présente lorsque la perception du phénomène est incluse dans le concept préalable (ego simple ou intersubjectivité de l’ego transcendantal) qui détermine l’objet en tant que phénomène pertinent, objet d’expérience et de calcul. Au bout du compte, c’est la pensée conceptuelle (dût-elle procéder par une intuition sensible préalable comme le disait Husserl) qui détermine la pertinence du phénomène parmi le foisonnement phénoménal du monde, c’est-à-dire parmi tout ce qui advient. Aussi de Platon-Aristote à Descartes en passant par Saint Thomas et ce jusqu’à Husserl, ce qui est donné comme la Vérité s’oppose à la non-Vérité, au faux, au non-rationnel (au non-réel eût dit Hegel) comme il y a de la fausse monnaie. Il fallut attendre Hegel pour lire une définition bien plus raffinée de la Vérité placée au cœur de la dialectique : « […] il faut affirmer que la vérité n’est pas une monnaie frappée qui, telle quelle, est prête à dépensée et encaissée. Il y a aussi peu un faux qu’il y a un mal […] Le faux serait l’autre, le négatif de la substance, substance qui comme contenu du savoir est le vrai ». (Préface à la Phénoménologie de l’Esprit, p. 93 in édit. bilingue Aubier-Montaigne, Paris, 1966). On est donc passé d’une détermination unilinéaire et univoque de la Vérité comme rapport entre le concept et la perception à une conception dialectique qui intègre le faux à la vérité, du moins à la substance de la vérité. En d’autres mots pour qu’il ait du vrai il faut le faux qui lui est consubstantiel. On est dans le même cas de figure dialectique que celui qui organise les rapports du bien au mal, en effet, pour saisir le bien il faut sans cesse la présence du mal. Peut-être faut-il voir ici la damnation essentielle de l’homme sans cesse confronté à la liberté du choix ?
Enfin pour conclure on ne saurait oublier qu’il y a une vérité qui nous reconduit à la loi, c’est la vérité selon le droit. Qu’appelle-t-on la vérité dans le droit positif ? C’est ce dont on peut apporter la preuve. On est donc dans la définition positiviste de la vérité comme phénomène portant la vérité de par sa seule présence conçue-perçue par le sujet. Une sorte de version simplifiée de la vérité selon Descartes. Or une fois encore de redoutables problèmes se lèvent dès lors qu’on pose la problématique de la vérité de la preuve au-delà même de la fausse preuve tenue pour vraie. Par exemple, la véritable l’intention de l’agir est-elle présente dans ce que dit a priori la preuve dans sa perception immédiate. Qu’en est-il de la vérité de la preuve lorsque le temps aidant la preuve est infirmée par d’autres preuves (erreur judiciaire), ou qu’elle manifeste une insuffisance évidente. Or les sciences expérimentales ne progressent qu’en démontrant que la preuve vraie d’une factualité précédente était si non fausse, à tout le moins non-vraie car erronée (ce que Nietzsche avait saisi comme le nihilisme moderne). Peut-on affirmer dans le domaine des sciences humaines et dans les analyses de discours ce qui se présente comme la base démonstrative des sciences de la nature ? Je ne le pense guère. Avec la preuve du droit au revient apparemment au problème de la réfutation « scientifique » chère à Popper avec cependant une réserve, c’est que la preuve étant le phénomène, il convient d’en déconstruire son mode d’appréhension pour en interpréter la structure et la substance.
C’est maintenant que nous pouvons  reprendre la question initiale de la liberté d’expression et ses limites. Ayant rapidement présenté les divers aspects des conceptions de la vérité, je pense qu’il serait plus sensé et plus juste de dire que personne ne peut parler de pure liberté d’expression en tant que pratique en ce que ni la loi, ni la morale ne laisse place au dire du faux, du mensonge, de l’erreur comme énonciation libre (libre ne voulant pas dire exempte de critiques, bien au contraire). Et si l’on y adjoint la problématique philosophique de la vérité en tant que rapport non-dialectique, on constate que le faux n’y pas non-plus sa place. En revanche si l’on ose aller à l’encontre de la doxa des temps postmodernes qui confondent critiques et émotions individualistes ou communautaires, le temps des nouveaux bien-pensants, et suivre Hegel sur le terrain où vrai présuppose le faux, alors la liberté d’expression aurait (ce qu’elle n’a pas aujourd’hui) cette dimension redoutable d’imposer le vrai tout en exposant librement le faux. Voilà une position qui fut naguère admirablement exposée par Lukács dans son avant propos à Histoire et conscience de classe :
« Dans la pure historicisation de la dialectique, cette constatation se dialectise encore une fois : le « faux » est un moment du « vrai » à la fois en tant que « faux » et en tant que « non-faux »… il retrouvait là ses réflexions sur le jeune Hegel…
Enfin en guise de remarque conclusive qui pointe le fond de la problématique et du débat où nous somme confrontés explicitement à la fragilité de notre entendement, il conviendrait une fois pour toute de présenter le faux ou la négation du vrai (négation ou dénégation) dans la guise du refoulé freudien et dire comme Lacan que « plus le réel est refoulé ou nié, plus il est présent dans sa vérité. »

Bucarest le  29 juin 2015



[1] Emile Benveniste, “Catégories de pensée, catégories de langue”, in Les Études philosophiques, nr. 4, oct.–déc., 1958, P.U.F., Paris.

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